VII. Le plus noble des desseins

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《 Alors? Cette annonce ?

- Patience, Tom. Il ne devrait plus tarder.

- Qui, il ?

- Tu verras. Fais ton choix, au lieu de me harceler. 》

Tommaso se rabattit sur le menu qu’il avait entre les mains. Le brouhaha du bistrot lui donnait la migraine.

《 Je prendrais bien un ceviche en entrée.

- Je ne te conseille pas.

- Pourquoi ?

- Parce qu’on est lundi. Les pêcheurs ne travaillent pas le dimanche.

- Et alors ?

- Alors ? Vas-y, tape-toi un poulpe vieux d’un siècle.

- Et la viande, alors ? Tu penses que c’est frais, peut-être ? Tu connais beaucoup de bergers au Bois de Boulogne ?

- Tu connais beaucoup de pêcheurs de poulpes sur les quais de la Seine ?

- Navré de vous interrompre, messieurs. 》

Tommaso leva les yeux. Un homme en costume rayé lui tendait la main.

《 Tom, je te présente Jordan Moreau, un confrère à l’École du Louvre.

- Enchanté, Jordan, dit-il en lui serrant la main.

- Et moi de même, Tom. 》

Le nouveau venu prit place. Une forte odeur de gomina se dégageait de ses cheveux plaqués en arrière.

《 Je dois dire, Tom, que vous avez un style exemplaire.

- Vous croyez ?

- Oh oui. Si je ne me trompe, vous appelez cela la ... preta ... presa ...

- Sprezzatura.

- Voilà ! Et en quoi cela consiste ? On m’en a donné tellement de définitions ...

- C’est l’art d’être nonchalamment élégant.

- Ça vous va à ravir.

- Merci ! Dites-moi, quelle est votre préférence en matière de vins ?

- Honnêtement, tous les vins se ressemblent, pour moi.

- Attendez de goûter à un Château Lafleur. J’en ai vu sur la carte. Puissant, élégant, opulent, avec cette petite touche d’exotisme qui change tout.

- Et vos vins ? Sont-ils sur la carte ?

- J’ai bien peur que non.

- Je vois ... Dites-moi, Tom ...croyez-vous toujours au “fraternisme” ?

- Au quoi ?

- Au “fraternisme”. René m’en a parlé ... un ... “fantasme” politique dont vous étiez obsédé à l’université.

- Et qu’on pensait même avoir inventé ! Tu te souviens, Tom ?

- Je ... oui ... ça fait longtemps, mais oui, je pense m’en rappeler.

- Et y croyez-vous encore ?

- Euh ... en quelque sorte. Je ... je pense toujours que l’humanité doit s’unir ... Mais pourquoi cette question ? 》

Moreau lui tendit ses deux poignets. Il portait des boutons de manchette scintillants, de couleur grise, voire argentée. En y regardant de plus près, Tommaso remarqua qu’ils étaient chacun gravés d’un globe terrestre.

《 Vous n’êtes pas le seul à rêver d’un monde en paix, Tommaso Battista Cartagine. Le “fraternisme”, que nous préférons appeler fédéralisme mondial est une réalité. Partout dans le monde, des milliers de ...

- ... Tom ...

- ... œuvrent jour et nuit à ...

- ... Tom ...

- ... le plus noble des desseins ...

- ... TOM ! 》

Tommaso se réveilla, aveugle.

《 Tom!

- Arrête. C’est bon. 》

Tommaso se redressa comme il put. Il se rappela qu’il n’était pas aveugle, qu’il faisait simplement un noir d’encre.

《 Le camion s’est arrêté. C’est pour ça que je t’ai réveillé.

- Depuis combien de temps ?

- Je ne sais pas ... dix minutes ...

- Dix minutes ?

- Peut-être plus, je ne sais ...

- Si tout allait bien, il nous aurait déjà ouverts.

- Tu penses que ...

- ... il y’a un problème. 》

Tommaso sortit un téléphone jetable de sa poche, qu’il alluma. La lumière l’aveugla à moitié.

《 Alors? Quelle heure ?

- Dix heures six. Ça fait ... quinze heures de route.

- Nous devrions être arrivés. Quelque chose ne ...

- ... chut ! 》

Un cliquetis métallique trahit l’ouverture de la porte. Quelqu’un monta dans la semi remorque, fit quelques pas, retira la plaque métallique qui cachait le minuscule double fond ...

Ce n’était que le chauffeur, armé de ... deux paquets de chips.

《 Scuze pour lou temps. Mi être arrouté pour prendre chips.

- Dix minutes pour acheter des chips ?

- Oui ... et ... caca ...

- N’en dites pas plus ... on est arrivés ?

- Oui. Aucoune proublème dans douane.

- Très bien. Bonne route, cher ami.

- La revedere ! 》

Les deux amis sortirent du camion, les paquets de chips à la main. Ils se trouvaient dans un cul-de-sac désert, à la périphérie de la ville.

《 Où allons-nous, maintenant? demanda René en massant ses jambes ankylosées.

- Au restaurant Osteria La Sol Fa. C’est là qu’il passe sa pause déjeuner. 》

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