XI. Bushido
《 Lâchez-moi! LÂCHEZ-MOI ! 》
Tommaso avait beau se débattre, rien à y faire. Un asiatique musclé comme un taureau de corrida le trainait jusqu’au sous-sol.
《 VOUS ALLEZ LE REGRETTER! VOUS ALLEZ ... 》
Un coup dans le thorax chassa la moindre once d’air des poumons de Tommaso ...
Il se réveilla dans le noir absolu, un goût métallique dans la bouche. Il était allongé sur une surface dure, froide, impénétrable. Une tombe. Une tombe en béton armé.
Tommaso garda ses yeux bien ouverts. Petit à petit, ils s’accoutumaient à l’obscurité. Il put distinguer la forme d’un matelas, d’une porte ...
D’un seau.
Il avait extrêmement soif.
Il se leva. Ses menottes émirent un cliquetis terrible.
《 Tom ... 》, souffla une voix.
Il sursauta. La voix venait de nulle part. On m’a drogué. C’est sûr. Je perds les pédales.
《 Tom. C’est René. Allonge-toi sur ton ventre. 》
La voix venait du sol. Impossible. Impossible. Il s’exécuta doucement, faisant le moins de bruit possible. Sa main gauche atterrit sur une petite grille circulaire : le trou de vidange.
《 Tom, tu m’entends? 》
La voix venait du trou. Tommaso s’en approcha davantage.
《 Oui, je t’entends.
- Ouf. Un peu moins fort. Si ce molosse nous surprend ...
- T’inquiète. Je voix que nos cellules partagent les mêmes conduits d’évacuation.
- Ma pisse mélangée à la tienne.
- Très drôle.
- Pas plus drôle que ton plan. Tout ça pour finir trahis par un toxico.
- La Loge est partout, décidém ... Toxico, tu dis ?
- Ses tremblements auraient pu déclencher un séisme. Il a avalé quelque chose, quand il est descendu de voiture. Je l’ai vu. Ça l’a calmé tout de suite. 》
Les deux amis se turent, ne sachant trop quoi se dire. Au moins, il garde son sang froid.
《 L’asiatique qui nous surveille, c’est un drôle de gars, finit par lâcher René.
- Ça c’est clair.
- Tu as vu ses tatouages ?
- Ses tatouages ? Non.
- Il porte quoi ?
- Une ... chemise noire.
- Boutonnée ?
- Euh ... oui.
- Il a dû la changer ...
- La changer ?
- Oui. Quand il m’a trainé, je me suis débattu. J’ai agrippé sa chemise. Les boutons se sont envolés.
- Et ?
- Ça s’est passé tellement vite ... mais ... je suis presque sûr qu’il porte des tatouages yakuzas.
- Yakuzas, tu dis ?
- Oui. Tu as déjà vu un yakuza torse nu ? Ils portent tous des tatouages qui s’arrêtent au milieu. Une sorte ... je ne sais pas comment t’expliquer.
- Oui ... j’ai vu ça dans un film. On aurait donc affaire à un mafieux japonais ? Qu’est-ce qu’il fait si loin de chez lui ?
- Qui sait ... peut-être que son clan l’a renvoyé ... peut-être a-t-il déserté ... peut-être qu’il n’est qu’un admirateur de ...
- Renvoyé, tu dis ? Pourquoi ?
- La culture nippone n’est pas tellement ma tasse de thé ... mais je sais que les Yakuzas ... les Samouraïs, aussi ... Ils ont un code d’honneur très strict : le bushido. Ne jamais se droguer, ne jamais prendre la femme d’autrui, ne jamais tuer un civil, ne jamais parler à la police ... Généralement, le yakuza doit se couper une partie du petit doigt s’il enfreint les règles, mais ... dans les cas les plus extrêmes ...
- Je vois ... Je parle toujours japonais, tu sais ?
- Je sais surtout que tu as battu le record du monde du traducteur le plus éphémère. 》
Tommaso se tut, pensif. Une idée lui était venu à l’esprit, une idée folle, terrible ...
《 René, tu te rends compte que notre situation est désespérée?
- J’évite de trop y penser, mais oui ...
- Je vais tenter quelque chose ...
- Arrête de faire l’imbécile, Tom.
- Tu préfères attendre de te faire découper en morceaux ?
- Je ... non ... bien sûr que non.
- Très bien ... mais avant tout, je dois enlever ces putains de menottes.
- Et comment vas-tu faire ? Tu as des superpouvoirs, maintenant ?
- Non, mais j’ai fait de l’armée. Je sais ... bon ... en théorie ... comment me déboiter le pouce gauche. Ça fera un mal de chien, mais ma main deviendra suffisamment ... rétractable ... En théorie.
- Et après ?
- Tu verras. Ne dis rien. Tiens-toi prêt. C’est tout ce que je te demande.
- Mais ...
- Pas de mais. C’est notre seule et unique chance. 》
Tommaso se dirigea vers le matelas, déchira un bout de drap, le plaça entre ses dents. Il respira un bon coup, attrapa son pouce gauche, le tordit ...
Le tissu étouffa ses hurlements.
Les larmes inondaient ses yeux. Un éclair de douleur lancinait sa main au moindre mouvement.
Mais il devait le faire. Pour Maria. Pour Maria.
Il contracta le plus possible sa main gauche.
Il tira.
La douleur fut à son paroxysme.
Mais il était libéré.
Il retira son bâillon.
S’approcha de la porte.
《 Hé, gros con! cria-t-il dans son meilleur japonais.
- Ta gueule !
-Tu es joliment costaud, pour un ex-yakuza. Tu as déserté, c’est ça ? Tu ne serais pas un pauvre petit déserteur, quand même ? Les méchants bonhommes te faisaient peur ?
- Je te jure que si tu ...
- Non, tu es bien trop idiot pour être un déserteur. On t’a renvoyé, c’est ça ? Tu as dû faire de très vilaines choses, dans ce cas. Tu as tout dit à la police, c’est ça ? Aurions-nous affaire à une bonne grosse balance ?
- Ta gueule ou ...
- BALANCE ! BALANCE ! BALANCE !
- TU VAS TE TAIRE, OUI ?!
- Pas une balance, tu dis ? Voyons voir ... tu as fait joujou avec la femme d’un ami, c’est ça ? J’imagine que tu lui as fait porter des couches, pour pouvoir bander correctem ...
- JE VAIS TE BRISER LES OS ! 》
Tommaso entendit des bruits de pas. Un cliquetis trahit l’ouverture imminente de la porte. C’est le moment.
Un bain de lumière accompagna l’entrée du garde. Il chercha Tommaso des yeux ...
Qui apparu de derrière la porte.
Il lui asséna un coup de pied aux rotules.
Le garde s’écroula.
Tommaso déroba son trousseau de clés, enleva les menottes qui pendaient à sa main droite, ouvrit la cellule de René, le libéra à son tour de son entrave.
《 Et maintenant?
- Maintenant ? Vers le fleuve ! Au triple galop ! 》
Ils coururent, montèrent les escaliers quatre à quatre, coururent encore, sortirent par la porte de derrière, coururent encore et encore. Des ordres fusaient de toutes parts, des balles les frôlaient sans cesse, mais qu’importe, qu’importe, du moment qu’ils galopaient, galopaient, galopaient.
Le Tibre était désormais à quelques mètres, torrentueux à souhait.
Tommaso se retourna.
Erreur.
Une balle lui transperça l’épaule.
Le monde vacilla autour de lui.
Des mains le retinrent au dernier moment.
Sa dernière sensation fut celle de l’eau s’engouffrant dans ses narines ...

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