Chapitre 11

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 Sommée d’avancer plus vite par son escorte, la créature blessée pénétra craintivement dans la salle du trône du Palais d’Obsidienne. Son regard se perdit un instant sur la multitude de voûtes qui s’enchevêtraient à une hauteur vertigineuse. Par-delà le maillage complexe, un ciel crépusculaire filtrait par endroits.

 « Avance ! » lui intima le garde, soucieux de ne pas faire attendre la maîtresse des lieux.

 Il accompagna ses paroles d’une violente bourrade dans le dos du prisonnier. Bousculé, celui-ci tituba sur plusieurs mètres avant de s’étaler sur le dallage.

 Sans ménagement, le sbire attrapa la créature gémissante par l’une de ses cornes et acheva de la traîner jusqu’à sa reine.

 « À genoux ! », ordonna-t-il, pour l’obliger à adopter une posture déférente.

 D’une traction sur sa corne, il la contraignit à regarder le sol, puis s’inclina à son tour.

 « Votre Majesté, articula le commandant dans la langue des démons. Conformément à vos ordres, je reviens de la forteresse du Seigneur Galiel, prêt à vous faire mon rapport. »

 Lahabriel toisa le prisonnier de toute sa hauteur. Sa longue robe noire échancrée soulignait les charmes d’un corps, à bien des égards, humain. Même le grain de sa peau et les traits de son visage paraissaient ceux d’une jeune femme. Pourtant, elle n’était ni l’une ni l’autre. En guise de chevelure, six épaisses cornes noires coiffaient le démon majeur. Quatre s’élevaient par paires symétriques tandis que deux, plus courtes, retombaient depuis les tempes comme de fines anglaises. Mais le plus impressionnant demeurait cependant ses ailes. Deux longs membres osseux aux doigts hypertrophiés et drapés d’une membrane diaphane partaient de son dos pour former d’immenses voilures veinées.

 D’un signe de tête, elle invita son sujet à poursuivre.

 « Ainsi que vous le pressentiez, une bataille s’est déroulée dans la demeure du Seigneur Galiel. Ce dernier y a trouvé la mort, ainsi que nombre de ses partisans. »

 Lahabriel haussa les sourcils.

 Elle avait bien ressenti qu’un combat faisait rage, mais ne s’était pas attendue à ce que l’un des huit démons majeurs y succombât. L’événement n’avait rien d’anodin.

 « Ainsi donc, il est mort, répondit-elle sans en être affectée. Qui l’a attaqué ?

 — Je l’ignore, Votre Altesse. Je n’ai pas trouvé les corps des assaillants.

 — Ils ont emmené leurs morts ? s’étonna-t-elle.

 — Eh bien, répondit le commandant gêné. Le témoin que je vous ai amené présente une autre version.

 — Parle, ordonna-t-elle au prisonnier. Lequel d’entre nous a défait Galiel ? »

 Consciente qu’elle ne serait pas crue, la créature apeurée chercha du regard une échappatoire, mais n’obtint qu’une brimade supplémentaire de la part de son escorte.

 « Sa Majesté t’a donné un ordre ! vociféra le commandant. Obtempère !

 — Ou…Oui, bien su…sûr, bégaya le prisonnier. C’est que ju… justement, votre grandeur, l’attaque ne ve… venait pas d’un autre seigneur. Elle était hu… humaine…

 — Humaine ? Tu veux dire que non contents d’avoir repoussé son invasion, les humains ont traqué Galiel par-delà la porte ? »

 Le démon mineur opina. Lahabriel paraissait dubitative.

 « Jadis, reprit-elle, Véliel aussi avait commis l’erreur de sous-estimer les hommes et il avait lamentablement péri de l’autre côté. Mais, de là à venir chez nous sitôt l’une des portes ouverte ; les humains ont manifestement gagné en assurance. Combien ont mené l’assaut ?

 — C’est que… il était seul, Votre Altesse. »

 Lahabriel le montra du doigt, le regard sévère.

 « Non, pitié, votre grand… » entama la créature soudain paniquée.

 De l’index jaillit un faisceau noir qui lui pulvérisa le coude gauche. Privé de son articulation, l’avant-bras sectionné heurta le sol dans un bruit étouffé.

 « Tu as été bien mal éduqué pour oser me mentir, s’agaça Lahabriel. Galiel se montrait souvent stupide et orgueilleux, mais il n’était sûrement pas faible. »

 Le prisonnier agrippait frénétiquement son bras mutilé, le visage ruisselant de sueurs froides.

 « Je vous supplie de me croire ! implora-t-il. Un ho… homme aux cheveux blancs a attaqué maître Galiel par su… surprise, l’obligeant à sacrifier ses deux bras pour se dé… défendre. Nous nous sommes jetés sur lui et une énorme dé… déflagration nous a tous balayés ! Je n’ai su… survécu que parce que j’étais loin.

 — Aussi pitoyables que vous soyez, sais-tu quelle quantité de mana requiert un sort capable de tuer un millier, ou même plusieurs centaines, d’entre vous ? Une quantité telle qu’aucun homme ne pourra jamais en posséder ! »

 Elle leva de nouveau l’index.

 « Votre Majesté, intervint le commandant, préoccupé par le récit plus que par le sort du prisonnier.

 — Parle, dit-elle en suspendant son geste.

 — Merci votre Majesté. Indépendamment de l’assaillant, le reste concorde avec mes observations. Un bras manquait effectivement à la dépouille du seigneur Galiel. On peut supposer qu’il a régénéré l’autre en tentant de se transformer. Quant à l’attaque qui les a tous tués, j’ai pu constater l’épicentre d’une explosion. Dans un rayon de plus d’une dizaine de mètres, la zone était vierge de tout corps. »

 Pensive, la démone abaissa son index. C’était ce déferlement de mana qu’elle avait ressenti d’aussi loin. Par ailleurs, aucun démon majeur n’en affronterait un autre sans revêtir sa forme de combat. Face à un humain cependant, il pouvait légitimement croire ne pas en avoir besoin. Et puis, l’absence de cadavres ennemis l’intriguait également.

 Peu à peu, l’idée prenait forme dans l’esprit de Lahabriel. Si un tel humain existait réellement, sa puissance rivalisait avec les démons majeurs, même transformés. Laisser les autres dans l’ignorance d’une telle découverte ne pouvait que servir ses propres desseins dans la lutte qui l’opposait à ses semblables.

 « D’autres que lui ont-ils survécu ? demanda-t-elle en désignant la créature meurtrie.

 — J’ai pris la liberté de les achever pour vous amener celui qui se trouvait dans le meilleur état, votre Majesté. »

 Lahabriel salua son initiative.

 « Une dernière chose, indiqua-t-elle au prisonnier. Cet humain a-t-il fait une quelconque allusion à la couronne ?

 — Je… je ne crois pas, votre grandeur, répondit-il au bord de l’évanouissement.

 — Bien. »

 Le doigt tendu devant elle, Lahabriel visa cette fois la tête.

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