Chapitre 32

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Des moines (États-Unis).

 Depuis son abandon par la population quatorze années plus tôt, la petite capitale autrefois prospère de l’Iowa était devenue presque méconnaissable. Le temps l'avait transformée en une ville fantôme, l’armée en un champ de ruines, avant même le début des combats. Lorsqu’il avait hérité de la responsabilité du site de défense de la porte américaine, Aaron Sanders avait fait détruire tous les plus hauts bâtiments de la cité, pour gagner en visibilité. Il ne restait pour ainsi dire d’elle qu’un quadrillage routier, typique des villes du nouveau continent, au milieu duquel trônait un immense bloc de béton.

 Depuis le toit de l’un des rares immeubles encore debout, le chef canadien contemplait, méditatif, le monolithe aux proportions dantesques.

 « Les préparatifs sont achevés, monsieur, l’informa l’opérateur à ses côtés. Nous n’attendons plus que votre ordre. »

 Un silence lui répondit.

 « Monsieur ? finit par répéter le soldat.

 — Comment vous appelez-vous, jeune homme ? » l'interrogea Sanders sans détourner le regard de l’édifice.

 La question prit manifestement l’opérateur au dépourvu.

 « Wilson, monsieur. Zack Wilson, répondit-il avec une pointe de méfiance dans la voix.

 — Wilson donc. Vous êtes américain, n’est-ce pas ?

 — Du Kentucky, monsieur, acquiesça-t-il sans savoir où son supérieur voulait en venir.

 — Parfait ! Vous saurez donc peut-être m’éclairer. Pouvez-vous me dire d’où vient cette improbable passion de vos compatriotes pour le béton ?

 — Je… je…

 — Entre nous, le coupa-t-il d'emblée. Qu’est-ce qui est passé par la tête de mon prédécesseur, quand il a choisi de couler cette porte sous des kilotonnes de ciment ? Enfin, je sais bien que la passion rend aveugle, mais quand même ! Il faut bien être aveugle pour ne pas voir l’inutilité de cette… cette chose ! Et je ne parle même pas de son esthétique, très contestable au demeurant.

 — C’est la raison pour laquelle vous avez envisagé un autre moyen de défense, rappela le jeune soldat pour mettre fin au monologue. Le canon électromagnétique, monsieur. Nous devons procéder à l’essai.

 — Hmm… Vous avez raison. »

 Soulagé, l’opérateur reporta son attention sur les indicateurs de son écran.

 « Néanmoins, Wilson, le canon, pensez-vous que ce serait un problème si nous changions la cible du test ? poursuivit le chef en désignant du doigt le monolithe.

 — Vous voulez viser la porte ? s’affola le soldat. Je… je l’ignore. Je ne suis pas autorisé à émettre un avis sur…

 — Rassurez-vous, mon garçon. Je vous taquine. »

 L’opérateur souffla.

 « Aussi inutile que soit cette défense, nous ne gagnerions rien à la détruire, reprit Sanders avec plus de sérieux. Tout au plus, froisserions-nous quelques susceptibilités. Tenons-nous-en à la cible initiale.

 — Bien, monsieur. »

 Sanders avisa les restes d’un bâtiment en ruine à une vingtaine de mètres de sa position. Une épaisse plaque de blindage en recouvrait la façade ouest. Son regard se porta ensuite sur l’horizon, reproduisant mentalement la trajectoire qu’accomplirait d’ici peu le tir. À une quinzaine de kilomètres de là, des dizaines d’ingénieurs et techniciens s’affairaient dans le complexe conçu spécialement autour de cette arme hors-norme, à l’affût de la moindre anomalie à susceptible d’en perturber le fonctionnement.

 « Bien, procédons aux dernières vérifications, ordonna le chef canadien. Normalement, nous ne devrions pas avoir de déconvenue, mais au prix que coûte l’un de ces essais, il est préférable de nous en assurer.

 — Oui, monsieur.

 — Nous opérerons un tir en rafale à trois projectiles. Ordonnez leur imprégnation ainsi que celle de la plaque. »

 Sitôt les consignes données, deux mages en contrebas insufflèrent du mana dans le blindage jusqu’à saturation.

 « Saviez-vous, digressa Sanders le temps de la manœuvre, que la consommation électrique du canon suffirait à alimenter une ville trois fois plus grande que celle que nous avons sous les pieds ? Enfin, j'entends à l'époque de sa superbe.

 — Oui, monsieur. D’où son temps de refroidissement élevé.

 — Vous avez bien révisé, Wilson.

 — Merci, monsieur. Imprégnation des projectiles et de la plaque effectuée.

 — Une estimation du délai avant impact ?

 — Approximativement six secondes, monsieur.

 — Parfait. Procédez au tir. »

 L’opérateur transmit l’ordre à distance puis effectua le décompte à voix haute.

 « Cinq, quatre, trois, deux, un… »

 En lieu et place du zéro, l’écho d’un puissant tintement métallique résonna dans la ville dévastée. Quelques secondes plus tard, un souffle semblable à une brise légère parvint jusqu’au superviseur.

 Perforé en trois endroits, sur une zone avoisinant un mètre cinquante de diamètre, le blindage n’avait pas résisté. Tout comme la bâtisse qui le soutenait.

 « Stupéfiant, lâcha le jeune soldat.

 — N’est-ce pas ? Connaître la fiche technique est une chose, la voir à l’œuvre en est une autre. La première arme balistique tueuse de démon majeur conçue par l’humanité. Passez-moi en vocal sur le canal prioritaire, je vous prie. »

 L’opérateur s’exécuta.

 « Mesdames et messieurs, félicitations. Vous avez bien travaillé. Ce soir, la première tournée est pour moi. Sanders, terminé. »

 Le jeune soldat sembla hésiter à prendre la parole.

 « Hmm ? l’incita son chef à s'exprimer.

 — Vous pensez que ça suffira ? Je veux dire, pour venir à bout de telles abominations ? »

 Sanders reporta son attention sur le monolithe de béton, comme s’il méditait sa réponse. Un bruit de détonation étouffée s’entendit au loin. Quarante-cinq secondes après le déclenchement du tir, le son lui parvenait enfin.

 « Tuer un démon majeur, peut-être pas. Mais le rendre vulnérable, ça, c’est une certitude. »

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