Chapitre 26

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 Postés à la manière d’un pentacle autour du propylée, les cinq commandants déportèrent leurs regards sur la poignée d’humains qui évoluait parmi le millier de cadavres au sol.

 Un rictus condescendant barra leurs faciès monstrueux. Ils patientaient depuis des heures ; ceux-là feraient de bons amuse-gueules.

 Lorsque les humains stoppèrent leur marche, des orbes de flammes se formèrent au-dessus de trois d’entre eux. D’abord rares, ils se multiplièrent rapidement jusqu’à atteindre la quinzaine.

 D’un regard par-dessus leur épaule, Émilie, Yuna et Hanna recherchèrent l’approbation d’Ayame.

 Celle-ci hocha la tête.

 Les soleils miniatures fondirent sur leurs ennemis comme autant de flèches enflammées, provoquant des détonations à répétition.

 Les démons esquivèrent sans peine la pluie incandescente. Toutefois, l’étendue de la zone couverte par les projectiles les obligea à se disperser. Précisément l’effet escompté.

 Les deux soigneuses tendirent alors le bras en direction de Lise dont les sabres courts se mirent à irradier d’une lumière opalescente.

La surcharge ne durera que quelques minutes, songea Ayame. À toi de jouer, Lise.

 Tandis que le mana irriguait les muscles de ses jambes, la guerrière sautilla trois fois sur elle-même, le regard tourné vers la porte. Un commandant lui barrait le passage ; il l’avait apparemment choisie pour cible.

 Au troisième saut, les pupilles de Lise se rétractèrent et elle fonça droit devant elle.

 Elle avala la distance la séparant du monstre à une vitesse stupéfiante. Aux yeux de tous, elle semblait presque avoir disparu. Seule l’image rémanente de l’éclat de ses lames trahissait la trajectoire de sa course.

 Dans un geste réflexe, le commandant ramena son épée en garde haute afin de protéger l’essentiel de ses points vitaux.

 Le rai de lumière dévia vers le bas une fraction de seconde avant de l’atteindre. Une douleur fulgurante traversa sa cuisse droite, juste au-dessus du genou, lui arrachant un rugissement guttural.

 L’humaine lui avait sectionné la jambe.

 Privé de l’un de ses appuis, le géant manqua de s’effondrer. Il planta son arme au sol en guise de béquille et se retourna aussitôt, pressentant l’arrivée du prochain coup.

 Cependant, rien ne vint.

 Son assaillante n’avait ralenti sa course que le temps de l’amputer et filait déjà à vive allure. Pourquoi n’avait-elle pas saisi cette occasion d’en finir ?

Fonce, Lise ! l'encouragea intérieurement Ayame.

 Lorsque les démons réalisèrent le dessein de la jeune femme, il y eut parmi eux un moment de flottement. Devaient-ils tenter de l’arrêter ? La rattraper ? Ou bien poursuivre leur première intention et atteindre les mages humains ?

 De rage, la créature mutilée vociféra des propos incompréhensibles à l’adresse de ses congénères.

 L’instant d’après, les lames de Makoto et de Richard transperçaient son thorax de part en part.

Un de moins. Un autre devrait se lancer à la poursuite de Lise.

 La mort d’un des leurs sortit les commandants de leur confusion. Les deux plus proches dévièrent de leur trajectoire initiale pour fondre sur Richard et Makoto, tandis qu’un troisième rebroussa chemin en direction du portail.

 « Un seul, communiqua Ayame dans l’oreillette. Une fois de l’autre côté, compte six secondes et frappe.

 — OK », répondit Lise juste avant de s’engouffrer entre les deux battants.

 Tout en opérant le décompte dans sa tête, Ayame chercha du regard le quatrième démon. Elle le trouva un peu à l’écart, nimbé d’une étrange lueur.

Un mage ! réalisa-t-elle.

 « Dispersez-vous ! cria-t-elle. Le dernier est un mage ! »

 À peine l’injonction formulée, un magma ténébreux se forma entre les mains du commandant.

 « Pas possible… » nia Saori dans un instant d’égarement.

 Ayame lui attrapa le poignet et l’entraîna sans ménagement aussi loin qu’elle put.

 L’orbe enfla rapidement puis fusa telle une gerbe de flammes noires pour s’écraser au milieu du groupe. Émilie et Yuna évitèrent de justesse le point d’impact, mais pas le souffle de l’explosion qui les balaya tels des fétus de paille.

 La déflagration se propagea ensuite jusqu’à Hanna, manquant de la souffler à son tour. Lorsque ses pieds décollèrent du sol, Lars la rattrapa in extremis et la ramena à lui. À l’abri du bouclier, les projections de roche éclatée parvinrent à la mage dans un concert de tintements.

 Les deux soigneuses perdirent l’équilibre mais s’en sortirent indemnes. Tout comme Isao qui se tenait plus à l’écart.

 « Pardon », s’excusa Saori en se relevant.

 — Je m’occupe d’Émilie. Va soigner Yuna, répondit Ayame sans l’écouter.

 — Yuna ? »

 Saori chercha du regard sa camarade. Elle la trouva étendue de tout son long à une dizaine de mètres de la zone d’impact.

 « Yuna ! »

Avec la surcharge et le bon timing, Lise devrait s’être débarrassée du commandant à sa suite sans trop de difficulté. Le mage est toutefois un problème. Et probablement pas que lui.

 Richard et Makoto parvenaient difficilement à repousser les assauts répétés des deux commandants. La glace d’Isao entravait le mouvement de leurs adversaires, mais le répit offert n’était que de courte durée. Les guerriers n’arrivaient qu’à se défendre, jamais à contre-attaquer. Tôt ou tard, ils commettraient une erreur.

On n’y parviendra pas sans lui. Hurle, Lise ! Hurle ! Souviens-toi du cri que tu as poussé lorsque la porte du Groenland s’est effondrée. Il résonne encore à mes oreilles. Hurle ! Si comme le pensent les démons, ton frère n’est pas loin, il entendra ta voix. Alors, hurle ! De toutes tes forces.

 Lorsque Lise émergea du portail, elle était couverte d’un sang qui ne semblait pas le sien. Sa poitrine se soulevait au rythme d’une respiration profonde, avide de renouveler l’air de ses poumons.

 Elle prit conscience du chaos en quelques secondes. Yuna et Émilie se trouvaient à terre, une soigneuse agenouillée auprès de chacune d’elles. Quant à Richard et Makoto, ils perdaient de plus en plus de terrain face aux deux commandants.

 Elle n’était pourtant partie qu’un court instant. Comment les choses avaient-elles pu tourner ainsi ?

 Sans y réfléchir davantage, la Française avisa le plus proche commandant. Il ne paraissait pas l’avoir remarquée, occupé à éviter les flèches incandescentes d’Hanna. Lars aussi le chargeait.

 Lise s’élança aussitôt. Elle l’atteindrait en même temps que le Norvégien, qui plus est depuis son angle mort.

 Un détail attira cependant son attention. Dans sa position, elle ne percevait pas la main droite du monstre, mais il ne lui parut pas armé.

 Lorsque le commandant se retourna vers elle, la Française comprit pourquoi. Une flamme noire vacillait au creux de sa paume.

 « Barre-toi ! » cria Lars.

 Conjugué à la vitesse de sa course, le projectile magique fut presque instantanément sur Lise.

 Le corps de la guerrière esquiva, au prix d’une improbable contorsion réflexe.

 Totalement déséquilibrée, la jeune femme chuta lourdement au sol dans une succession de roulés-boulés.

 L’adrénaline la poussa à se relever aussitôt, mais elle n’y parvint qu’à moitié. Outre des écorchures plein les bras, du sang coulait de son cuir chevelu. Désorientée, elle posa un genou à terre.

 « Lise ! » entendit-elle hurler.

 C’était la voix d’Ayame. Sa tonalité alarmante l’incita à tourner la tête vers la soigneuse.

  Lise écarquilla les yeux, subitement dégrisée. Instinctivement, elle porta ses bras en croix au-devant de son torse.

 Le cou-de-pied d’un commandant vint s’écraser sur ses avant-bras qui se brisèrent net. La force du coup la souleva du sol, la propulsant sur une dizaine de mètres en direction du propylée.

 Elle sentit un goût de sang remonter dans sa bouche. Malgré la douleur qui lui ravagea la cage thoracique, elle se demanda pourquoi ce commandant se trouvait là. Il n’aurait pas dû y être ; il combattait encore Richard quelques instants auparavant. La réponse lui apparut, limpide, tandis que son corps en miettes roulait au travers du voile : Richard avait perdu.

 Ayame porta malgré elle ses mains au visage quand elle vit le commandant résolu à poursuivre Lise de l’autre côté.

Il va l’achever.

 Elle laissa Émilie inconsciente et courut aussi vite qu’elle le put en direction de la porte. Cependant, le monstre la franchissait déjà à son tour. Elle n'y parviendrait jamais à temps.

 Plus que quelques mètres la séparaient de l’édifice quand elle aperçut une masse la survoler en sens inverse.

  La soigneuse la suivit du regard. Lorsque la forme toucha terre loin dans son dos, Ayame découvrit la dépouille d’un commandant. Il lui sembla reconnaître celui qui venait d’entrer. Ne restaient cependant de lui que la partie inférieure de son corps et un début d’abdomen. Des spasmes agitaient encore ses jambes.

 « Pic énergétique en provenance de la porte, alerta une voix artificielle dans son oreillette. Recherche de correspondance… »

 Lars ne put s’empêcher de sourire.

 « Vous voulez un conseil, les affreux ? triompha-t-il à l’adresse des deux commandants restants.

 — Correspondance trouvée à quatre-vingt-sept pour cent, le vingt-huit février deux-mille-vingt-deux, à Orléans.

 — Fuyez. »

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