73. Je t'aime et puis c'est tout !

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Julia

- Arrête de gesticuler dans tous les sens, bordel ! m’emporté-je en plaquant Snow pour la troisième fois sur le brancard.

- Laisse-moi aller la voir !

- Eva s’occupe d’elle, arrête tes conneries, Mathias, je t’en prie !

Le regard de mon ami fait le tour du coin où nous nous trouvons, au bord d’un chemin, dans la forêt, pour tomber sur le dos d’Eva.

- Comment elle va ?

- Je ne sais pas, je m’occupe de ton cul je te signale.

- Va voir comment elle va ou j’y vais moi-même !

Je l’observe quelques secondes, serrant ma main dans la sienne, et ne peux que constater son inquiétude. Evidemment, je la comprends bien, j’étais dans ce même état d’esprit il y a quelques heures, quand j’ai demandé à Arthur de ne pas venir. Je n’ose même pas imaginer comment je serais si c’est lui qui était sur le brancard à quelques mètres de là.

- Arthur est avec elle, Mathias, il nous tiendra informés.

- Je m’en branle comme de l’an quarante, c’est maintenant que je veux des nouvelles, bougonne-t-il en tentant, en vain, de se redresser.

Cette mission était clairement à haut risque et on en paie le prix. Ça aurait pu être pire, c’est sûr, mais quand je vois mes hommes épuisés, assis un peu partout dans ce coin perdu alors que le soleil descend et vient nous éblouir à travers les arbres, je me dis que le Colonel avait peut-être raison. Cependant, il me suffit de regarder le groupe de Silvaniens dont Myriam s’occupe, les enfants dans les bras de leurs parents, les parents au regard hanté, pour savoir que nous avons fait ce qu’il fallait. Justine va s’en sortir, c’est sûr. Il y avait beaucoup de sang, mais il y a plus de peur que de mal. Il ne peut en être autrement.

- Snow, respire un coup et agis comme un soldat, pas comme le petit ami. J’ai besoin de mon Sergent.

- Comment veux-tu que je fasse ça alors qu’elle est en train de perdre ses boyaux, bordel ?

- Je t’ai dit qu’Eva s’occupait d’elle, dis-je en resserrant le garrot sur le haut de son bras, le faisant grimacer.

- Oh Julia, craque-t-il alors, je ne veux pas qu’elle meure. Il faut la sauver. S’il te plaît, promets-moi qu’on va la sauver.

- Tu sais bien que je ne peux rien te promettre, si ce n’est qu’Eva fait son maximum, Mat. Je vais aller voir où ça en est, mais promets-moi de rester là, tu as déjà perdu beaucoup de sang.

- Mais non, c’est rien. Juste une grosse coupure. Dans quelques jours, on ne verra plus rien. Ok, je reste là, mais reviens vite. J’ai besoin d’être rassuré !

J’acquiesce et l’embrasse sur le front avant de me relever en grimaçant pour rejoindre Arthur et les autres. Je ne sais pas comment je me suis débrouillée pour échapper aux éclats d’obus, contrairement à Justine et Mathias, mais j’ai été projetée par le souffle alors que je les rejoignais pour leur demander de ne pas trop traîner, et ça ne fait pas de bien. Rien comparé à ce qu’ils ont, eux, c’est sûr. Mathias a beau dire que c’est une grosse coupure, je ne suis pas sûre qu’il reste avec nous selon le rapport qu’en fera Eva. C’est assez vilain quand même. Beaucoup moins, cela dit, que ce que j’ai sous les yeux en arrivant près du brancard de Justine. Je ne dirais pas qu’elle perd ses boyaux, mais c’est plus grave que ce que j’espérais, c’est sûr.

- Comment va-t-elle ? Tu t’en sors, Eva ? Tu as besoin d’un coup de main ?

- Non, ça va. Arthur m’assiste bien, me répond-elle en me montrant mon Bûcheron, les mains occupées à tenir le bandage installé sur le ventre de Justine.

- Ça marche… Snow veut des nouvelles, je lui dis quoi ?

- Oh, ça va aller, mais tu peux lui dire que les galipettes, c’est fini pour un petit moment, là. Elle va s’en sortir, c’est surtout une plaie ouverte, mais aucun organe n’est atteint. Il faut qu’on les ramène tous au camp rapidement par contre.

- Mon équipe est partie récupérer les véhicules, ils ne devraient pas tarder. On n’aurait peut-être pas dû se garer en dehors de la ville, soupiré-je. Je vais le rassurer alors, merci Eva.

- Et toi, intervient Arthur, ça va ? Tu n’as rien ?

- Tout roule, juste un ego blessé, ça pique mais sans doute moins que pour nos deux tourtereaux.

- On a bien fait de venir, quand même. Sinon, tous ces habitants seraient morts de faim ou de froid. Heureusement que ce n’est pas plus grave, dit-il d’une voix basse et résignée.

J’acquiesce en silence et pose à nouveau mes yeux sur les Silvaniens. Penser que le Colonel refusait cette mission me donne la nausée. Ces pauvres gens n’ont rien demandé et il voulait les laisser sur place, ça me tue et je n’arrive pas à encaisser que l’armée puisse en arriver là. Je ne me suis pas engagée pour ça.

Je pose ma main sur l’épaule d’Arthur et l’enserre légèrement en lui souriant.

- Bien joué, le Bûcheron, tenir tête au Colonel, c’est pas évident.

- Oui, mais à quel coût ? Il va te tomber dessus avec les deux blessés…

- Je suis prête à encaisser, ça ne sera pas ma première réprimande. Je suis réputée pour être une tête brûlée, et ça lui plaît autant que ça l’agace, dis-je en lui faisant un clin d'œil.

- Tu devrais aller t'occuper de Snow. Je crois qu'il essaie de se lever. Tu crois qu'on va pouvoir rentrer avant la nuit ?

- Oui, je pense. Collins va faire tout ce qu’il faut pour, en tous cas. A plus tard.

Je me dépêche de rejoindre Mathias et lui intime d’un regard noir l’ordre de se rallonger.

- Elle va s’en sortir, dis-je en m’agenouillant à ses côtés. Aucun organe n’est touché. J’espère que tu aimes les femmes avec des cicatrices, parce que la pauvre va en avoir une jolie.

- Oh. Tant mieux ! Mais quel con, ton Arthur de l'avoir fait venir avec nous !

- C’est le boulot, Mat, et tu le sais. On n’est pas là pour tomber amoureux, Beau Blond, mais pour faire notre taf. Et Justine aussi.

- Ouais, son taf, c'est pas de se faire exploser sur des mines. Je te jure que je vais tuer ton Bûcheron si elle ne s'en remet pas. Et toi avec ! Pourquoi on n'a pas écouté le Colonel ?

- Parce que le Colonel merde et ne fait pas son boulot, et qu’on a une conscience professionnelle et des valeurs, Snow. Je comprends que tu sois en colère, vraiment, mais arrête de t’agiter et repose-toi un peu.

- Facile à dire. Mais tu ferais quoi à ma place avec Arthur blessé ? Dis-moi que tu ne serais pas en colère, peut-être ?

- Parce que tu crois que je ne le suis pas de te voir sur un brancard ? De vous voir dans cet état ? soupiré-je. Je m’en veux, évidemment ! Mais ce qui est fait est fait, on a sauvé une vingtaine de personnes et et aucun homme de notre effectif n’a été tué, c’est l’essentiel.

- Ce n'est pas de ta faute, Ju, personne ne l'a vue cette mine… On a eu de la chance finalement que seule Justine ait été blessée avec moi. Heureusement que les autres nous fuient quand on se fait des bisous ! rit-il en se détendant enfin.

- Hum… Évitez les bisous sur le champ de bataille la prochaine fois quand même, marmonné-je en voyant Collins arriver. On va pouvoir rentrer. Ne me refais plus jamais une frayeur pareille ou je te jure que je te botte le cul, Sergent ou pas. C’est clair ?

- Oui pour la frayeur, mon Lieutenant. Pour les bisous, je ne promets rien. Sauf si Justine est rapatriée suite à sa blessure, rajoute-t-il tristement.

- Y a des chances, Mat, je doute qu’elle reste ici, il va falloir te faire à cette idée. Vois le côté positif, dans deux mois tu rentres et elle sera là, elle.

- Oui, c'est vrai. Et c'est bien parce que je ne veux pas t'abandonner que je reste, moi. Je suis sûr que je pourrais obtenir un repos avec ma blessure…

- Si tu veux rentrer, fais-le. Je ne t’en voudrai pas. Je te demanderai juste d’aller voir Joker et de lui faire des papouilles de la part de sa maîtresse, ris-je.

- Non, si Eva me déclare apte, je reste. Je suis un soldat quand même. Je ne vais pas te laisser, même pour les jolis yeux de Justine.

- Dommage, tu as le don de me casser les ovaires quand t’es en forme, souris-je en me relevant.

Je fais signe à mes hommes de se mettre en route pour rentrer, et tout ce petit monde quitte sa place et se met en action afin de regagner les véhicules garés à quelques mètres. Collins me fait un signe de tête, en guetteur à une cinquantaine de mètres de là, et j’aide les Silvaniens à grimper dans le VAB. Tout le monde s’entasse dans les véhicules de transport de troupes et je me mets au volant du PVP que Snow conduisait tout à l’heure alors que les deux blessés sont enfin réunis à l’arrière.

- Je vais essayer de ne pas trop vous secouer, mais évitez de vous sauter dessus quand même, ris-je en voyant Snow déjà bouger pour attraper la main de Justine sous le regard attendri d’Eva.

- Oui Cheffe ! On a assez sauté aujourd'hui !

Je soupire en l’entendant plaisanter. Le voir en rire me rassure, davantage que la grimace qu’il tire quand la médecin l’examine enfin. Le Colonel va m’arracher les yeux, à n’en point douter, mais je ne regrette pas d’avoir organisé cette mission.

Arthur grimpe dans le véhicule à mes côtés alors que j’entends la porte arrière du PVP claquer. Il semblerait que nous soyons prêts à partir et j’ouvre le bal, à l’affût de tout, histoire que nous ne sautions pas une fois de plus, c’est sûr. Normalement, nous ne devrions pas être attaqués puisque nous sommes sous couvert de l’ONU et en lien avec le Gouvernement silvanien, mais une petite mine bien planquée pourrait faire des dégâts considérables et beaucoup de morts. Les VAB sont blindés, et blindés de monde également, autant dire qu’une explosion pourrait être fatale.

Chacun d’entre nous est étrangement silencieux, comme si nous retenions tous notre respiration avec l’espoir d’arriver sains et saufs au camp. L’ambiance est lourde et seulement perturbée par les grognements de Snow à l’arrière, qui bougonne sur Eva. Je retiens de peu un soupir de soulagement en voyant le haut portail qui apparaît au loin et ne relâche pas ma vigilance jusqu’à ce que le moteur soit enfin éteint. Nous restons encore un moment silencieux alors que le camp s’agite autour de nous, histoire de réaliser que tout s’est plutôt bien fini, avant que je ne me tourne finalement vers l’arrière.

- On est en vie, bordel, souris-je. Allez, au boulot !

- Abuse pas, Ju, sinon je le dis au Colonel ! Et tu auras le choix entre les latrines ou la corvée de patates !

- Oh Matt ! Tu es fou ! s'exprime Justine qui était restée silencieuse jusque-là. Mais je crois que c'est pour ça que je t'aime, Beau Blond ! Et je ne dis pas ça parce que je vais avoir besoin d'un infirmier ! Je t'aime et puis c'est tout ! La vie est trop courte pour ne pas en profiter !

Snow, d'habitude si expressif en reste sans voix, comme nous tous d'ailleurs. Arthur est le premier à se remettre et applaudit, nous entraînant avec lui. Je me joins à la joie retrouvée tout en gardant dans un coin de ma tête qu'elle n'est peut-être pas la seule à être amoureuse.

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