Chapitre 34

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Ji’an (Chine).

 Dans la pénombre de la salle de réunion du complexe militaire, les images du combat opposant Abel à Lahabriel défilaient sur l’écran de projection.

 Télécommande en main et casque sur les oreilles, la spectatrice ne cessait de sauter d’une scène à l’autre, pour ensuite revenir plusieurs minutes en arrière dans un incessant va-et-vient. Machinalement, la jeune femme se massa le front de sa main libre, comme pour gommer l’anxiété pesant sur ses traits fins.

 Dans un soupir, elle se laissa retomber sur le dossier de son fauteuil.

 Au même moment, une vive lumière blanche l’obligea à plisser les yeux, accentuant un court instant leur forme légèrement effilée.

 « Putain, lâcha-t-elle en se retournant sur son siège. Tu pouvais pas prévenir avant, Huang ? »

 L’homme, que l’on devinait jeune en dépit de son visage buriné, haussa ses épaules trapues.

 « C’est ce que j’ai fait, Mei. Mais t’as visiblement pas entendu. D’ailleurs, qu’est-ce que tu peux bien écouter là-dedans ? Ces images n’ont pas de son.

 — C’est l’enregistrement des communications de l’équipe japonaise lors de l’affrontement. Le chef me l’a transmis.

 — Et ça t’a appris quelque chose d’intéressant ?

 — À part que l’une de leurs soigneuses a des nerfs d’acier, pas vraiment, reconnut-elle.

 — Hmm. »

 Devant sa réponse laconique, Mei le considéra un bref instant. Elle mit la vidéo en pause, puis fit glisser le casque sur sa nuque, libérant ainsi ses cheveux noirs coiffés en carré plongeant.

 « Bon, épargne-moi cet air désapprobateur et crache le morceau. Quel est le problème ?

 — Pourquoi tu regardes encore ce truc ? Qu’est-ce que t’y cherches exactement ?

 — Comprendre, Huang, répondit-elle un peu lasse. Je cherche à comprendre.

 — Ah ? T’es pourtant la mieux placée pour ça. Après tout, toi aussi t’es une manipulatrice de mana de génie. Je veux dire, techniquement, vous êtes pareils, lui et toi. Non ? »

 Mei sourit nerveusement.

 « Autant qu’un chat puisse ressembler à un tigre. Il est plus puissant, plus rapide, incante instantanément…

 — Toi aussi t’es tout ça, la coupa-t-il. Et t’incantes presque instantanément également.

 — Oui, mais il y a tout un monde dans ce "presque". Et je ne parle même pas de sa flamme qu’on ne voit pas à l’écran. Ce type plie le mana à sa volonté ; il est meilleur que moi en tout. Mais c’est pas ça que je ne comprends pas.

 — Alors quoi ? » demanda sèchement Huang qui n’aimait pas la voir se rabaisser.

 Mei reporta son attention sur l’écran et plus précisément sur Abel.

 « Le chef semble persuadé qu’il n’est pas notre allié. Et j’ai beau regarder encore et encore, je n’arrive pas à le voir autrement que comme un allié.

 — Quelque chose à voir avec sa gueule d’ange ? »

 Mei le considéra d’un œil peu amène.

 « T’es vraiment en train de me poser cette question ?

 — Ah, c’est vrai. Excuse. J’oubliais que les gars, c’était pas ton truc. »

 Elle surprit son regard se balader sur elle à la dérobée. Ce n’était même pas de la provocation. Il n’avait tout simplement pas conscience de son indélicatesse.

 « Un beau gâchis, si tu veux mon avis, ajouta-t-il.

 — Précisément, j’en veux pas. Et peut-être que si je n’étais pas entourée de mufles, les choses seraient différentes. Mais peu importe, mes préférences sexuelles n’ont rien à voir avec ça. »

 En dépit de leur ton cinglant, ses paroles glissèrent sur Huang comme l’eau sur la roche.

 « Hmm, se contenta de maugréer celui-ci. Enfin, tu devrais pas trop te poser de questions. Pour moi, le vieux n’a pas tort. Lui, il l’a vue la flamme de ton gars et apparemment elle fait, genre, dix mètres de haut. Alors, j’y connais peut-être rien en mages, mais je crois que c’est assez loin des standards humains. Ajoute à ça le fait que le mec fait jeu égal avec des démons majeurs, ou encore qu’il fait des trucs que, même toi, tu trouves hallucinants. Personnellement, il m’en faut pas plus : ce type-là est pas humain, point barre.

 — Pas humain, sembla-t-elle méditer.

 — Bref, t’attache pas trop, car il se pourrait bien qu’on l’affronte un jour. Et ce jour-là, on aura besoin de toi, capitaine. »

 L’insistance avec laquelle il avait articulé ce dernier mot n'échappa pas à Mei.

 « Ah, au fait, se rappela Huang juste avant de sortir de la salle. Le vieux veut te voir.

 — OK, je le rejoins d’ici quelques minutes.

 — Il t’attend au dix-septième sous-sol. »

 Mei ne répondit pas immédiatement.

 « Très bien, j’arrive. »

 Après que Huang eut quitté la pièce, Mei passa la vidéo en vitesse accélérée jusqu’à atteindre la dernière séquence qu’elle visionna une nouvelle fois. Sur l’écran, Abel s’apprêtait à poursuivre la démone par-delà la porte quand Ayame l’en empêcha. Lorsqu’il se retourna sur elle, sa détermination paraissait l’avoir soudain abandonné.

 « Pas humain, hein ? »

***

 Parvenue dans l’ascenseur sécurisé du complexe militaire, Mei pencha légèrement la tête en avant pour mieux retirer la chaîne ceignant son cou ; en guise de pendentif, une clé plate en apparence tout à fait commune. Mei la déposa au creux de sa main, puis ferma le poing. Lorsqu’elle le rouvrit, la clé présentait des reflets irisés. Elle l’inséra dans la serrure idoine, puis l’ascenseur amorça sa descente.

 Juste avant que les portes ne s’ouvrent, dix-sept niveaux plus bas, elle prit une profonde inspiration. Elle n’aimait décidément pas l’atmosphère de ce lieu.

 Au milieu de la vaste pièce enténébrée, le vieux Tian Guo attendait, les mains croisées dans son dos. Sur son visage dansaient les reflets rougeoyants de la seule source de clarté présente à ce sous-sol.

 « Tu n’apprécies pas de venir ici, n’est-ce pas ? questionna-t-il sans la regarder.

 — En effet, avoua Mei.

 — C’est notamment pour cette raison que, moi mis à part, tu es la seule à posséder la clé. Jamais une personne sur laquelle ce lieu exerce une attraction ne doit pénétrer ici.

Alors, qu’y faites-vous ? se retint-elle de dire.

 « Me comprends-tu ? » ajouta-t-il.

 Mei se contenta d’acquiescer.

 « Seulement trois portes attendent encore de s’ouvrir. Tôt ou tard ce sera la nôtre et il y a fort à parier que ce garçon viendra.

 — Comme de nombreux Aegis à travers le monde, avança-t-elle.

 — Certes, mais tous n’ont pas passé deux ans en Enfer.

 — Cela fait-il forcément de lui notre ennemi ? »

 Le vieil homme soupira.

 « Je ne te demande pas nécessairement de le considérer comme tel. »

 Il sonda sa subordonnée du regard.

 « Déploie ta flamme, je te prie », lui intima-t-il.

 La jeune femme hésita.

 « Tu ne risques rien, fais-moi confiance », insista son chef.

 Mei obtempéra. À mesure qu’elle libérait sa flamme, la pièce gagnait en clarté, comme baignée d’une lumière toujours plus vive. Son regard se posa sur la source qu’elle avait soigneusement évitée jusque-là. Le reflet d'une auréole incandescente imprima sa pupille.

 Prise de panique de se voir entrer en résonnance avec elle, Mei rappela aussitôt sa flamme. Le souffle court, elle ferma les yeux, autant pour en chasser l’image que pour calmer les palpitations de son rythme cardiaque.

 Dans la pièce, l’obscurité reprit peu à peu ses droits.

 « Maintenant, expliqua Tian Guo. Représente-toi ce garçon avec la puissance qui est la sienne. Ami ou ennemi, est-ce bien raisonnable de le laisser approcher cette couronne ? »

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