Chapitre 8

6 minutes de lecture

 Alerté par la sirène, Maximilien Harcourt ne tarda pas à rejoindre la salle de commandement.

 À son arrivée, un opérateur lui jeta un regard effaré.

 « La signature énergétique détectée par la porte… C’est un code rouge, monsieur ! »

 — Un démon majeur ? redouta Maximilien.

 — On l’ignore, monsieur. »

C’est vrai, se rappela Maximilien. Nous n’avons aucune donnée sur la signature énergétique des démons majeurs.

 Le seul à avoir jamais franchi une porte l’avait fait au Tchad, à une époque où les capteurs n’existaient pas.

 « Tout ce que je peux vous dire, monsieur, c’est que la machine n’a jamais enregistré un pic énergétique pareil. Même la signature laissée aujourd’hui par le commandant fait pâle figure à côté de celle-ci.

 — Compris. Laissez tomber les capteurs et donnez-moi un visuel. »

 Des dizaines de vues de la porte et des branches de l’étoile creuse apparurent à l’écran.

 Aucune trace d’une quelconque abomination. Pas l’ombre d’un démon, même mineur. Rien.

 Maximilien n’aimait pas du tout l’idée qu’une créature dotée d’une telle puissance se fût tout bonnement volatilisée.

 « Comment est-ce possible ? gronda-t-il. Trouvez-moi une image de la porte au moment du pic énergétique ! »

 Le temps que l’opérateur exécute la manipulation, un autre intervint.

 « Monsieur, dit ce dernier stupéfait. Ce n’est pas un signal sortant… C’est un signal entrant. »

 Alors que Maximilien s’apprêtait à répondre, les images d’un individu effleurant la surface de la porte s’affichèrent à l’écran. Et tous le regardèrent la franchir quelques secondes plus tard, sidérés.

 Un silence de plomb s’abattit sur la salle de commandement, comme si chacun se refusait à établir une corrélation entre cet homme empruntant la porte, et le pic énergétique décelé concomitamment par les capteurs.

Aucun être humain ne possède une telle quantité de mana.

 La machine devait délirer.

Un signal entrant ? On ne la savait même pas capable d’en détecter.

 Pourtant, cela s’avérait théoriquement possible. Fondamentalement, les capteurs se contentaient de mesurer la concentration de mana d’un individu pour la convertir en une signature énergétique. En définitive, peu importait le sens de la marche, le calcul demeurait le même.

 « Qui cela peut-il bien être ? » demanda l’un des opérateurs qui s’aperçut, après coup, avoir formulé cette question à haute voix.

 L’attention de Maximilien revint aux images montrant l’individu face au portail.

 À en juger par son uniforme, il s’agissait sans nul doute d’un Aegis : tenue légère de combat, type masculin, taille supérieure à la moyenne, silhouette à la fois athlétique et élancée. En ajoutant la capuche et la vue de dos, pléthore de membres des unités d’élite correspondaient à ce profil. À un détail près cependant : l’homme n’était pas armé.

 Des Aegis suffisamment tête brûlée pour tenter le voyage, Maximilien en connaissait peu. Et, parmi eux, un seul pouvait estimer superflu l’usage d’une arme : Abel Barbérys.

 « Monsieur, suggéra un opérateur. Si le danger se trouve écarté, devons-nous convoquer tous les Aegis pour déterminer lequel manque à l’appel ?

 — Ce ne sera pas nécessaire, répondit Maximilien. Faites appeler Lise Barbérys.

 — Cela non plus ne sera pas nécessaire », intervint une voix dans son dos.

 Maximilien se retourna. Il trouva Lise, sur le pas de la porte.

 « Bien. Laissez-nous », ordonna-t-il à tous les opérateurs présents.

 Les bras croisés sur son torse musculeux, Maximilien Harcourt sondait la jeune femme de son regard inquisiteur. La fillette qu’il avait connue était désormais une adulte. En réalité, elle l’était devenue le jour où ses parents avaient trouvé la mort, autrement dit beaucoup trop tôt. De l’enfance, Lise avait conservé ses traits angéliques, mais l’innocence avait depuis longtemps quitté son regard. Elle était maintenant une guerrière d’élite, placée sous son autorité. Et malgré toute l’affection qu’il lui portait, il ne devait pas la traiter autrement.

 « En ce moment même, expliqua Maximilien, au beau milieu de la nuit et après une journée d’intenses combats, des milliers de soldats éprouvés se déploient aux quatre coins de l’étoile creuse dans la perspective, et la crainte, d’affronter les hordes. Sais-tu pourquoi ?

 — Car Abel a franchi la porte…

 — Précisément ! insista Maximilien. Un acte égoïste autant que suicidaire !

 — Ça n’a rien d’une mission suicide », rétorqua Lise.

 Maximilien tiqua.

 « Si c’était une mission, je crois déjà que j’en serais informé ! Et se rendre seul au milieu des légions ennemies est un excellent moyen de mettre fin à ses jours. Donc, si ce n’est pas ça, dis-moi ce que c’est ? Un pari stupide ? Une étude de la faune locale ? Du tourisme ? Parce que si ton frère voulait du dépaysement, il suffisait de demander, ce n’est pas les sites militaires qui manquent aux quatre coins…

 — Il va tuer le gardien de la porte, le coupa-t-elle.

 — Qu’est-ce tu viens de dire ? l’obligea-t-il à répéter.

 — Abattre le gardien de la porte, voilà ce qu’il est parti faire de l’autre côté. »

 Le vétéran la considéra avec des yeux ronds.

 Pour avoir combattu celui apparu dans le désert de l’Ennedi douze ans auparavant, Maximilien savait, mieux que quiconque, qu’un homme ne pouvait venir à bout d’un tel monstre. Penser le contraire relevait, à ses yeux, de la naïveté pure et simple. Or, Lise était tout sauf naïve ; elle n’ignorait pas cette disparité des forces.

 « Si je ne te connaissais pas, je croirais à une mauvaise blague.

 — Je peux vous assurer que ça n’en est pas une.

 — Pourtant, ça y ressemble. Au mépris du bon sens le plus élémentaire, un membre de mon unité décide, de son propre chef, de s’introduire chez l’ennemi avec en tête un objectif irréalisable. Y a-t-il une autre manière de l’envisager ?

 — Vous ne l’auriez pas permis, s’il vous avait consulté.

 — Naturellement ! Il arrive parfois qu’on envoie des soldats à la mort, mais cela n’est jamais l’objectif de la mission ! »

 Lise serra les poings.

 « Chef, avec tout le respect que je vous dois, croyez-vous un seul instant que je laisserais mon propre frère franchir cette porte si j’avais la certitude qu’il n’en reviendrait jamais ? »

 Maximilien jaugea sa sincérité, puis passa ses mains rugueuses sur son visage.

Sa foi envers son frère l’aveugle-t-elle au point de ne pas voir l’évidence ? songea-t-il.

 Étant guerrier lui-même, il reconnaissait volontiers n’avoir qu’une connaissance imparfaite des capacités d’Abel. Pour beaucoup, ce dernier représentait une énigme ; un mage dépourvu de flamme. Un prodige qui ne lui avait jamais donné le sentiment de forcer son talent. Mais de là à le croire capable de rivaliser avec les plus redoutables des démons, c’était un pas difficile à franchir.

 Pourtant, elle en était convaincue.

 « D’où te vient cette assurance qu’il puisse réussir un tel exploit ? Vaincre un commandant est une chose ; un démon majeur en est une autre, tu peux me croire.

 — Aller chercher le gardien dans son antre est le plus sûr moyen de le trouver sans sa forme de combat. Ainsi la différence devrait être moins notable.

 — La transformation n’est qu’une supposition ! Quant à miser sur l’effet de surprise, c’est un pari risqué en terrain ennemi. Et puis, admettons que la chance sourie à ton frère ; même amoindri, un démon majeur reste un formidable adversaire. Abel aura-t-il la force suffisante pour le vaincre ? »

 Lise désigna les consoles d’un signe de tête.

 « Ces trucs mesurent le mana, non ? Que vous ont-ils indiqué lorsque mon frère a passé la porte ?

 — Des chiffres improbables.

 — Improbables ou astronomiques ? ironisa Lise.

 — Les deux. Je n’ai qu’une confiance limitée envers ces machines.

 — Alors, placez votre confiance en nous ! asséna-t-elle. Abel refermera la porte d’Europe occidentale ! »

 Une foi inébranlable. Fut un temps où lui aussi avait de telles convictions ; l’apanage de la jeunesse.

Croire en vous… Maintenant qu’Abel se trouve de l’autre côté, y a-t-il de toute façon mieux à faire ?

 Maximilien poussa un long soupir.

 « Est-ce ce que tu penses ou ce que tu espères ? »

 Lise esquissa un sourire.

 « Les deux. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 10 versions.

Vous aimez lire Tendris ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0