74. Visio de folie

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Arthur

Nous laissons Snow et Justine à l’infirmerie avant de nous rendre à la salle des opérations. L’humeur n’est cependant pas aux rires et à l’amusement comme ça l’était la dernière fois que nous nous sommes retrouvés tous les deux seuls ici. Loin de là. Il faut que Julia appelle le Colonel et qu’on l’informe de ce qui est arrivé pendant la mission. Normalement, je n’ai pas à être là, mais je lui ai proposé de venir l’accompagner. Et l’encourager alors que son supérieur risque d’être particulièrement en colère.

Avant de monter, j’ai croisé Dan qui m’a informé que ma mère est partie. Avec une trentaine d’hommes. Il m’a aussi dit qu’il a entendu des rumeurs, confirmées par Lorena, sur le lancement d’opérations destinées à renverser le Gouvernement. La Gitane a tenu parole et a lancé les opérations. J’ai l’impression que tous les rebelles n’attendaient que ça pour se mettre en branle. Cela fait trop longtemps qu’ils étaient sur la réserve. Mais ce que cela signifie pour nous, je n’en ai aucune idée. En tous cas, on a décidé de ne pas parler en détails de ces départs au Colonel, même s’il va falloir l’informer de tous ces mouvements. Ça promet.

Julia allume l’ordinateur et dépose ses armes et son matériel dans sa chambre. Elle revient rapidement et je vois clairement qu’elle stresse à l’idée de la réunion qui va débuter. Je m’approche d’elle et la serre quelques instants dans mes bras. On ne se parle pas, les mots ne servent à rien, mais je suis là pour elle comme elle l’est toujours pour moi. Juste ma présence a l’air de lui faire du bien. Je finis par rompre le silence alors qu’un bip retentit sur l’ordinateur.

- Il t’a répondu, le Colonel ? Il va être disponible ? Tu crois que quelqu’un l’a déjà mis au courant ou pas ?

- Je ne pense pas, à moins qu’il ait des espions ici. Il doit appeler quand il a cinq minutes, mais je doute qu’il tarde, vu qu’il était certain que ça se passerait mal.

- D’accord. Tu n’hésites pas à me donner la parole si ça dérape trop. J’improviserai, dis-je en souriant.

- J’y penserai, promis, sourit-elle doucement. Mais un Colonel moralisateur, il n’y a pas grand-chose à lui faire entendre.

- On a ramené une trentaine de personnes avec les enfants, c’est un bon résultat. Je sais que ça ne va lui faire ni chaud ni froid, mais la sortie était justifiée.

- Il ne verra que Justine et Mathias, c’est sûr, soupire Julia en époussetant son treillis.

L’ordinateur émet à nouveau un bip puis le bruit d’une sonnerie. Julia se précipite et je constate que c’est le Colonel qui nous appelle. Il a dû finir son dîner. Cela va peut-être le mettre de bonne humeur pour nous parler ?

- Lieutenant, Monsieur Zrinkak. Snow n’est pas avec vous ? attaque-t-il à peine notre caméra allumée.

- Le Sergent est en train de se faire recoudre à l’infirmerie, Colonel. Nous avons récupéré une trentaine de Silvaniens qui sont en train d’être installés.

- Se faire recoudre ? Il lui est arrivé quoi ? Vous vous êtes fait attaquer ou quoi ? rugit-il en se rapprochant de la caméra, comme s’ils voulaient s’approcher de nous.

- Une mine de l’armée silvanienne, j’imagine, Monsieur. Rien de grave et une cicatrice de plus à son actif.

- Une mine ? Comment ça ? Je veux un rapport plus clair que ça, Lieutenant ! On ne vous a pas appris à faire ça, à l’école ? Il s’est passé quoi aujourd’hui ?

- Mon Colonel, interviens-je, nous avons sauvé une dizaine de familles qui sont revenues avec nous au campement. C’est une bonne nouvelle, non ?

- Zrinkak, quand j’aurai besoin de votre avis, je vous le demanderai, peste-t-il, énervé. Lieutenant, j’écoute.

- Le Sergent et moi-même approchions d’une maison qui venait d’être fouillée, commence Julia d’un ton très professionnel alors qu’elle couvre clairement Snow qui fricotait avec Justine. Justine, la chargée de communication de Food Crisis prenait des photos quand un débris a chuté du toit et a déclenché une mine. Snow a été blessé au bras, la fille au ventre. Tous deux sont hors de danger. La mine était suffisamment loin encore pour que nous ne soyons que projetés par le souffle, même si les deux autres ont reçu quelques éclats.

- Deux blessés ? J’ai bien entendu ? Pour une opération que je n’avais pas autorisée ? Ça va barder pour votre matricule, Lieutenant, je vous le garantis !

- J’en assume l’entière responsabilité, Monsieur. Je n’ai fait que mon travail, et il me semble avoir entendu votre accord lors de notre dernière réunion.

- Je confirme, Colonel, dis-je alors que je ferais peut-être mieux de ne pas trop parler. Vous avez donné votre accord. Et la Lieutenant n’est pas responsable si une mine explose, toutes les procédures ont été respectées, je peux vous l’assurer, ça nous a assez ennuyé de les respecter !

- Qu’est-ce qu’un civil pourrait savoir des procédures à respecter ou pas ? grogne l’officier toujours aussi froid à mon égard.

- Tout ce que la Lieutenant nous en a dit, Colonel. Elle n’a pas arrêté de rappeler les règles et de les faire respecter avec son équipe. Ce n’était pas une promenade de santé…

- Je vous enverrai mon rapport demain matin à la première heure, Colonel. J’y joindrai évidemment les rapports de notre médecin concernant le Sergent et Justine. Autre chose ? lui demande Julia sans se départir de son ton de soldat bien discipliné.

- Quoi ? C’est tout ce que vous avez à dire de ce fiasco ? Lieutenant, deux blessés, presque des morts pour une opération inutile, et c’est tout ce que vous avez à me dire ?

- Ça suffit, Mon Colonel. Avec tout mon respect, sauver trente personnes de la mort n’est pas inutile, s’emporte-t-elle finalement. Sauver des vies n’est pas inutile ! Qu’est-ce que vous nous cachez ? Depuis quand est-ce que vous êtes frileux à nous faire sortir pour intervenir ? C’est quoi, le réel problème, Monsieur ? Où est passé mon supérieur, celui avec qui j’ai connu le pire ?

- Lieutenant, soupire-t-il. Je suis désolé, mais je… Je peux parler devant Monsieur Zrinkak ? Vous serez capables de ne pas raconter tout à la presse ou à vos collaborateurs ?

J’ai l’impression qu’il a pris dix ans en cinq minutes, le Colonel. Ses épaules se sont affaissées et sa colère a laissé place à un grand découragement.

- Vous pouvez me faire confiance, Colonel.

- Écoutez, les jeunes, reprend-il en nous surprenant avec sa familiarité. La situation est compliquée. Le Gouvernement nous a interdit les sorties depuis qu’ils savent qui vous êtes, Monsieur Zrinkak. Enfin, depuis votre retour de chez les rebelles. Ils ont menacé de faire fermer le camp si on continuait à aider ceux qu’ils pensent être des résistants. Je fais tout pour retarder les choses, mais ils ont envoyé un émissaire à l’ONU pour qu’on abandonne toute l’opération. C’est pas gagné, et la pression est forte, des fois j’en oublie que vous êtes sur le terrain avec les gens.

Eh bien ! Il nous fait quoi, le Colonel ? Je croise le regard de Julia qui est aussi incrédule que moi. Elle hausse les épaules et je prends la parole.

- Colonel, si vous pensez que mon départ de Silvanie pourrait améliorer les choses et sauver le camp, je peux partir dès demain à l’aube.

Julia pose sa main sur mon bras et je constate qu’elle fait doucement non de la tête. Elle n’a clairement pas envie de me voir partir, mais je ne veux pas rester si ma présence compromet l’existence du camp.

- Non, Monsieur Zrinkak. L’ONU a envoyé une confirmation que l’opération continuerait quoi que décide le Gouvernement. Et votre patron ne veut pas vous remplacer. Vous restez avec nous. Et de toute façon, avec ce qu’on apprend depuis ce matin, les choses vont encore évoluer. Rien n’est jamais stabilisé dans ces pays en guerre.

- Qu’est-ce qu’il se passe, Colonel ? lui demande Julia en se redressant sur sa chaise.

- On ne sait pas trop encore ce qu'il se trame, mais nos observations montrent d’importants mouvements de population dans les parties contrôlées par les rebelles. Et l’armée gouvernementale est en train de rassembler ses forces dans la capitale. Tout ça n’augure rien de bon. On ne sait pas ce qui crée tout ce bordel, mais ça pue, si vous voulez mon avis. Je n’en dors plus de tout ça… Je m’excuse si j’ai été trop loin avec vous…

- Je comprends, Mon Colonel, soupire Julia. Nous allons limiter les sorties mais… Ne pas sauver des gens qui peuvent l’être, ce n’est pas mon genre et pas le vôtre non plus. Colonel, je peux vous demander quelque chose ?

- Oui, Lieutenant. Au point où j’en suis, je n’ai plus grand-chose à perdre. Avec ce que je vous ai déjà dit, vous avez les moyens de me faire tomber si vous le désirez.

- Je n’ai aucune envie de vous faire tomber, Monsieur. En fait, je voudrais prolonger ma mission de six mois à ce poste. Je vous ferai un courrier officiel, évidemment, mais je voulais vous le dire et savoir si vous pensiez que ce serait possible.

- Comment ça, six mois de plus ? Tout ce désordre, ça ne vous suffit pas ? Purée, moi, je donnerais cher pour pouvoir rentrer à Marseille, dans ma famille !

Je suis surpris aussi de la demande de Julia à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Je lui jette un œil mais elle fait mine de se concentrer sur la vidéo et ne me regarde surtout pas.

- Qui prendra la relève ici, Colonel ? Mirallès sera de retour ? Entre nous, effectivement vous n’aurez aucun problème pour qu’il reste cloîtré ici, mais pour le reste, ce sera l’horreur. Je ne lui donne pas une semaine avant que les réfugiés ne se rebellent, pas un mois avant qu’une épidémie de je ne sais quelle connerie ne se déclare. Elle est là, ma famille, depuis quatre mois, et je n’ai aucune envie de les abandonner.

- Ce n’est pas très réglementaire, tout ça, Lieutenant. Mais pourquoi pas. On peut dire que dans ce contexte agité, un peu de stabilité ferait du bien. Surtout si la demande vient de vous. Envoyez donc la demande officielle, je transmettrai en haut lieu !

- Merci Colonel, sourit-elle. Est-ce que je peux disposer à présent ? Pour être honnête avec vous, j’ai mal partout et j’aimerais bien être examinée, même s’il n’y a rien de grave. Les vols planés ne sont pas très agréables…

- Oui, Lieutenant, et excusez-moi pour l’emportement au début de cette conversation. Je n’avais pas la bonne stratégie, je suis désolé. Peut-être que je devrais me mettre au théâtre, non ? Vous y avez vraiment cru ? rajoute-t-il avec un sourire.

- Honnêtement, j’espérais que vous vous étiez cogné la tête, mon Colonel, rit Julia.

- Quand vous vous produirez au Splendide, vous nous donnerez des invitations, indiqué-je tout aussi amusé que Julia.

- Allez, je vous laisse. Mais n’oubliez pas. Tout ceci reste entre nous. Et tenez-moi au courant si vous avez des informations. Je sens que le pays risque de basculer dans de nouveaux combats très rapidement. Pour l’instant, on n’est là que pour les réfugiés, mais la mission risque bientôt de se transformer en maintien de la paix, et là, ce sera autre chose… Soignez-vous bien Lieutenant. Et vous, Zrinkak, attention ! Entre votre mère et le Gouvernement, je ne sais pas ce que vous risquez, mais restez bien sous la protection de la Lieutenant ! Conseil d’ami !

- Comptez sur nous, Colonel. Bonne nuit, lui dit Julia avant de fermer son ordinateur. Nom de… C’était quoi, ça ?

- Ça, c’était un chef qui a essayé de se la jouer à la dure mais qui en fait est un grand gentil, ris-je. Il est fou, ton Colonel ! On commence par se faire crier dessus et il finit par un conseil d’ami ! Je crois finalement qu’il irait bien avec ma mère. Ça ferait le couple de l’année, c’est sûr !

- Le Marseillais et la Gitane, tu parles d’un duo de choc, rit-elle en se levant.

- Tu as vraiment besoin d’aller voir Eva, ou si je te propose un massage, ça peut le faire aussi ? lui dis-je en la serrant contre moi.

- Je crois que j’ai vraiment besoin d’aller la voir. Mais je ne dis pas non à un massage. Et puis, tu pourras aller voir Justine au passage, si tu veux… J’ai besoin d’une douche aussi, et de manger quelque chose, rit-elle en nichant son nez dans mon cou. Et de m’assurer qu’ils vont bien, tous les deux…

- Bien, on fait ça alors, Julia. Quelle journée quand même… C’est toujours aussi plein d’émotions et d’action avec toi ?

- Y a des jours comme ça. Promis, c’est pas tout le temps. Tu restes dormir avec moi, alors ? Tu as fabriqué ton échelle ?

- Non, mais tu verras, je serai là cette nuit !

Nous échangeons un dernier baiser rapide et nous descendons pour retrouver Eva à l’infirmerie. Les deux blessés du jour ont pris des somnifères et sont endormis, nous décidons de ne pas les réveiller. Je laisse Eva s’occuper de Julia et vais me chercher un truc à manger. Ce soir, je vais passer la nuit avec ma jolie partenaire. Et pour ça, il ne faut pas que je traîne.

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