Chapitre 25

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 « Pourquoi j’ai pas vu la porte avant qu’on atterrisse ? demanda Lars à peine descendu de l’avion militaire.

 — Parce que nous sommes à un centre de commandement annexe, répondit Maximilien tout en marchant. Celui à proximité de la porte australienne a été détruit.

 — Détruit ? répéta Richard, incrédule. C’est grave à ce point-là ? »

 Leur chef hocha la tête.

 « Je ne le sais moi-même que depuis quelques minutes. Un démon majeur serait apparu. »

 Tous se regardèrent, sidérés. Lars s’arrêta même sur le tarmac.

 « Si vite ? s’étonna Lise. La porte vient seulement de s’ouvrir...

 — Hey ? réagit le Norvégien. Qu’est-ce qu’on vient foutre là, alors ? Pourquoi on n’est pas sur le front ? »

 Maximilien s’arrêta à son tour, considérant Lars avec impatience par-dessus son épaule.

 « Trois raisons, monsieur Janussen. Primo, si un démon majeur a effectivement franchi cette porte, cela veut dire qu’il n’y a plus de front. Deuxio, ce n’est pas le genre d’ennemi qu’on affronte à l’aveugle ; je ne vous apprends rien.

 — Et les autres unités ? insista le guerrier. Elles ont bien été envoyées quelque part, non ?

 — Tertio, Nicholas Davis, le responsable de la porte australienne, veut nous montrer quelque chose. Et avant que vous ne me demandiez quoi, je l’ignore. »

 Il se remit en marche.

 « Hâtez-vous, si vous êtes pressé d’en découdre.

 — OK… chef. »

 La salle de commandement avait des allures de fourmilière. L’effervescence s’atténua un court instant lorsque l’unité pénétra les lieux.

 « Pourquoi ils s’arrêtent tous ? glissa Hanna à Lise.

 Cette dernière haussa les épaules.

 « Voyez cela comme de la célébrité, répondit Maximilien qui l’avait entendue. Votre unité est la seule à avoir combattu et vaincu un démon majeur.

 — Bonjour la pression… »

 Bien qu’aucun n’en fît la remarque, tous songèrent qu’il leur manquait celui ayant rendu cet exploit possible. Sans Abel, force était d’admettre qu’un tel ennemi se trouvait hors de leur portée. Depuis les révélations de Lise, ils en comprenaient désormais mieux la raison.

 « On n’est pas les seuls à l’avoir fait, rectifia celle-ci. Vous aussi, au Tchad, il y a quatorze ans.

 — Au prix d’innombrables vies, répondit le Français avec un sourire amer. Et pour tout vous dire, j’ignore encore véritablement comment nous avons fait. »

 Quelques-uns le regardèrent avec étonnement. Cela ne ressemblait pas à de la fausse modestie.

 « Vous voilà ! » les interpella Nicholas Davis.

 Le responsable de la porte australienne venait d’achever de confier ses directives. Il les prit à part dans la salle de réunion attenante.

 Maximilien se souvenait de lui comme de quelqu’un de suffisant. Aujourd’hui, il ressemblait surtout à un homme ayant beaucoup perdu.

 Sur l’écran géant, l’image de la démone captée par les caméras de surveillance apparaissait en gros plan.

 « C’est une… femme ? » hasarda Richard.

 Nicholas Davis le considéra avec sévérité.

 « Sans doute mes hommes ont-ils eu la même réaction que vous, mon garçon. L’instant d’après, la moitié d’entre eux trouvaient la mort. Mais voyez plutôt par vous-même. »

 Dans son dos, les images se mirent en mouvement. Lahabriel y prenait son envol avant de balayer la surface de la muraille de son rayon meurtrier. Alors qu’elles n’entraient pas dans son champ de vision, le chef australien éprouva malgré tout le besoin de fermer les yeux. Nul doute qu’elles lui étaient insupportables.

 « La vache… lâcha Lars une fois la séquence terminée.

 — Comme vous dites.

 — Et où est-elle, maintenant ? » demanda Maximilien.

 Son homologue écarta les mains en haussant les épaules.

 « Envolée. Au sens littéral.

 — Un monstre pareil se balade en pleine nature ? s’effara Hanna.

 — Après ça, répondit-il en désignant l’écran, elle a éventré le mur d’enceinte, afin de libérer ses sbires. C’est surtout contre eux que nous luttons actuellement. La démone, elle, est partie et nous ignorons où. Nous avons cessé d’envoyer des avions et des drones à sa poursuite ; elle les abattait systématiquement. Toutes les villes dans un rayon de deux cents kilomètres sont en état d’alerte et ont commencé à évacuer. Notamment celles à l’est, où la créature semblait se diriger. Nous craignons surtout pour Brisbane, la plus peuplée, qui se trouve à un peu moins de trois cents kilomètres de la porte.

 — Que peut-on bien faire si on ne sait même pas où la trouver ? interrogea Émilie.

 — À vrai dire, ce n’est pas pour elle que je vous ai fait venir. Curieusement, la démone semble s’être volatilisée. Personne ne l’a vue alors qu’elle aurait déjà dû atteindre plusieurs villes, même ici dans le Queensland.

 — Alors, pour quoi ? » s’impatienta Lise.

 Le responsable australien s’apprêtait à tancer l’impertinente, mais quelque chose dans le regard de celle-ci le fit se raviser.

 « Mademoiselle Barbérys, je présume ? Cela vous concerne, j’imagine. »

 Il pointa la télécommande vers l’écran. L’image changea.

 Cinq commandants encadraient la porte. Ainsi tournés vers elle, ils semblaient scruter la surface du voile, comme s'ils s'attendaient à ce que quelque chose en émerge.

 « C’est en temps réel, précisa-t-il. Depuis leur arrivée chez nous, ils n’ont pas bougé.

 — Ils montent la garde ? s’étonna Richard.

 — Ils l’attendent… » corrigea Lise.

 Nicholas Davis hocha la tête.

 « Je le pense aussi. »

 Lars passa son regard de l’un à l’autre, sans comprendre.

 — Mais de qui vous parlez ? La démone ?

 — Non, répondit Ayame. Elle est toujours de notre côté, même si on ignore où.

 — Alors qui ? Abel ? »

 La Japonaise opina.

 Dans un long soupir, Lise s’adossa à son fauteuil. Pour la première fois depuis deux ans, le soulagement l’emportait sur l’inquiétude. Malgré les arguments, les déductions, la foi inébranlable de son amie, elle n’était jamais parvenue totalement à enterrer cette part d’elle-même qui redoutait la mort de son frère. Mais si les démons eux-mêmes l’attendaient, n’était-ce pas la meilleure preuve de sa survie ? Mieux, de son retour imminent ?

 « Je ne veux pas jouer les rabat-joie, mais ça pourrait tout aussi bien être un autre démon majeur, objecta Richard.

 — La démone n’aurait sûrement pas lancé une offensive sur Terre, si elle savait un concurrent à ses trousses, expliqua Ayame. Cela reviendrait à combattre sur deux fronts en même temps.

 — Et en quoi c’est différent si c’est Abel ? insista le guerrier. Pourquoi l’amener ici plutôt que de s’occuper de lui de l’autre côté ?

 — Parce que lui n’a pas d’armée. Il est dès lors plus facile de lui tendre une embuscade. »

 Ayame hésita un instant.

 « Et il est probable qu’elle réussisse, reprit-elle.

 — Tu crois ? demanda Hanna, dubitative. J’ai souvenir que le démon majeur de la porte d’Orléans se trouvait, lui aussi, accompagné de cinq commandants. Du moins, selon le récit qu’Abel nous en avait fait. »

 Elle montra l’écran de l’index.

 « Ceux-là, qui plus est sans leur chef, ne devraient pas lui poser de problème. Enfin, je sais que, dit comme ça, ça paraît absurde, mais…

 — La porte fait obstacle à sa perception du mana, l’interrompit Ayame. Il ignorera ce qui l’attend de notre côté. Peu importe à quel point Abel est fort, je ne pense pas son corps très différent du nôtre. Si cinq commandants l’attaquent simultanément dès son arrivée, ils pourraient bien le tuer… »

 La légère inflexion de sa voix sur les derniers mots passa inaperçue.

 Tous avaient à l’esprit les événements survenus deux ans plus tôt au Groenland, lorsque l’embuscade d’un seul de ces ennemis avait coûté la vie de Damien et manqué de peu Ayame.

 « Hors de question qu’on laisse cela se produire ! » réagit vivement Lise.

 Debout, les mains à plat sur la table de réunion, elle ne tarda cependant pas à se rasseoir. Une telle décision impliquait l’ensemble de l’équipe ; elle ne pouvait la leur imposer par intérêt personnel.

 Son regard se porta sur Maximilien.

 Le vétéran balaya l’assemblée avant de revenir sur sa protégée.

 « Tes scrupules t’honorent, mais il me semble que tes camarades ont déjà pris leur décision. »

 Chacun à sa manière, les neuf Aegis approuvèrent.

 « Abel n’est pas seulement ton frère, reprit Maximilien. Il est la promesse faite à l’humanité que, malgré les portes, tout ira bien. Et même si nous ne sommes pas ceux qui l’avons formulée, je crois que nous avons tous à cœur de la voir tenue. »

 Un sourire ému se dessina sur le visage de Lise qui ne sut que répondre.

 Nicholas Davis haussa un sourcil, circonspect. Lui seul semblait ne pas comprendre le sens des paroles du Français.

 « La mauvaise nouvelle, dit-il, c’est que vous n’êtes que dix. C’est peu pour affronter cinq commandants, même avec l’expérience qui est la vôtre. Et je n’ai malheureusement aucune unité sous la main pour vous épauler.

 — Où se trouvent Aaron et ses hommes ? demanda Maximilien.

 — Sanders ? Il est resté à la porte américaine.

 — Vraiment ? »

 Le responsable australien acquiesça.

 « Du moins c’était son intention avant que le démon majeur n’apparaisse. Je ne l’ai pas eu depuis, mais les unités sud-américaines ont été mobilisées à sa place.

 — Son aide aurait été la bienvenue.

 — Tant pis, on fera sans, intervint Lars. Niveau entraînement, on n'a pas vraiment chômé ces deux dernières années. En plus, la sœur prodige a l’air remontée comme un coucou. »

 Son regard glissa ensuite sur Ayame.

 « Et puis, j’imagine que la princesse de glace a déjà réfléchi à un plan, je me trompe ?

 — Pourquoi de glace ? l’interrogea la Japonaise avec son habituelle indifférence.

 — Sérieux ?

 — T’en n’as pas marre d’affubler tout le monde de surnoms débiles ? souffla Hanna.

 — Un souci, miss Teigne ?

 — Tu veux crever ? »

 Ayame se tourna vers Lise.

 « J’ai peut-être une idée, oui. »

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