La question de trop

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Les cigarettes…

Max réalisa qu’il les avait laissées à Nice, dans la poche de sa veste. Il haussa les épaules. Il les achèterait là-bas. Le bar tabac restait ouvert jusqu’à vingt et une heure – vingt et une heure trente, surtout en cette saison.

Il n’était pas un gros fumeur – dix cigarettes au maximum par jour.

« Oh, si vous ne fumez que cela, ce n’est pas bien méchant, lui avait dit son médecin. Ce n’est pas elle qui vous tuera. Mais, tâchez de ne pas dépasser cette quantité. »

Non. Max ne la dépasserait pas. Il augmenta le volume de la radio. Eric Clapton et BB King chantaient : « Riding with the King », lorsque soudain…

Une moto le doubla…

Une deuxième, puis une troisième.

Elles roulaient si vite qu’elles disparurent de son champ de vision en un battement de cil.

Lorsque quelques kilomètres plus loin, il entra dans le village de Touët-sur-Var, il aperçut un corps étendu sur le renfoncement de la chaussée qui tenait lieu de parking. Il rangea la voiture non loin, descendit et se précipita vers la silhouette inerte. Elle portait un blouson noir, des pantalons en cuir et des bottes. Son casque était posé à côté. Sa longue chevelure et la belle rondeur de ses formes ne permirent aucun doute quant à son sexe. Il s’accroupit près d’elle et lui demanda dans un murmure :

« Vous n’avez rien, mademoiselle ?

Aurore ne répondit rien. Elle pleurait. Il lui caressa très légèrement les che= veux :

« Vous souffrez ? J’appelle les secours. Ils ne sont pas loin. »

Elle releva la tête. Deux longues mèches de cheveux lui barraient le visage. Elle les écarta et planta ses yeux couleur noisette couverts de larmes dans ceux de Max. :

« Je souffre d’un mal qu’aucun secours ne pourra guérir. Alors, s’il vous plaît, laissez-moi mourir tranquille. »

Max écarquilla les yeux :

« Mais enfin, vous n’y pensez pas. Et vous croyez que je vais vous laisser mourir comme ça au milieu de la rue ? »

Il sortit son téléphone :

« J’appelle les secours. C’est quoi votre mal ? »

Aurore le lui arracha des mains, s’assit sur le sol et lui dit d’une voix où tout sanglot avait disparu :

« Ecoutez, je ne suis pas blessée, et je ne souffre d’aucune maladie qui nécessiterait l’intervention des secours. Vous comprenez ? »

Elle lui rendit son portable :

« J’ai été plaquée par mon copain. Ca vous suffit ? »

Il y avait dans le ton de sa voix de la tristesse teintée d’agacement. Sans doute, d’autres avant Max avaient dû lui poser les mêmes questions.

« Ah, je vois. Chagrin d’amour.

— C’est ça. »

Elle essuya son nez d’un revers de la main :

« Et maintenant, laissez-moi mourir tranquille. »

Max rangea son téléphone dans sa poche, se leva et s’accroupit à nouveau près d’elle

« Je respecte votre volonté de mourir, mademoiselle mais, vous ne trouvez pas qu’il y a des endroits plus confortables accueillants et parfumés que ce parking froid inhospitalier et malodorant ? De l’autre côté de la rue, en bas, vous avez un petit jardin charmant, boisé, fleuri, avec de l’herbe tendre où vous pourrez vous étendre et contempler le ciel rempli d’étoiles. Quoi de mieux pour partir dans l’au-delà ? Laissez-moi vous y conduire.

— Non. Non. Je veux mourir ici. »

Il écarta les bras et se leva :

« Bien. Dans ce cas, je n’insiste pas.

— En tout cas, merci beaucoup monsieur. »

Il acquiesça d’un mouvement de tête ; puis se dirigea vers sa voiture. A peine avait-il tourné la clé pour mettre le contact, que la porte passager s’ouvrit ; Aurore s’engouffra à l’intérieur, posa le casque à ses pieds, boucla sa ceinture, referma la portière et, d’une voix tout sourire et tout charme lui demanda :

« Où allez-vous ? »

Max la regarda quelque peu hébété, moins par le fait de sa brusque apparition que par la rapide métamorphose de son humeur. Etait-ce bien la même jeune fille qui, trente secondes auparavant lui avait demandé de la laisser mourir sur cette chaussée déserte et froide ?

« Je m’appelle Aurore. Et vous ? »

Immobile, comme statufié, toujours la main sur la clé de contact, il mit un certain temps à lui répondre, avec beaucoup d’hésitation :

« Euh… Max. Je vais…

— C’est un beau prénom. Il vous va très bien. »

Elle le regarda et se mit à rire :

« Votre tête. Si vous la voyiez ! On dirait que vous êtes en face d’une extra-terrestre ! »

Il n’y avait aucun sarcasme dans le ton de sa voix, juste la candeur et la spontanéité d’un enfant qu’un rien amuserait. Elle poursuivit :

« Je vous demande pardon. Je ne suis pas en train de me moquer de vous. A votre place, j’aurais eu la même réaction. Tout à l’heure je vous ai demandé en pleurant de me laisser mourir sur le bas-côté et maintenant, je suis assise auprès de vous, je ris comme si rien ne s’était passé. Comme si j’étais une auto stoppeuse que vous auriez… embarquée ? Chargée ? Prise ?... Quel est le terme exact ?... Peu importe. Une auto stoppeuse qui vous aurait demandé, où vous allez. »

Max posa les deux mains sur le volant :

« Oui, c’est bien analysé. Lança-t-il d’un ton neutre. »

Puis, comme s’il se parlait à lui-même il poursuivit :

« Sauf que je ne prends jamais d’auto stoppeurs. »

Aurore resta quelques secondes interloquée. Elle déboucla sa ceinture, prit son casque et, au moment où elle allait ouvrir la portière il la retint par le bras :

« Ce n’est pas pour vous que j’ai dit cela. Vous n’êtes pas une auto stoppeuse. Ce n’est pas vous qui m’avez arrêté, qui avez sollicité un passage dans ma voiture. C’est moi qui vous ai proposé de vous conduire.

— Dans un jardin pour que je meure.

— C’était votre souhait… Tout au moins, de mourir.

— Oui. Et j’ai changé d’idée. Je me suis dit qu’à Vingt-deux ans la joie de vivre doit l’emporter sur quelques larmes versées pour un garçon. Vous ne trouvez pas ? «

— C’est sûr. »

Elle poursuivit :

« Bon, disons que je suis un peu responsable de cela. Je n’avais pas à lui marteler le dos avec autant de violence, au risque de provoquer un accident, surtout à la vitesse à laquelle nous roulions. Alors, arrivés ici, il a arrêté la moto et m’a dit que je pouvais descendre et retourner sur Nice. »

Sans transition elle enchaîna :

« Vous en avez fait pleurer des femmes ?

Max émit un petit rire, la regarda :

« Des milliers. Répondit-il d’un ton légèrement crâneur »

— Je ne vous crois pas, rétorqua-t-elle tout de go. Vous n’avez pas une tête à les faire pleurer. Vous êtes trop bon et trop doux.

— Les apparences sont parfois trompeuses.

— Pas chez vous. Tout est inscrit dans vos yeux. »

Il lui caressa affectueusement la joue.

« Et dans les vôtres, qu’y a-t-il d’inscrit ? »

Il la regarda, lui prit délicatement le menton entre son pouce et son index et le souleva. Elle avait des traits fins précis et merveilleusement bien proportionnés qui donnaient à son visage une harmonie sans fausses notes. Elle était jolie. Plus que jolie et ne tarderait pas à devenir très belle. Il posa ses yeux sur sa bouche et, lentement commença à approcher la sienne. Elle recula et lui dit d’un ton tendrement suppliant :

« Non, s’il vous plaît, n’abusez pas de la situation.

Max se ressaisit et secoua la tête :

« Je vous demande pardon.

Elle lui caressa la main :

« Ne vous excusez pas. C’est tout à fait naturel qu’un homme ait envie d’embrasser une femme. Et puis, disons que je vous ai un peu provoqué. »

Elle se tut et lui caressa à nouveau la main :

« Un baiser sur les lèvres, ça n’est pas bien méchant et je l’accepterais. Mais après ? Est-ce que vous ne seriez pas tenté de m’en demander plus ? »

Il lui prit la main :

« Tout dépendrait du répondant. Disons, pour être plus poétique, du plaisir que vous ressentirez à être embrassée par moi. Mais, vous avez raison. Je ne dois pas abuser de la situation. Vous auriez pu ne pas frapper votre ami dans le dos et continuer votre route, j’aurais pu ne pas m’arrêter et continuer la mienne, vous auriez pu rester allongée sur le sol et attendre la mort. Mais les choses ne se sont pas dé= roulées comme ça et vous voilà assise auprès de moi dans cette voiture. »

Elle haussa les épaules.

« Je peux redescendre, vous savez ? »

Il hocha la tête négativement :

« Non. Vous ne descendriez que si je vous l’ordonnais. Sinon, vous ne seriez pas montée comme ça, aussi vite, aussi spontanément. N’est ce pas ? »

Elle regardait toujours droit devant elle et répondit après un court instant :

« Vous avez raison. »

Puis elle se tourna vers lui et plongea ses yeux dans les siens :

« C’est inscrit dans mes yeux ?

— Pas seulement. »

Il prit un petit temps avant de poursuivre sur un ton négligemment revan= chard :

« D’avoir tant pleuré pour des femmes, j’ai fini par les connaître. »

Il y eu un petit silence qu’Aurore s’apprêta à rompre, mais Max fut le premier :

« Ceci dit, je n’abuserai pas de la situation. Je me tiendrai à carreau. »

Elle lui prit le bras, et le pressa très fort contre son sein. Puis elle appuya sa tête sur son épaule. Max tourna la clé et mit le contact :

« Vous ne savez toujours pas où je vais.

— Non. »

Il enclencha la première :

« A Puget-Théniers. »

La voiture démarra. Il passa la seconde, la troisième et enfin la quatrième, qu’il estima suffisante pour la vitesse à laquelle il comptait rouler. Ainsi, son bras droit ayant repris toute liberté de mouvement, il le passa autour des épaules d’Aurore qui, si elle eût été un chat, se serait mise à ronronner très fort.

« C’est loin Entrevaux ? Demanda-t-elle d’une voix qui semblait provenir du fin fond de la caverne au bonheur.

— A une dizaine kilomètres de Puget. Tu connais? »

— Non. C’est une vieille tante de ma mère qui habite là-bas.

— Tu n’es jamais allée lui rendre visite ?

— Jamais. Elle est barbante comme la pluie

— Si tant est que la pluie soit barbante.

— Je déteste la pluie.

— C’est que proclament, en général ceux qui habitent sur la Côte.

— Sauf que moi, je n’y habite pas. Je viens de Montpellier. »

« Et les autres ? Pensa Max. Eux aussi viennent de Montpellier ?... Dans laquelle des trois motos tu étais assise ?... Pourquoi as-tu martelé le dos de ton copain ?... Comment s’appelle-t-il, au fait ?... »

Il pensa également que ces questions devaient rester dans un coin de son cerveau, prêtes à sortir, le moment venu… Ou peut-être jamais.

Elle se redressa sur son siège et s’étira. Max vit ses seins se bomber. Il les devinait ronds et fermes, pouvant tenir dans le creux de ses mains. Cette image lui donna une érection et une vision furtive traversa son esprit : celle de la main d’Aurore se posant sur son sexe.

Il retira son bras d’autour ses épaules et avant que sa main n’eût atteint le volant, elle la prit et l’embrassa fougueusement.

Comme tous le vendredis soir, il allait à Puget-Théniers passer les weekends dans la maison que ses parents lui avaient léguée à leur mort. Elle se situait sur la rive droite du Var. Lucie l’attendait toujours là-bas. Elle ne travaillait que deux jours et demi par semaine et, dès le Mercredi après-midi, elle s’y rendait par le train des Pignes, qu’elle prenait à la gare du Sud. Elle consacrait le reste du temps à écrire des contes pour enfants qui petit à petit, commençaient à bien se vendre. Parfois, son éditrice descendait de Paris, moins pour parler maquettes et tirages, que pour se mettre quelques jours au vert dans cette bonne ville paisible et quiète de Puget. Sauf que ce weekend, Lucie n’y serait pas. Elle était partie depuis une semaine à…

« Tu es marié ? »

La question d’Aurore, tira Max de ses pensées. Il mit quelques instants avant de lui répondre le plus naturellement du monde :

« Oui. »

Elle eut un petit hochement de tête et se tourna vers lui. Il regardait la route, attentif et concentré. Sans rien laisser transpirer de sa réflexion, il pensa que cette question était un peu trop indiscrète ou, tout au moins, elle arrivait un peu trop tôt. Il eût sans doute préféré qu’elle lui posât en premier, des questions d’ordre plus géné= ral : aimait il la musique ? Quel genre ? Aimait-il lire ? Quels auteurs ? Allait-il souvent au cinéma ? Voir quel genre de films ? Pour passer ensuite à des questions légèrement plus personnelles du genre : habitait il Nice ou, une autre ville de la Côte ? Quel était sa profession ? Etcetera. Mais, Aurore était ainsi faite et il l’acceptait. D’autant plus que le ton qu’elle avait employé pour la lui poser, n’avait rien d’indiscret et pouvait se situer dans la suite logique de sa question à propos des femmes qu’il aurait fait pleurer ou pas. Sauf, qu’un détail l’embarrassa beaucoup : son regard figé sur sa nuque. Il le sentait inquisiteur, scrutateur. Pourquoi ? Qu’aurait-elle voulu entendre ? S’était-elle forgé sur lui une opinion que la réponse avait mise à bas ? Il ne comprenait plus. Cela ne lui correspondait pas. Ou, alors, il s’était trompé sur elle, et Aurore n’était en fait qu’une petite allumeuse de rien du tout dont il devait se débarrasser au plus vite. Il voulut en avoir le cœur net. Il se tourna vers elle, qui, immédiatement se mit à regarder la route, et lui lança, avec un large sourire et un faux air tombé des nues :

« Tu en fais une drôle de tête. Est-ce que j’ai dit quelque chose de monstrueux ?

— Pourquoi ne m’as-tu pas répondu tout de suite ? Lui demanda-t-elle d’un ton distant, teinté de reproche. Tu as hésité entre le mensonge et la vérité ? »

Là, Max tomba réellement des nues ! Jamais il ne se serait attendu à une telle réaction, à un tel comportement. La jeune fille charmante et tendrement indiscrète, s’était transformée en mégère insolente et effrontée. Elle venait de poser la question de trop, la question qui venait de faire voler en éclat le rêve qu’ils étaient en train de faire ensemble et qui avait commencé si bien. Maintenant, c’était sûr, il la débarquerait à Puget-Théniers et qu’elle s’en allât jouer son numéro à d’autres. Avant, il voulut la moucher, lui enfoncer dans sa belle bouche le crapaud qu’elle venait de lui cracher. A nouveau il se tourna vers elle et, d’un ton cinglant il lâcha :

« Et, quel est le mensonge, et quelle est la vérité ? »

« Dans le mille, pensa-t-il. Voyez comme elle se décompose, comme elle se liquéfie. Son impertinence en a pris pour son grade. Son arrogance s’effrite comme un château de carte, un fétu de paille. Alors, ma petite : je suis marié ou pas ? Qu’est-ce que tu lis dans mes yeux ? »

Elle se tourna vers lui et chercha son regard. Il était toujours concentré sur la route, indifférent. Il venait d’aborder la dernière courbe avant l’entrée de la ville. Déjà il pouvait apercevoir la station de service située juste avant le panneau.

N’ayant pu le saisir, elle lui demanda d’un ton qui venait de dégringoler plusieurs marches

« Je dois comprendre que tu n’es pas marié, alors ? »

Toujours aussi distant il lui répondit :

« Tu dois comprendre ce que tu veux, Aurore. »

Et, avant qu’elle ait pu renchérir, il annonça :

« Puget-Théniers !... Puget-Théniers ! Terminus du voyage !! Tout le monde descend ! »

Il rétrograda en troisième, puis en deuxième. Elle lui prit le bras le pressa très fort contre son sein et le couvrit de baisers :

« Tu me chasses ? Implora t-elle d’une petite voix contrite. »

Il la regarda droit dans les yeux :

« Moi, je suis arrivé. Toi, je n’en sais rien.»

Elle s’agrippa encore plus fortement à son bras et, se mit à pleurer:

« Je te demande pardon pour mon comportement de tout à l’heure. Je suis une petite conne qui a tout gâché. Dans le fond, quelle importance que tu sois marié ou pas ? Je ne comptais pas me donner à toi, et tu m’as promis de ne pas abuser de la situation. »

Max donna un coup de volant à droite, et la voiture pénétra dans le parking de la supérette située à l’entrée de la ville. Il la gara et coupa le contact.

« C’est à cause de Vincent, tu comprends ?... Il est marié et, il me fait sans cesse le coup de divorcer et je marche à chaque fois... Quand il m’a proposé de passer ce long weekend avec Ricky Solange et Jean Luc, j’ai refusé. Alors, il a insisté et je lui ai demandé quand il divorcerait. Comme toujours, il m’a répondu qu’il le ferait. Que le jour viendrait où il me montrerait le jugement du divorce et qu’il le ferait encadrer et me l’offrirait. Mais j’ai encore refusé. Alors, il m’a dit que s’il m’emmenait avec Ricky et les autres, ses meilleurs amis, qui connaissent très bien sa femme, c’est que je commençais à prendre de l’importance dans sa vie, que je devais considérer cela comme une grande preuve d’amour et que si je ne voulais pas venir c’est parce que moi, je ne l’aimais pas. Et il m’a dit : « Regarde-moi bien dans les yeux Aurore : si tu ne m’aimes plus, tu dois me le dire. Je ne veux pas courir le risque de foutre mon couple en l’air pour une femme qui s’est payé ma tête, qui m’a fait marcher qui m’a fait croire au grand amour. » Puis, il m’a regardé tendrement dans les yeux et a susurré : « Si je divorce, c’est pour nous, pour notre nouvelle vie, remplie d’amour et de projets, d’enfants et de jours heureux. Des milliers et des milliers de jours heureux. »

Max l’écoutait parler sans passion, sans émotion. La tête vide. Il gardait les mains posées sur le volant et regardait devant lui.

« Toute la nuit j’ai pleuré. Toute la nuit je me suis posé la question si je l’aimais ou pas. Toute la nuit j’ai essayé d’imaginer quelle serait ma vie avec lui. Le lendemain, je l’ai appelé pour lui annoncer que je venais. Si tu savais comme il a hurlé de joie ! Je lui ai même demandé si sa femme l’avait entendu, il m’a répondu qu’il s’en moquait. Que désormais la seule femme qui comptait dans sa vie, c’était moi. Dans le train et à chaque arrêt que nous faisions sur la route, il n’a cessé de répéter aux autres : « Aurore, la nouvelle femme de ma vie. » Et les autres approuvaient et nous souhaitaient plein de bonheur. J’étais aux Anges… »

Elle se tut un instant, puis :

« Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai eu comme une vision. J’étais là, pendue au téléphone et lui, à l’autre bout qui me disait qu’il ne pourrait pas venir car le petit avait de la fièvre ou alors, c’était la grande qui devait se faire arracher une dent ou, pire encore, ses beaux-parents étaient là pour l’anniversaire de sa femme. Et j’ai commencé à le frapper et à hurler : « Tu ne divorceras jamais ! Tu ne divorceras jamais ! »

Elle se tut à nouveau. Max n’avait pas bougé. Elle se tenait toujours agrippée à son bras mais, peu à peu, elle desserra l’étreinte, jusqu’à le lâcher complètement. Elle se mit à chercher dans ses poches un mouchoir qu’elle n’avait probablement pas. Il lui tendit le sien, sans un mot. Elle prit, s’essuya les yeux, se moucha et le garda serré très fort dans sa main. De longs instants s’écoulèrent, au bout desquels elle lui demanda d’une petite voix :

« Elle est où la maison de la mine ? »

Il lui indiqua une direction sur la droite

« Là-haut par cette route.

— C’est loin ?

— A une dizaine de kilomètres.

Elle se mit à rire.

« Pourquoi tu ris ?

— Avec toi, tout est à une dizaine de kilomètres. Tu m’as dit la même chose pour Entrevaux. »

Cette répartie le fit sourire

— Sans doute parce que j’aime le chiffre dix, rétorqua-t-il avec amusement. »

Elle n’entendit pas la réponse. Elle avait sorti son téléphone et le consultait.

« Les réseaux ne passent pas, lui fit-il remarquer. Des fois j’y viens pour oublier que les portables existent. »

Une petite lueur d’espoir illumina ses yeux.

« Si tu veux, je peux t’y conduire. »

Elle se tourna vers lui, passa ses bras autour de son cou et l’embrassa sur la joue.

« Merci ! Merci !

— Avant, je dois faire quelques courses… Des fonds de maison.

— Oui. Oui. »

Il ouvrit la portière.

« Max, je peux venir avec toi ? »

Il la regarda et lui caressa la joue :

« Bien sûr. »

Ils descendirent et marchèrent vers la superette :

« Max. »

Il S’arrêta. Elle le regarda et, après une longue hésitation lui demanda timide= ment :

« Finalement, tu es marié ou pas ? »

Il lui adressa un charmant sourire, passa la main dans ses cheveux et s’amusa à les décoiffer puis, indiquant du menton l’entrée du magasin, il lui dit :

« Allons-y. »

FIN

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