Chapitre 31

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 Assise sur le trône d’obsidienne, la tête reposant inclinée dans le creux de la main, Lahabriel paraissait assoupie. Une poignée de gravillons s’égrainant sur le dallage au terme d’une chute vertigineuse vint troubler le silence des lieux. Lentement, la démone entrouvrit les paupières. Ses iris à la clarté surnaturelle se posèrent sur le ridicule monceau de gravats. Une légère vibration les fit trembler à la surface du sol. Puis une autre.

 Son regard glissa machinalement sur le double vantail qui barrait l’entrée de la salle.

Tamriel ? Razel ?

 La démone ferma à nouveau les yeux. Elle les rouvrit quelques secondes plus tard, un sourire satisfait au coin des lèvres.

 Avec langueur, elle se redressa et avisa un point, loin en hauteur, au-delà de l’enchevêtrement d’arcs et de voûtes structurant cette cathédrale à ciel ouvert. Les vibrations parcourant le sol à intervalles réguliers se faisaient maintenant plus fortes.

 D’un bond vertical, elle avala presque instantanément la quarantaine de mètres la séparant du faîte de l’édifice, puis déploya ses ailes. Leurs battements amples la portèrent un peu plus encore en altitude, lui offrant une vue imprenable sur la plaine désolée.

 La gigantesque armée marchant sur le palais d’obsidienne se dévoila alors sous ses yeux. Une marée grouillante de créatures disparates : des démons par milliers, une poignée de commandants et un loup, colossal.

 Son pelage charbon parcouru de veines incandescentes ondoyait au rythme de son pas, souple malgré sa taille. Dépassant les vingt mètres, la bête était si imposante que la masse de ses congénères paraissait une trainée de cendres dans son sillage.

 À mesure que l’armée approchait de l’entrée principale, la colonne s’élargit jusqu’à former un arc de cercle autour du palais.

 Loin d’être intimidée, Lahabriel descendit en altitude et se posa sur une flèche au fronton de l’édifice. Suffisamment bas pour se trouver à portée de la bête, mais assez haut pour encore la toiser. Une hauteur parfaitement calculée, à mi-chemin entre la provocation et le mépris.

 Précédant ses légions, le démon bestial vint à sa rencontre. Le sourire carnassier qu’il arborait ne laissait planer aucun doute sur ses intentions.

 « À défaut de tout le reste, tu n’as au moins rien perdu de ton arrogance, railla-t-il dans un souffle rauque.

 — Ni toi de ta ponctualité, Razel. »

 La bête médita un instant le sens de son propos.

 « Oh ! Je t’en prie, ne fais pas semblant de réfléchir, renchérit la démone. Il n’y a aucun sens caché. Je me doutais bien que mon revers de l’autre côté attirerait les charognards. Et qui mieux qu’un chien pour déterrer un os ?

 — Surveille ta langue, harpie. Le temps qu’il te reste à vivre ne dépend que de ma patience. Je suis cependant curieux. Pourquoi as-tu pensé que je serais celui qui viendrait ? »

 Lahabriel haussa un sourcil, comme si la réponse relevait de l’évidence.

 « Voilà pourquoi je hais les animaux. »

 Le loup retroussa ostensiblement les babines, dévoilant des crocs massifs. En lieu de salive, une coulée de lave s’échappa de ses mâchoires pour s’écraser vingt mètres plus bas.

 « Soit, je vais éclairer ta lanterne, poursuivit Lahabriel. Nous ne sommes désormais plus que cinq. Ka’siel, faire tout ce chemin pour moi ? Non, notre grand favori ne s’abaisserait pas à ça et je dois dire que cela m’arrange. Quant à Rémiel, je doute qu’il m’ait suivie de ce côté de la porte. Ne restent donc plus que…

 — Qu’est-ce que tu viens de dire ? l’interrompit la bête. Rémiel, sur Terre ? Depuis quand ?

 — Depuis le début, je le crains, répondit-elle songeuse.

 — Impossible !

 — Impossible ? Quand l’as-tu vu pour la dernière fois ? Quand nous sommes-nous tous vus pour la dernière fois ? »

 Le loup sembla réaliser.

 « Bien. Maintenant que tu as compris, tu comprendras aussi pourquoi je suis pressée.

 — Pressée de mourir ? ricana Razel. Que crois-tu pouvoir faire, seule, sans armée ?

 — Sans armée ? J’en vois une juste sous mes yeux. »

 Entre les crocs de la bête colossale, la lave s’écoulait de plus belle.

 « Pour qu’elle soit tienne, il faudrait d'abord me tuer.

 — Pour une fois, tu comprends vite.

 — Je ne sais pas si c'est de l'assurance ou de l'inconscience, mais dois-je te rappeler que tu as perdu contre un humain ? Un misérable humain. »

 La démone haussa les épaules, narquoise.

 « Que veux-tu, tout le monde n’a pas la chance d’être le meilleur ami de l’homme.

 — Toi… », grogna le loup.

 Lahabriel tendit la main à son rival et fit claquer deux fois sa langue. Elle jubilait.

 « Allez, donne la papatte. »

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