Chapitre 35

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Kyoto, trois semaines plus tard.

 Sur le versant ouest du mont Hiei, les dernières lueurs de l’aurore caressaient les hauteurs verdoyantes. Pour quelques heures encore, la forêt se trouverait épargnée par les premières chaleurs estivales.

 Sur un chemin alternant entre sentiers ombragés et escaliers en pierre, les membres de l’unité japonaise filaient à vive allure. Après trente kilomètres de course à pied cependant, les guerriers avaient largement distancé les mages, à l’exception d’Abel et d’Ayame qui parvenaient à suivre le rythme ; sans problème pour le premier, plus difficilement pour la seconde.

 « Allez, les mages anémiques ! On lâche pas, encouragea Lars d’une voix forte.

 — Pas sûr qu’ils t’entendent, suggéra Richard. Ça fait un moment qu’on ne les voit plus. »

 Comme pour s’en assurer, Lars jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.

 « La ferme ! lui répondit un lointain écho qu’il attribua sans peine à Hanna.

 — Ah si ! s’en amusa Richard.

 — La vache ! Ils sont super loin en fait, s’aperçut le Norvégien.

 — C’est normal, relativisa Lise. Mis à part quelques sorts de renforcement musculaire, nous, les guerriers, n’avons que notre condition physique. Les mages, eux, ont de nombreux autres atouts.

 — Mouais, fit Lars, dubitatif. N’empêche, ils pourraient faire un effort. Ils arrivent bien à suivre eux. »

 Du pouce, il désigna Abel et Ayame.

 « Bon, OK, lui est un cas à part. Mais elle ? Quoiqu’elle a l’air encore plus pâlotte que d’habitude… »

 Lars la dévisagea, goguenard.

 « On aurait du mal à jouer dans la cour des grands, princesse ? »

 En dépit de la fatigue qui s’installait, Ayame le considéra d’un air hautain avant de reporter son attention sur sa course.

 « Oh ! Tu m’en veux encore pour la photo ? Arrête, ça me donnerait presque envie d’augmenter le rythme.

 — Fanfaronne pas trop, se moqua Lise. J’en connais d’autres qui seraient vite largués si on accélérait vraiment.

 — Bah tiens ! Tu fais bien de la ramener, toi. Je me demandais justement lequel des deux Barbérys était le plus rapide. Ton frère ou toi ?

 Lise soupira.

 « Y a pas à dire, t’es bien un mec ! Toujours à chercher qui pisse le plus loin.

 — T’en doutais, ma belle ? Non, plus sérieusement, je suis curieux de savoir.

 — Abel, évidemment.

 — Lise », répondit son frère au même moment.

 Tous deux se regardèrent, étonnés. Lars, quant à lui, se frottait déjà les mains.

 « Vous savez quoi, les enfants ? renchérit-il. Je crois que la fin de ce marathon promet d’être sympa.

 — Il n’y a qu’un enfant ici, souffla Ayame en devinant ses intentions.

 — T’inquiète, princesse, je ne t’oublie pas. On va tous jouer. Il nous reste un peu plus de dix bornes. Le premier de retour au QG aura le droit à un massage de la part de notre chère soigneuse, ici présente. »

 La principale intéressée demeura de marbre.

 « Dommage que tu n’aies aucune chance de gagner, répliqua-t-elle entre deux inspirations. Je t’aurais volontiers déplacé deux ou trois vertèbres.

 — Ouais, mais comme tu l’as dit, je risque pas grand-chose. Du coup, j’en déduis que tu valides ? »

 La Japonaise haussa les épaules.

 « À vos risques et périls, je ne promets pas d’être douce. »

 Malgré l’avertissement, Richard et Makoto accélérèrent progressivement leur allure.

 « Super ! enchaîna Lars. Et maintenant, la règle la plus amusante : pour le, ou plutôt devrais-je dire la dernière arrivée, le masseur, ce sera moi. »

 Sitôt l’annonce formulée, Lise dirigea son mana vers ses jambes et partit en trombe.

 « Je l’ai rarement vue courir si vite, constata Ayame. Un aperçu de ton charme ravageur, Lars.

 — Moque-toi, princesse. On se voit tout à l’heure pour la séance de massage. »

 Le Norvégien lui adressa un clin d’œil.

 « Hanna appréciera, j’en suis sûre.

 — Un pari est un pari. À plus ! »

 Lars accéléra à son tour sa foulée, laissant Ayame et Abel derrière lui.

 « Penses-tu pouvoir les rattraper ? demanda le jeune homme.

 — En imitant Lise, sans doute. Je n’ai cependant pas son endurance pour maintenir le rythme jusqu’au bout. Et toi, tu comptes laisser la victoire à ta sœur ?

 — Elle est déjà loin, fit-il remarquer.

 — Je suis sûre que la rejoindre est à ta portée. N’est-ce pas ?

 — Au prix de quelques cratères, plaisanta Abel. Peut-être.

 — Mais tu n’as pas l’air décidé à le faire. »

 Pour toute réponse, le jeune homme haussa les épaules.

 « J’en conclus que : soit le "premier prix" ne t’intéresse pas, soit tu souhaites m’éviter le dernier en occupant toi-même cette place. La première hypothèse serait vexante ; la seconde prévenante, je dois l’admettre. À moins que tu ne me préfères Lars, ce qui serait encore plus vexant. Dès lors, qu’en est-il ? »

 Essoufflée par sa longue explication, Ayame s’efforça de réguler sa respiration.

 « Pour être tout à fait honnête, j’avais en tête une troisième hypothèse. Mais elle suppose ton accord.

 — Tu l’as.

 — Attends ! Tu ne sais même pas ce que je vais te demander.

 — Qu’importe, dit-elle pince-sans-rire. Plutôt m’ouvrir les veines que de laisser Lars poser la main sur moi. »

 Parvenu à hauteur de Richard et de Makoto, le Norvégien éternua.

 « C’est curieux qu’Abel ne nous ait pas déjà rejoints, s’étonna le Français en jetant un œil par-dessus son épaule.

 — Hmm. T’as raison, c’est louche. »

 Lars réfléchit un instant.

 « Merde, réalisa-t-il. À tous les coups, il va sauver la mise de la princesse en finissant lui-même dernier.

 — Ce serait bien son genre, en effet », approuva Richard.

 Une détonation retentit soudain dans la forêt, provoquant l’envolée d’une nuée d’oiseaux.

 « C’était quoi ça ? demanda le Français.

 Au même moment, une ombre les survola. Elle retomba lourdement sur le sentier quelques mètres devant eux.

 À peine atterri, jambes fléchies, Abel s’apprêtait déjà à bondir de nouveau. Dans un bruit sourd, il disparut presque aussitôt du champ de vision des trois guerriers, laissant pour seules traces de son passage une large dépression et l’écho d’un rire cristallin.

 « L’en-foi-ré, jura Lars, en articulant chacune des syllabes.

 — Ah ouais, quand même. Je ne savais pas qu’il était capable de voler, exagéra Richard.

 — Et moi, je ne savais pas qu’elle était capable de rire, avoua Makoto.

 — Attends. C’était Ayame le truc dans ses bras ? demanda le Français.

 — Ouais, confirma Lars, dépité.

 — Attends, répéta Richard. Du coup, ça veut dire que…

 — Ouais. Makoto et toi, vous êtes maintenant les derniers. »

 Les deux guerriers échangèrent un regard teinté de dégoût. Puis ils coururent à toutes jambes.

***

 Quelques minutes plus tard, Abel et Ayame retrouvèrent Lise au pied du complexe militaire. Loin de savourer sa victoire, ou de s’amuser de voir la Japonaise dans les bras de son frère, elle affichait un air grave. Tous deux dégrisèrent aussitôt.

 « Que s’est-il passé ? Une autre porte s’est ouverte ? » hasarda Ayame, craignant le pire.

 Lise secoua la tête.

 « Pas une. Deux. »

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