Chapitre 21

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 Lise observa Aaron Sanders prendre place face à elle.

 Sa morphologie lui rappela celle de son frère. Athlétique, les muscles fuselés, il ne la dépassait, tout au plus, que d’une tête. Une stature moins impressionnante que ses trois précédents adversaires, mais qu’elle devinait bien plus affûtée.

 En dépit de ce que laissait supposer sa garde basse, son opposant entendait la prendre au sérieux. Elle le lisait dans son regard. À l’instant où il avait jaugé l’équilibre de son arme, le guerrier avait remplacé l’homme affable.

 Lise affermit son emprise sur les dagues qu’elle tenait pointes tournées vers l’arrière, puis concentra le mana dans ses jambes.

 « Enfin ! souffla Hanna en aparté. Il me tarde d’être fixée sur notre affectation. Et, grâce à Lise, ce sera bientôt chose faite !

 — Je n’en serais pas aussi sûre, confia Ayame.

 — Ah ? Qu’est-ce qui te fait dire ça ? »

 Le regard inquisiteur de la Japonaise fixait Aaron Sanders.

 « Je ne sais pas exactement. Un pressentiment.

 — Mouais, répondit Hanna, dubitative. Si tu veux mon avis, légende ou pas, tout ce qui fait moins de dix mètres de haut n’a aucune chance contre elle. Cette fille est beaucoup trop forte.

 — Peut-être. En tout cas, au vu de sa posture, Lise ne le prend pas à la légère.

 — Qu’est-ce qu’elle a sa posture ?

 — Elle avait la même contre le démon majeur.

 — Alors, raison de plus, plaisanta Hanna. Elle va n’en faire qu’une bouchée du caribou. »

 Ayame la considéra d’un air neutre.

 « C’était une blague, précisa la Norvégienne.

 — J’avais compris.

 — Elle n’était pas drôle ?

 — Si, je suppose. »

 Hanna soupira quand le bruit des bois s’entrechoquant ramena son attention sur l’arène improvisée.

 Après une poignée de secondes, ses yeux s’élargirent. Peu familière des entraînements de guerriers, elle sonda les expressions de ses camarades.

 Tous paraissaient aussi stupéfaits qu’elle.

 Ce duel n’avait rien de l’exercice ou du jeu. Les combattants s’y livraient avec une telle intensité que chaque coup donnait l’impression de pouvoir mettre fin au combat. En à peine quelques instants, Hanna les avait déjà vus, tour à tour, vainqueurs puis perdants. Chaque fois, une parade ou esquive avait, de justesse, déjoué la précision anatomique de la frappe adverse. Pas de coup porté à l’aveugle, pas de mouvement superflu. Une sobriété dans l’attaque comme la défense n’autorisant aucun temps mort. À ce rythme et à cette vitesse, même des armes en bois ne s’avéraient pas sans danger.

 Pourtant, il lui sembla qu’ils accéléraient encore.

 Un léger cri s’échappa soudain de l’assemblée.

 Hanna, elle-même, s’aperçut qu’elle avait machinalement porté la main à sa bouche. Cette fois, elle n’en doutait pas, le combat était bel et bien terminé. Il avait à peine duré une minute ; la plus intense à laquelle il lui avait été donné d’assister. Elle ignorait toutefois qui en sortait vainqueur.

 Debout, Lise surplombait son adversaire, quant à lui en position fléchie. De les voir ainsi, Hanna eut l’image d’une reine adoubant un chevalier. Une image trompeuse.

 Le regard glacial, Lise fixait son poignard, dont la pointe appuyait sur le cou d’Aaron Sanders, juste au-dessus du trapèze. Nul doute que la tension du combat faisait encore rage dans son esprit.

 Elle tenait son autre dague à hauteur du sternum. Manifestement, plus haut qu’elle ne l’aurait souhaité pour dévier l’attaque de son assaillant. La lame de bois d’Aaron Sanders reposait, transversale, sur son abdomen.

 En dépit de leur engagement total dans ce combat, l’un et l’autre avaient eu la sagesse d’arrêter leur coup. Sans cela, aucun des deux ne s'en serait sorti indemne.

 Ils demeurèrent ainsi de longues secondes. Le chef canadien fut le premier à retirer son arme.

 « Japon », déclara-t-il en se relevant.

 La voix de son adversaire arracha Lise à son état second.

 « Je n’ai pas gagné, protesta-t-elle.

 — Certes, mais vous n’avez pas non plus perdu. »

 Un large sourire étirait son visage. L’homme affable avait repris ses droits sur le guerrier.

 « Nous aussi, nous allons au Japon ? » hasarda Hanna en se désignant avec Lars.

 Sanders acquiesça d’un hochement de tête avant de reporter son attention sur Lise.

 « Espérons que, si nous nous revoyons, ce ne soit pas en d’aussi funestes circonstances. Cela étant, ce fut un plaisir ».

 Tandis qu’il repartait aux côtés de Maximilien, son regard croisa celui d’Ayame. Il se retourna quelques mètres plus loin.

 « Votre visage m’est familier, mademoiselle. Puis-je vous demander votre nom ?

 — Sato.

 — La fille d’Hajime… », ajouta-t-il, comme s’il se reprochait cet oubli.

 Sanders la considéra un bref instant. Une expression indéchiffrable sur le visage.

 « Que d’illustres noms dans cette unité », conclut-il avant de rejoindre un Maximilien particulièrement satisfait.

 « Est-ce le fait que je me fasse molester qui te mette à ce point en joie ? l’entendit-on demander au loin.

 — Tu ne peux pas dire que tu ne l’as pas cherché ».

***

 Épuisée, Lise se laissa tomber sur le matelas de sa chambre. La douche lui avait fait du bien, même si elle ne l’avait pas débarrassée de cette étrange impression laissée par son duel avec Sanders.

 Elle posa la main sur son ventre.

 Pourquoi s’était-elle à ce point investie dans ce combat d’entraînement ? Était-ce sa fierté ? Non. Elle savait que non. Elle avait combattu comme si sa vie en dépendait parce que, lorsqu’elle s’était retrouvée face à lui, c’était ce que son corps lui avait hurlé de faire.

 Elle ramassa la dague de bois posée sur son chevet, celle qui avait atteint son adversaire au cou. La pointe était écrasée. Lise n’avait pas totalement réussi à arrêter son geste.

Cet homme est fort, pensa-t-elle. D’une certaine façon, il me fait penser à toi.

 Machinalement, elle attrapa son smartphone.

 Quatre têtes châtaines occupaient l'écran d'accueil, dont trois partageaient les mêmes yeux verts. Lise avait onze ans ; son frère et elle rayonnaient sous le regard bienveillant de leurs parents.

Où es-tu ?

 Quelques coups discrets en provenance de la porte la tirèrent de ses songes.

 « Un instant », cria-t-elle en avisant ses jambes nues.

 À la hâte, elle enfila un jean, puis alla ouvrir.

 « Ayame ? »

 La Japonaise s’inclina légèrement.

 « Puis-je entrer ?

 — Bien sûr », répondit Lise en s’effaçant.

 Debout au milieu de la chambre spartiate, Ayame la regarda réajuster sommairement le drap de son lit, seule assise de la pièce.

 « Ce n’est pas nécessaire.

 — Si, si, insista Lise en l’invitant à s’asseoir.

 — Merci. »

 Le dos droit et les mains posées sur son giron, la Japonaise prit place sur le rebord du couchage.

 Avec un peu d’appréhension, Lise vint s'installer à son tour. Elle n’avait que rarement discuté en tête-à-tête avec Ayame, moins encore à son initiative. De plus, elle ne s’était pas encore pardonnée d’avoir passé ses nerfs sur elle, la semaine précédente.

 « Je suis désolée de ce que je t’ai dit la dernière fois au réfectoire. »

 La Japonaise secoua la tête.

 « Tu t’en es déjà excusée trois fois.

 — Même, c’était injuste de ma part.

 — N’y pense plus. Ce n’est pas la raison de ma venue. »

 Lise n’insista pas davantage.

 « Soit, alors qu’est-ce qui t’amène ?

 — Ton ventre, montre-le-moi. »

 La Française la considéra de longues secondes. Plus rien ne l’étonnait venant d’Ayame.

 « Ce n’est que superficiel, se défendit-elle.

 — Dorénavant, je serai ta soigneuse. Laisse-moi le soin d’en juger. »

 À contrecœur, Lise releva son tee-shirt à hauteur de poitrine. Un hématome violacé barrait toute la largeur de son abdomen.

 « Comment as-tu su ? lui demanda-t-elle, tandis qu’Ayame examinait l’ecchymose.

 — Je l’ai vu.

 — Vu ?

 — Oui. Ton frère ressent le mana, dans ma famille, on le voit. La marque que tu as là n’est pas celle du bois de son arme. C’est l’énergie résiduelle du mana dont il l’avait imprégnée et à laquelle il a renoncé au dernier moment. »

 Au contact de la soigneuse, Lise ressentit une douce chaleur irradier son abdomen.

 « Et c’est grave, docteur ? » plaisanta-t-elle.

 Ayame la regarda dans les yeux.

 « Cela aurait pu l’être, oui.

 — Qu’as-tu vu exactement ? demanda Lise, plus sérieuse.

 — Je ne le sais pas vraiment. Ce dont je suis sûre, c’est que s’il l’avait voulu, il t’aurait coupée en deux. »

  À cette pensée, Lise grimaça.

 « Alors, il s’est restreint tout du long, réalisa-t-elle un peu déçue.

 — Je vois les choses autrement. Contre un adversaire tel que toi, il n’a eu d’autre choix que de puiser dans des ressources auxquelles il n’avait pas prévu de recourir.

 — Le verre à moitié plein, hein ? Enfin, peu importe, tant mieux s’il existe des hommes aussi forts. Nous en aurons grand besoin lorsqu’une nouvelle porte s’ouvrira. »

 La peau claire de Lise réapparaissait progressivement à l’endroit où l’hématome se résorbait. Une agréable sensation parcourait son ventre à mesure que les tissus se régénéraient. Si, de prime abord, la Japonaise pouvait paraître froide, elle appliquait en revanche sa magie avec une extrême douceur.

 « Ayame ?

 — Oui ?

 — Je suis heureuse de notre affectation chez toi. Je vais pouvoir apprendre à mieux te connaître.

 — Tu auras vite fait le tour du sujet. Tu peux abaisser ton tee-shirt, j’en ai terminé.

 — Laisse-moi le soin d’en juger », l’imita Lise en reprenant ses propres mots.

 Ayame ne put s’empêcher de sourire.

 « C’est la seconde fois que je te vois sourire, reprit la Française.

 — Je n’ai pas souvenir de la première.

 — Lorsque tu as invité mon frère à danser.

 — Ah… je ne sais pas vraiment ce qui m’a pris ce jour-là... »

 Tandis qu’elle commençait à se justifier, ses pommettes s’empourprèrent légèrement.

 « Peu importe, la coupa Lise. C’est juste dommage que tu ne le montres pas plus souvent ; il est magnifique. »

 Jusqu’à devenir écarlates.

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