V. What a wonderful world

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Tommaso s'engagea dans la cour du Palais. Le soleil avait baissé, libérant un froid qui lui mitraillait les habits, la peau, les muscles, les os, le cœur ...

Emmenez-moi ... au bout de la Terre ...

Il boutonna son manteau jusqu’au col.

Emmenez-moi au pays des merveilles ...

Il franchit le portail, laissé entrebâillé.

Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil.

《 Tom ... 》

Tommaso se retourna. C'était René, le visage blême, les cheveux hérissés.

《 Tom, je ...

- Moins fort.

- Désolé ... humm ...

- Attendons de nous être éloignés, veux-tu ... 》

Tommaso fit quelques pas dans l'avenue du Maine, avant de bifurquer dans une rue déserte. En marchant, il consulta sa Richard Mille 007. Dix-neuf heures... C'est dans le bar de l'hôtel que je devrais me trouver, à écouter du jazz devant un bon vieux Martini.

《 Tom ...

- Moins fort ...

- Où allons-nous ?

- Boire un verre.

- Un verre ?

- Tu en auras deux, si tu préfères.

- Ce n’est pas le moment de ...

- René ... tais-toi ... et arrête de me marcher sur les pieds ! 》

René bafouilla une excuse. Ils accélérèrent le pas, le plus silencieusement possible.

Des heures durant, Tommaso avait subi les innombrables points du convent extraordinaire : passeports internationaux, recrues potentielles, banquet de la mi-mars, augmentation des cotisations mensuelles ... Tout avait été abordé, discuté, débattu ... à l'exception des attentats du 11 octobre, jetés aux oubliettes.

Le soleil baissait au gré de leurs pas. Les commerces abaissaient leurs rideaux métalliques, les parisiens fonçaient vers leurs appartements, les policiers patrouillaient dans les rues ... La Ville des Lumières accueillait l'obscurité comme s'il s'agissait d'une promesse de mort.

Dix minutes de marche les menèrent devant ce qui semblait être l’entrée d’un bar chic. Un portier en smoking montait la garde.

《 Bonsoir, messieurs.

- Dionysos 》

Le visage du bonhomme s’illumina. Il leur ouvrit la porte, laissant s’échapper des notes de jazz.

Les deux amis pénétrèrent dans une machine à remonter dans le temps. Tout avait cet air si particulier des bars des années 60 : lumière tamisée, meubles rétro, verres colorés, hommes et femmes aussi chics que décontractés ... le tout ambiancé par un sosie de Louis Armstrong.

《 Tom, ce n’est vraiment pas le moment.

- Je ne t’entends pas.

- Ce n’est vraiment pas le moment.

- Comment ?

- Ce n’est vraiment ...

- Je me paye ta tête. Laisse-moi écouter ce morceau. On parlera ensuite.

- Tom ...

- ÉCOUTE ! 》

The colors of the rainbow
So pretty in the sky
Are also on the faces
Of people going by
I see friends shaking hands
Saying, "How do you do ?"
They're really saying
I love you

I hear babies cry
I watch them grow
They'll learn much more
Than I'll ever know
And I think to myself
What a wonderful world
Yes, I think to myself
What a wonderful world
Ooh, yeah

Tous applaudirent. Un vieux samaritain offrit même une tournée aux membres de la troupe.

« Et maintenant ?

- Un instant. »

Tommaso fit signe à serveur, qui accourut aussitôt.

« Oui monsieur.

- Vodka Martini, shaken, not stirred. »

Le serveur lui fit un clin d’œil, avant d’aller au comptoir. Il revint non pas avec une boisson à la James Bond, mais avec une longue clé en bronze.

« Désirez-vous autre chose, monsieur ?

- Peut-être plus tard.

- À votre guise. »

Tommaso se dirigea vers un coin du bar, où s’ouvrait un long couloir criblé d’une dizaine de portes rembourrées. Il en ouvrit la dernière, qu’il referma aussitôt à double tour.

Ils se trouvaient dans un élégant salon. Un plateau de tapas et une bouteille de Scotch leur souhaitait la bienvenue.

« Que signifie tout ceci ?

- Tu entends quelque chose ?

- Pardon ?

- Tu entends quelque chose ? De la musique ? Des conversations ?

- Non …

- Voilà pourquoi nous sommes ici. Cette pièce est aussi isolée que le ventre d’une baleine. Seules ces tortillas peuvent nous entendre.

- Et ces mots de passe à la con ? Tu te crois dans un roman ?

- Ça, cher ami, c’est une affaire de millionnaires.

- En toute modestie, j’ai trois millions d’euros dans mon compte en banque.

- Rectification : une affaire de millionnaires qui profitent de leurs millions.

- Très drôle.

- Voilà des années que je te dis que …

- As-tu un plan en tête ?

- Comment ?

- As-tu réfléchi à un plan ?

- Un plan ?

- Oui ! Un plan !

- Pour quoi faire ?

- Sauver des milliers de vie !

- René ... mon bon René ... Dois-je te rappeler que ta famille est sous surveillance ? Que Maria est doublement sous surveillance ? Que nous les regarderons se faire découper en petits morceaux si nous tentons de trahir la Loge ?

- Et tu crois que je ne le sais pas ?! Tu crois que je n'y ai pas pensé ?! 》

René se mit à pleurer comme jamais il ne l'avait fait. Un gémissement déchirant, perçant, atroce ...

《 René, que se passe ...

- Je viens de prendre la décision la plus difficile de ma vie ! Ma famille est condamnée depuis le jour où j'ai mis les pieds dans cette foutue Loge ! Condamnée ! Trois fois condamnée ! Ma femme ! Mes pauvres enfants ! J'ai signé leur arrêt de mort, Tom, leur arrêt de mort ! 》

Les pleurs se muèrent en grognements, les grognements en pleurs effrénés.

《 Des milliers vont mourir si on ne fait rien! Des milliers ! Des femmes ! Des gosses ! Des pères ! Des mères ! Des innocents ! Comment voudras-tu que je regarde mes enfants dans les yeux ? Moi, René Pique, leur héro, leur Superpapa, les serrant dans mes bras tout en sachant que des milliers d'enfants n'auront plus que des cadavres à serrer ?

- Idiot ! Espèce de satané idiot ! C'est toi qui n'auras plus que des cadavres à serrer !

- Et tu crois que je le veux ?! TU CROIS QUE JE LE VEUX ?!

- Arrête !

- Des milliers, Tom ! Tu sais ce que ça veut dire, des milliers ?

- Oui ! Je suis un vétéran de l'armée de terre italienne, je te signale ! Des milliers de cadavres sont passés sous mes yeux !

- Quelle mouche t'a piquée, alors ? Cette Maria que tu n'as pas vue depuis une éternité ?

- RENÉ ! ON LUI A VOLÉ SA VIE ! TU LUI DOIS AU MOINS DU RESPECT !

- Ta mère est morte à cause de toi !

- René ...

- Tu as tué ta mère, Tom, tu m'entends ? Tu l'as tuée ! Tu as peur que ta Maria continue à souffrir ? Comme c'est adorable ! Comme c'est adorable de la part de celui qui a tué sa mère à petit feu ! 》

Ce fut au tour de Tommaso de pleurer. De rage au début, puis de honte, puis de résignation ...

《 Tom ... je ... je ne voulais pas ...

- Tais-toi. 》

Tommaso essuya ses larmes. Un long silence s'ensuivit, ponctué par la respiration haletante d'un René bouleversé.

《 René ...

- Oui, Tom ?

- Tu as raison ...

- Euh ... je ...

- Nous devons sauver ces vies ... mais ta famille et ... hum ... ils ne doivent encourir aucun danger.

- Et comment compte-tu faire ça, au juste ? 》

Tommaso se tut quelques instants. Il ferma les yeux.

Un éclair de clarté parcourut ses neurones fatigués.

《 Ça te dirait d’aller changer ton téléphone? 》

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