Chapitre 20

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Une semaine plus tard

 Le visage de Lise ne se trouvait qu’à quelques centimètres du sien. Richard pouvait presque sentir sa respiration. L’espace d’un instant, il se perdit dans la contemplation de ses iris vert émeraude. Leur teinte s’éclaircissait à la périphérie immédiate de la pupille. Il ne l’avait jamais remarqué. Au demeurant, ils n’avaient jamais été aussi proches.

 Lise inclina légèrement la tête sur le côté.

 « N’as-tu rien à dire ? demanda-t-elle.

 — La mort du commandant ennemi n’était peut-être pas si atroce, tout compte fait. »

 Passée la surprise, la jeune femme recula brusquement son visage rougi, appuyant aussi plus fermement sa dague en bois sur la gorge de Richard.

 « Argh ! Je plaisante, dit-il d’une voix étranglée. Tu as gagné !

 — Évidemment ! » triompha-t-elle en l’invitant à se relever.

 Bon perdant, Richard accepta la main tendue.

 « Deux à zéro pour les filles, scanda Émilie.

 — Ça a l’air animé ici, constata Hanna en arrivant au gymnase. On vous entend depuis l’extérieur. Qu’est-ce qu’il se passe ?

 — Entraînement des guerriers, répondit Ayame. Parce que, je cite, « lever de la fonte, c’est chiant », ils ont voulu faire une confrontation filles – garçons. Bien qu’il n’y ait qu’une seule guerrière...

 — Gentlemen ! ironisa Hanna. Qui a eu cette idée stupide ? Non, en fait, ne dis rien ; je connais la réponse. »

 Son regard glissa sur Lars, assis à quelques mètres de là.

 « Ouais, bon, ça va, protesta-t-il. C’est juste pour s’amuser un peu. Et c’est vrai que c’est chiant de lever de la fonte !

 — Mouais. Et c’est quand ton tour, que je rigole ?

 — Bah, en fait… hésita Lars.

 — Il a déjà perdu, compléta Ayame de son habituel ton détaché. Une défaite éclair.

 — Éclair, éclair… c’est surtout qu’elle m’a surpris !

 — En somme, tu t’es fait laminer », se moqua sa compatriote.

 Le Norvégien afficha une mimique vexée.

 « J’imagine que c’est une façon de voir les choses, pour une profane…

 — Oh ! Tu boudes ?

 — Humpf… »

 Il n’y a pas si longtemps, il ne l’aurait pas aussi bien pris, songea Hanna. Y compris de sa part. Lars changeait. Sans doute mesurait-il à quel point les forces en présence le dépassaient. Comme eux tous. L’expérience tragique du Groenland avait au moins eu ce mérite.

 Hanna porta machinalement la main à son oreille. Bien qu’à quinze mètres sous terre, l’onde de choc qui avait balayé le démon majeur avait eu raison de ses tympans. On lui avait raconté qu’elle était l’œuvre d’Abel ; elle, avait cru à la fin du monde. Une telle décharge de mana défiait l’entendement. Après en avoir été un témoin direct, même quelqu’un comme Lars avait bien dû se résoudre à l’admettre. Certains de leurs ennemis se trouvaient tout simplement hors de sa portée.

 « Et Lise, comment va-t-elle ? demanda Hanna.

 — Mieux, grâce à toi, répondit Ayame sans détourner les yeux du combat en préparation. Se défouler semble lui faire du bien, également. »

 Armé de son bouclier et d’une épée d’entraînement, Makoto prenait place face à la Française.

 « Plutôt grâce à toi, si tu veux mon avis. À part me goinfrer, je n’ai pas fait grand-chose. D’ailleurs, je voulais te demander : comment as-tu compris ? Je veux dire, pour la faim et la soif. Moi-même, je n’étais pas sûre de ce que j’avais vraiment ressenti là-bas.

 — C'est une déduction plus qu'une certitude. Lorsqu’on vous a récupérés, les deux Américains et toi, vous alliez bien. Trop, pour des personnes n’ayant rien avalé depuis plus de soixante-douze heures. Je suis soigneuse, je remarque ces choses-là. Et puis, là-bas, il n’y avait rien qui évoque une quelconque nourriture : pas d’aliments, pas d’animaux, pas de tables, rien. Même le démon majeur, que l’on avait supposé carnivore, a finalement recraché Kaede. »

 Hanna écoutait Ayame exposer son raisonnement, à la manière d’une démonstration mathématique. Bien qu’elle n’eût pas assisté à la scène, elle savait la mort de son équipier particulièrement sordide. Pour autant, l’évocation du drame ne semblait susciter, chez la Japonaise, aucune réaction.

De quel bois cette fille est-elle faite ? songea-t-elle. Délicat à l’écorce, indestructible à cœur.

 « Tu es impressionnante.

 — Pas vraiment », répondit Ayame d’un ton égal.

Impénétrable, aussi.

 « Fais-lui mordre la poussière, Lise ! » encouragea Yuna.

 Émilie et elle semblaient se prêter au jeu avec beaucoup d’entrain.

 Makoto se mit en garde, non sans maugréer devant l’absence de soutien de sa propre équipe.

 Plus trapu que les deux autres guerriers défensifs, il n’était pas le moins rapide. Malgré cela, il savait sa vitesse loin d’égaler celle de la Française. En dépit de sa posture nonchalante, elle serait sur lui en un éclair. Le Norvégien en avait fait les frais. Lui n’entendait pas s’y laisser prendre. Puisque la jeune femme excellait en contre-attaque, il feindrait de lui en donner l’opportunité. Qu’importait sa rapidité si, en définitive, il savait où la trouver.

 « Les combattants sont prêts ? » demanda Isao en qualité d’arbitre improvisé.

 Ceux-ci hochèrent la tête.

 « Go ! »

 Comme Makoto s’y attendait, Lise fondit sur lui dès l’amorce du combat.

 D’un pas prompt, il alla au-devant de la Française dans le but de tromper son estimation de la distance. Puis, il asséna aussitôt un puissant revers de bouclier ; un coup véloce, balayant à mi-hauteur.

 La rondache de bois masqua Lise de son champ de vision une fraction de seconde. Peu importait. Si elle l’esquivait – ce dont il ne doutait pas –, elle contre-attaquerait par l’intérieur, depuis le bas. Leurs vitesses respectives ne lui laissaient guère d’autre option.

 Sans attendre que le bouclier n’achève totalement sa course, Makoto abattit son arme à l’endroit où il savait découvrir la Française.

 L’épée d’entraînement ne trouva toutefois que l’air à cingler.

 Lorsque Makoto le réalisa, le contact du bois pesait déjà sur sa nuque.

 « Perdu », entendit-il dans son dos.

 Stupéfiante. Pas seulement sa vitesse d’exécution, mais sa lecture du mouvement. Elle avait opté pour le côté où allait frapper son bouclier. Une fenêtre d’esquive extrêmement brève durant laquelle, soit elle parvenait à devancer son coup, soit elle le prenait de plein fouet. Une vision du combat n’acceptant ni doute ni compromis ; la victoire totale, sinon rien.

 Makoto s’inclina respectueusement sous le chahut, bon enfant, des supportrices de Lise.

 Depuis les gradins, un applaudissement appuyé les ramena, toutefois, à plus de discipline. Aaron Sanders. Maximilien l’accompagnait.

 « Et dire que nous avons l’audace de vous appeler le sexe faible ! s’enthousiasma le nouveau responsable de la porte américaine. Mademoiselle, vous êtes prodigieuse ! »

 Les joues de Lise accueillirent l’éloge à sa place, tandis que le quadragénaire descendait les marches permettant de la rejoindre.

 À son approche, les trois guerriers adoptèrent une posture plus solennelle. Ils rencontraient l’homme pour la première fois, mais connaissaient son nom depuis l’académie militaire. Héros de la guerre du Tchad, Aaron Sanders figurait, de l’avis quasi unanime de leurs instructeurs, le meilleur bretteur de l’humanité.

 D’un signe de tête, il invita les trois soldats au repos, puis se posta devant la jeune femme. Un sourire franc adoucissait son visage par ailleurs sévère.

 « Vous avez les traits de votre mère et les yeux de votre père, fit-il remarquer.

 — Vous connaissiez mes parents ? s’étonna Lise.

 — Moins que je ne l’aurais aimé. Je suis toutefois ravi de constater qu’ils vous ont légué plus qu’un charmant patrimoine génétique. Votre façon de combattre n’est pas de celle que l’on apprend à l’académie. Qui vous a enseigné ? »

 Sans attendre sa réponse, il se tourna vers son homologue.

 « Est-ce toi, Maximilien ?

 — À une époque peut-être, mais cela fait bien longtemps que je n’ai plus rien à lui apprendre.

 — À cette époque aussi, mes épées étaient en bois, se souvint Lise avec nostalgie. Après cela, je me suis exclusivement entraînée avec Abel. »

 L’évocation de son frère voila un bref instant son regard.

 « Lorsque votre adversaire peut vous mettre KO juste en vous effleurant, mieux vaut apprendre à esquiver, ajouta-t-elle d’un ton qu’elle aurait voulu plus enjoué.

 — Je suis navré de ce qui lui est arrivé, compatit Aaron Sanders. Et j’aurais aimé faire davantage pour vous. »

 Lise hocha la tête.

 « Mais, voyez-vous, dit-il en désignant Maximilien, votre chaperon refuse que je vous prenne avec moi. Et vous savez à quel point il peut être obstiné, n’est-ce pas ? »

 Tous le regardèrent avec étonnement.

 « Tu ne leur as pas dit ?

 — L’annonce ne sera officiellement faite que demain, répondit le chef français.

 — Ce que tu peux être protocolaire… »

 Un sourire amusé se forma sur le visage du chef canadien, tandis qu’il sollicitait de Richard son épée d’entraînement.

 « Puis-je ?

 — Bien sûr ! » assura l’Aegis en la lui remettant.

 Tout en retroussant ses manches de chemise, Aaron Sanders reporta son attention sur la jeune femme.

 « Figurez-vous que cette semaine de discussions assommantes ne m’a guère fourni d’occasion de me dégourdir les jambes. Aussi, accepteriez-vous quelques passes d’armes, mademoiselle ? Si vous gagnez, je vous révèlerai votre nouvelle affectation. Tu m’y autorises, n’est-ce pas Maximilien ? »

 Le chef français haussa les épaules.

 « Comme si tu avais besoin de ma bénédiction… Du reste, je serais ravi que tu aies à le leur annoncer.

 — Eh bien… Il semblerait que votre fan-club s’agrandisse, mademoiselle. Que décidez-vous ?

 — Et si je perds ? hasarda Lise.

 — Est-ce là votre intention ? »

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