78. Extrême protection

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Arthur

Je m’approche du petit groupe qui s’est réuni autour de Lorena. Elle est en train d’apprendre aux enfants et adolescents présents des rudiments de français. Je fais un clin d'œil à Lila qui assiste à la leçon avec les autres et elle me répond par un sourire mais reste concentrée.

- Il était un petit homme, Pirouette, Cacahuète, Il était un petit homme qui avait une drôle de maison, qui avait une drôle de maison.

J’écoute la chanson, attendri d’entendre ce petit air qui nous éloigne tellement de la guerre. Les enfants ânonnent en chœur et je suis surpris quand je sens une main se poser sur mon bras. Je me retourne et constate qu’il s’agit d’un jeune Silvanien, un de ceux que nous avons recueillis lors de notre dernière sortie qui a causé la blessure de Snow et Justine.

- Monsieur Arthur, j’ai des nouvelles pour vous. De la part de La Gitane.

- Des nouvelles ? Comment tu as reçu des nouvelles ?

- J’ai toujours ma radio de transmission. Il y en a dans tout le pays pour coordonner les forces des rebelles. La Gitane a décidé de passer à l’attaque et il faut qu’on soit prêts quand ce sera à nous d’aller nous battre.

- Aller vous battre ? Mais c’est quoi cette idée de merde ? Vous n’êtes pas bien, ici ?

- Ne vous inquiétez pas, Monsieur Arthur, nous ne vous causerons aucun souci. En tous cas, les opérations sont lancées et nous avons déjà repris une dizaine de villes. Nous contrôlons déjà un quart du territoire. Cette fois-ci, c’est la bonne !

- C’est ça que ma mère voulait me dire ?

- Non, non, ça c’est juste pour que vous sachiez ce qu’il se passe. Votre mère vous dit de faire attention car le Gouvernement va se sentir acculé et risque de s’en prendre à vous pour mettre la pression sur elle. Moi et d’autres ici, on doit vous protéger.

- Me protéger ? Mais je n’ai pas besoin de ça, moi ! Je ne suis plus un gamin quand même !

Je crie, attirant ainsi l’attention du petit groupe de jeunes devant moi. Je souris en m’excusant et attire mon interlocuteur un peu à l’écart en le prenant fermement par sa veste.

- Ecoute moi bien, maintenant. Tu vas dire à ma mère que je n’ai pas besoin de protection, que je ne suis pas ici pour me faire materner par elle et que, surtout, elle ne me mêle pas à sa révolution. Compris ?

- Ce n'est pas elle qui vous mêle à ça, Monsieur Arthur, c'est le Gouvernement qui va vouloir vous utiliser contre elle. Elle n'y peut rien, la Gitane. Et puis, c'est vous qui êtes venu ici…

- Oui, pour aider les gens à survivre, pas à combattre. Personne ne va m’utiliser à quoi que ce soit ! Je suis dans une ONG. Organisation NON Gouvernementale ! Ça veut dire qu’on ne fait pas de politique, c’est pourtant facile à comprendre, non ?

- Je sais bien, Monsieur Arthur… Je n'y peux rien, moi.

Il hausse les épaules et s’éloigne de moi sans se faire prier. Je crois qu’il regrette d’être venu me parler. Moi, ce que je regrette, c’est l'attitude de ma mère. Elle a lancé des choses qui vont avoir des conséquences dramatiques pour plein de gens. Et moi, à cause d’elle, je vois que ma mission-même est en péril. Bien que je sois content de l’avoir retrouvée, je ne peux m’empêcher de me dire que j’aurais préféré qu’elle soit une paysanne dans un coin perdu de la Silvanie plutôt que la cheffe des rebelles. Quelle galère !

Je me dirige, toujours énervé, vers le bâtiment principal. Il faut que j’informe Julia de ce que je viens d’apprendre, il faut qu’elle soit au courant et qu’elle puisse anticiper les choses. En entrant dans le bâtiment, je me dirige vers l’infirmerie afin de prendre des nouvelles de Snow qui était dévasté hier au départ de l’hélicoptère. Justine a été rapatriée et elle nous a envoyé un petit message pour confirmer que tout allait bien. Enfin, un petit message, c’est ce qu’elle a fait parvenir à tout le monde, je suis sûr qu’elle a plus écrit à son amoureux.

Je pénètre dans la pièce et vois que tous les volets sont fermés. Je me dis qu’il a dû vouloir dormir, mais alors que je vais repartir, il m’interpelle.

- Zrinkak, vous me voulez quoi ?

- Oh, vous ne dormez pas ? Je voulais prendre de vos nouvelles.

- Non, je ne dors pas. Et ça va, j’ai presque plus de douleurs, déjà. En tous cas, physiquement.

- Des nouvelles de Justine ? Pourquoi vous êtes dans le noir si vous ne dormez pas ?

- Non, pas de nouvelles de Justine, bougonne-t-il. Elle m'a déjà oublié apparemment…

- Ah oui, je vois ce qu’il se passe. La déprime de l’amoureux esseulé. Alors, avant toute chose, laissons entrer la lumière !

Je me dirige vers la grande fenêtre et défais le loquet qui maintient le volet fermé. Je repousse vigoureusement les deux battants en bois, les faisant claquer contre le mur. Le soleil de cette fin de matinée pénètre dans la pièce. J’en profite pour laisser la fenêtre ouverte et aérer un peu la pièce avant de revenir vers le sergent qui est recroquevillé dans ses draps. Je ne l’ai jamais vu comme ça et cela m’inquiète un peu.

- Eh, Sergent, il faut vous remettre, hein ? Si elle n’a pas écrit, c’est qu’elle n’en a pas encore eu l’occasion, c’est tout.

- Magnifique. C'est censé être rassurant ?

- Ben, il faut arrêter de vous lamenter. Julia a besoin de vous. Votre mission, c’est ce qui est important, non ?

- Julia vous a, vous, c'est mieux que rien. Je suis en repos encore, elle ne veut pas me voir sur Le camp tant qu'Eva ne m'en a pas donné l'autorisation.

- Oh la la, Snow, vous êtes bien mal en point. Depuis quand vous obéissez à une infirmière ? Je vous ai connu plus combatif ! Et Julia a besoin de vous plus que de moi. Enfin, pas pour les mêmes raisons. Mais il faut pas la laisser trop longtemps avec Collins, merde. Elle mérite mieux que ça, non ?

- C'est Collins qui a pris ma place ? Sérieusement ?

- Oui, c’est pour ça que je suis venu. Il faut vous bouger les fesses et revenir vite bosser. Se lamenter ici, ça ne sert à rien. Et j’ai des infos pour Julia. Vous venez avec moi pour réfléchir à ce qu’on va faire ?

- Vous me laissez tourner autour de votre Julia sans broncher maintenant, Zrinkak ? rit-il en se redressant sur son lit.

- Ah, tout de suite les grands mots ! Interdit de tourner autour ! Mais elle a besoin de tout le soutien qu’elle peut avoir. La Gitane a lancé les hostilités contre le Gouvernement.

- Je lui tournais autour bien avant vous, Arthur. Croyez-moi, s'il avait dû se passer quelque chose, ce serait fait depuis longtemps. Elle part en sucette la Gitane, alors ?

- Ouais et elle a demandé à des réfugiés ici de me protéger. Il paraît que le Gouvernement veut me causer des problèmes pour mettre la pression sur ma mère. Un vrai bordel, non ?

- Vous auriez dû y réfléchir à deux fois avant de venir en Silvanie, vous, se moque-t-il, enfilant sa veste de treillis en grimaçant. Qu'est-ce que vous pensez que Julia va pouvoir faire ?

- Je ne sais pas, mais si déjà elle est au courant, elle pourra y réfléchir, non ? Et puis, vous voir debout, ça lui fera plaisir. Pour une fois que vous n’êtes pas occupé à draguer, ça va la changer.

- La ferme, Zrinkak, bougonne-t-il. On y va ou vous prenez racine ?

- Allons-y, Sergent. Je vois que votre bonne humeur est revenue. Ça fait plaisir, ris-je en le précédant pour monter à l’étage dans la salle des opérations.

Lorsque nous arrivons, nous trouvons Julia assise devant l’ordinateur en train de lire des documents. De l’entrée, tout ce que je vois, c’est le gros tampon rouge avec indiqué “Top secret” qui trône en haut de la page qu’elle consulte.

- Coucou Julia, on ne te dérange pas ?

Elle se retourne et me sourit avant de sourire encore plus franchement en voyant Snow derrière moi. C’est tellement naturel et franc que je n’en suis même pas jaloux.

- Messieurs, quel plaisir de vous voir ! Entrez-donc, dit-elle en refermant son dossier.

- Je t’ai ramené le Sergent. Il se morfondait tout seul dans l’infirmerie. A croire qu’il n’avait pas envie de draguer Eva. Bizarre, non ?

- Il préfère Myriam, rit-elle en se levant pour prendre Snow dans ses bras. Eva t’a donné l’autorisation de sortir ?

- Euh oui, je suis sûr qu’elle a dit oui à Arthur, répond-il un peu gêné alors que Julia se tourne vers moi.

- Arthur ? Ou devrais-je dire… Le responsable légal, du coup ? Tu as récupéré ton petit à l’infirmerie avec l’autorisation de la doc ?

- Oui, mais chut, tu vas le fâcher, le petit. Il voulait rester au lit ! Mais j’avais besoin qu’il soit là. Il faut qu’on parle, Julia. Et que tu sois au courant de ce qui se trame.

- Y a-t-il un moment, au moins une fois, où tu viendras me voir pour autre chose que pour de mauvaises nouvelles ? soupire-t-elle en nous faisant signe de nous asseoir. Je t’écoute…

Je la regarde, un peu étonné de sa remarque. Peut-être qu’elle a oublié les fois où je l’ai retrouvée pour autre chose que des nouvelles ? Comme Snow est là, je n’insiste pas et je lui raconte ce que le jeune homme m’a confié. Elle m’écoute avec attention avant de m’interrompre quand j’explique que le Gouvernement veut se servir de moi.

- Ils peuvent toujours essayer. Tant que tu es ici, tu ne crains rien, et c’est pas demain la veille que je vais autoriser ta sortie du campement.

Je ris nerveusement.

- C’est fou, ça. Tout le monde veut me protéger, mais personne ne me fait confiance sur ma capacité à me défendre tout seul. On dirait que tu veux faire comme ma mère et me mettre dans un cocon. Moi, ici, je fais ma mission. Et ça, personne ne m’empêchera de le faire. Quel que soit le risque.

- Te défendre tout seul ? Face à un gouvernement perfide et digne d’un film hollywoodien ? Je t’en prie, Arthur, tu comptes faire quoi si tu es enfermé dans l’une de leurs prisons ? Tu crois qu’ils vont être gentils et compréhensifs ? Excuse-nous de vouloir te protéger et te garder là où on contrôle les choses.

- Ju, tu sais, il n’est pas en sucre. Et il tient trop à toi pour prendre vraiment des risques. Je crois qu’il a un peu de complexe, notre représentant de l’ONG, alors sois pas trop dure avec lui. Et vous, Arthur, ça devrait vous plaire qu’une jolie femme s’occupe de vous comme ça, non ?

- Je ne sais pas si c’est comme ça que j’aime qu’on s’occupe de moi, mais en tous cas, merci de me soutenir auprès de toutes ces dames qui me traitent un peu comme un gamin.

- Tu ne comprends pas, marmonne Julia. Très bien, sors, fais ce que tu veux. Mais crois-moi, l’enfermement et la torture, gamin ou pas, c’est insupportable. Je t’aurais prévenu. Notre marge de manœuvre ici est limitée, si tu te retrouves dans les mains du Gouvernement, je ne vois pas ce qu’on pourra faire pour t’en libérer. Mais fais comme tu le sens.

- Je n’ai pas dit non plus que j’allais sortir, Julia, rétorqué-je doucement. Mais faites-moi un peu confiance, s’il vous plaît. C’est possible, ça ?

- Vu notre passif, tu m’excuseras si j’ai des doutes sur ta capacité à rester là où on te le demande, se moque-t-elle, un sourire aux lèvres. Pour preuve ces foutues poules qui fuguent et ces vaches.

- Ah, les vaches. Avoue que c’est plutôt cool qu’elles soient là, non ? En tous cas, promis, je fais gaffe. Peut-être que je devrais venir m’installer ici, ce serait plus sûr ? On n’a qu’à transformer cette salle en chambre et hop, je viens ici avec Lila. Tu en penses quoi ?

- Eh, déconnez pas, Arthur, faut pas rêver non plus ! intervient Snow en grognant. Si on n’a plus cette salle, on va bosser où ?

- Tu crois que tu risques quelque chose dans le camp ? Que des réfugiés pourraient être des espions du Gouvernement, peut-être ?

- Oh non, je crois que tous les réfugiés sont là pour me surveiller et faire des rapports à ma mère ! S’il y a bien un lieu où je suis en sécurité, c’est ici !

- J’espère, murmure-t-elle, pensive.

- Bon, allez, je ramène le petit à l’infirmerie et on te laisse bosser un peu. Snow, en route, l’infirmière va m’engueuler si on abuse trop !

- Ça marche. Snow, rendez-vous ici dans deux heures, tu as un rencard visio avec Justine, sourit Julia en faisant un clin d'œil au militaire dont le visage s’est éclairé à cette annonce. Qu’est-ce que t’es cucul, amoureux, c’est pathétique !

- Ah oui ? Elle t’a écrit ? Dans deux heures ?

- Oui, il est cucul, je confirme, dis-je en riant de bon cœur.

- Dans deux heures, Mon Chat, rit Julia. Ça va aller ? Tu vas t’en remettre ? Ne tombe pas dans les pommes, je t’en prie, tu pèses une tonne et je n’ai pas envie de me péter le dos pour te ramener à l’infirmerie.

Je souris et sors avec Snow avant de l’abandonner quelques instants dans l’escalier, prétextant avoir oublié un papier dans le bureau. Je crois que le Sergent n’est pas dupe, mais cela me permet de venir voler un baiser enflammé à Julia avant de le retrouver. Je ne sais pas quand je vais à nouveau pouvoir avoir une opportunité de me retrouver seul avec elle, mais il faut que ça ne tarde pas. Je ne peux pas me contenter de ces petits baisers, je suis déjà trop en manque !

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