III. Le baron de Gévaudan

4 minutes de lecture

« Maria ! Où es-tu ? »

Tommaso cherchait partout depuis des jours. Pas une forêt qu’il n’ait fouillée, une colline qu’il n’ait escaladée, une personne qu’il n’ait questionnée. Et pourtant, nulle trace de celle qu’il n’avait jamais su remplacer.

« Maria ! Dove sei ? Maria ! »

Personne à Hawaï ne savait où elle se trouvait. Personne. Absolument personne.

« Maria ! Cesse de te cacher, per favor ! »

Tommaso en avait les larmes aux yeux, mais il n’allait baisser les bras pour rien au monde. Pas si près du but …

« Maria ! Cesse de te … MARIA ! »

Elle était là, en chair et en os. Le dos tourné, elle contemplait une rangée d’hibiscus. Un poète homérique l’aurait comparée à la déesse Aphrodite, tant la noirceur de sa chevelure semblait irréelle.

« Maria ! C’est moi, Tommaso. Je suis venu te reconquérir. »

Et il s’agenouilla, sortant un bouquet de roses de son sac à dos.

« Toutes ces années, j’ai rêvé de ce moment … souffla-t-elle enfin.

- Moi aussi …

- J’ai peur de me retourner … Tu ne me reconnaitrais pas … J’ai tant pleuré, tant vieilli …

- Ne dis pas ça, mia luna, car les rides ne peuvent que t’embellir.

- Il ne s’agit pas que de rides, Tomino d’oro. »

Et elle se retourna, retirant ce qui s’avéra être une perruque.

Regard perçant.

Visage fatigué.

Pommettes saillantes.

Uniforme militaire.

Croix gammée.

Moustache en brosse à dents.

Ce n’était pas Maria …

C’était Adolf Hitler.

« J’ai changé, Tomino. À toi de changer, maintenant ! »

Tommaso se réveilla en un bond.

Il tomba de son lit.

Il ravala un cri.

Le sol était glacial, plus glacial encore que ses sueurs froides. Ses doigts tremblaient, ses dents jouaient aux castagnettes, ses poils étaient hérissés comme des piques … Mais rien de tout cela n’était aussi effroyable que le cauchemar qu’il venait de vivre.

Il n’était plus dans quelque campagne hawaïenne, mais entre les quatre murs de la suite qu’il s’était payée quelques années en arrière. Télévision FHD aux centaines de chaines, bibliothèque aux centaines de livres, dressing aux centaines de costumes …

Tout pour rendre heureux n’importe quel homme normal …

Il finit par se relever, résistant aux maux de tête qui le mitraillaient. Une petite voix dans sa tête le suppliait de commander de l’alcool au room service, tandis que la raison l’intimait à prendre une bonne douche froide.

Il opta pour la deuxième option.

Il pénétra, nu comme un ver, dans sa salle de bain en marbre de Carrare. Il tourna le robinet, et se glissa dans une douche tout droit sortie du Pôle Nord.

Ses articulations craquèrent avec délice. Ses paupières achevèrent de se décoller. Sa respiration s’accéléra. Sa peau picota allègrement.

Sa cure achevée, Tommaso s’habilla d’un peignoir en soie. Il ouvrit les fenêtres, savourant l’air froid et pollué de Paris, avant de saisir le téléphone fixe pour commander un cappuccino et une corbeille de foccacia. Il passa ensuite les coups de fils de routine, appelant Enzo, son directeur général, et Alfredo, le majordome de son manoir romain.

Sa vie était devenue des plus mouvementées, depuis que Sporco s’était mise à l’exportation. Il avait passé deux années de sa vie à voyager toutes les semaines. De Tokyo à Boston, il avait signé des contrats, bataillé avec les bureaucraties, sympathisé avec des personnes haut placées …

Ces épreuves étaient désormais derrière lui. Sporco allait comme sur des roulettes …

Ce qui ne soulageait en rien le malheur de Tommaso.

Sa commande arriva au bout d’une dizaine de minutes, servie par le maitre d’hôtel en personne. Il lui demanda _ comme chaque jour _ s’il désirait autre chose, mais Tommaso refusa. Un italien, un vrai, mange toujours léger.

C’est au son des Quatre Saisons de Vivaldi que Tommaso s’installa dans son balcon.

Il entendait, mais il n’écoutait pas.

Maria ...

Il avait passé ces dernières années à spéculer sur le sort de Maria.

Maria …

En vain.

Maria …

Il s’apprêtait à tremper la foccacia dans son café lorsqu’un téléphone sonna.

Ce n’était ni la sonnerie du téléphone fixe, ni celle de son smartphone. Il pensa à son vieux Nokia 3210, mais c’était impossible, vu qu’il l’avait perdu des années auparavant.

Ça ne pouvait être que le téléphone jetable qu’on lui avait confié. Un seul et unique numéro y était répertorié …

Sois maudit, René !

Tommaso se leva. Le froid de la matinée se fit soudain ressentir …

Le téléphone sonnait toujours. Il le sortit de l’étagère ou il était caché, avant de décrocher :

« Allo ?

- À qui le baron de Gévaudan a-t-il fait vœu d’allégeance ? demanda une voix modifiée aux tonalités métalliques. »

Sois trois fois maudit, René !

« Au duc Philippe d’Orléans, parvint-il à articuler.

- Et à qui ce dernier a-t-il fait vœu d’allégeance ?

- Au roi Louis XV. »

L’inconnu raccrocha, et Tommaso s’empressa de casser le téléphone en deux.

La conversation qu’il venait d’avoir n’avait strictement aucun sens … du moins, pas pour le commun des mortels.

Le duc vous donne rendez-vous au palais d’Orléans, aujourd’hui, quinze heures pile.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Dr. Dama ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0