ACTE IV, Scène 2 : complication

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La poursuite éclaire le bureau de Juillet. Bernal est assis en face de lui, sur la chaise des visiteurs.

BERNAL. – Alors mon vieil ami, où en est cette réforme des retraites ?

JUILLET. – (en grommelant) Ça avance. Je ne suis pas vraiment aidé.

BERNAL. – Ça ne se passe pas bien avec Gaspard Trémond ?

JUILLET. – On ne peut pas dire cela…

BERNAL. – Alors qu’est-ce qui ne va pas ?

JUILLET. – C’est le financement, Bernal. Le financement ne va pas.

BERNAL. – (incrédule) Le financement ? Mais enfin Raymond, je pensais que tout était clair ? Nous avons validé le plan tous ensemble, en présence de Trémond, en présence de Sarmente. Trémond et toi devez le présenter dans quelques semaines à l’Assemblée… Qu’est-ce qui ne va pas ?

JUILLET. – Tu aurais dû me faire confiance, Bernal. Tu devrais me faire confiance quand je te dis que ça coince sur le financement.

BERNAL. – Enfin, là ce n’est plus une question de confiance, c’est une question de compréhension. Quel est le problème ?

Juillet s’agite sur son siège. Son visage contracté se tord en multiples grimaces glaçantes. Juillet soupire longuement et soudain, semble avoir trouvé une solution. Dans une posture mimant celle de Desfossés, il joint ses doigts en triangle et fait un effort visible pour ne pas perdre son sang-froid.

JUILLET. – Bernal… Pierre… mon vieil ami… Il existe une pyramide de… enfin un montage… un système parallèle aux caisses de retraites et…

BERNAL. – (fébrile) Non, Raymond, non !

JUILLET. – (déterminé à poursuivre, luttant pour garder son calme) Mais Pierre, il faut bien que je t’ex…

BERNAL. – (hurle) Non ! Je ne veux rien savoir ! Rien, tu m’entends ! Débrouillez-vous pour faire passer une réforme qui ne va pas siphonner l’épargne du peuple !

JUILLET. – (explose à son tour) Ça n’est pas possible, Pierre, tu comprends ! Ça n’est pas possible ! Il y a trop d’argent, trop d’acteurs en jeu ! Des acteurs puissants, Pierre ! Nous ne pouvons pas nous permettre de nous les mettre à dos ni même de les perdre !

BERNAL. – (désabusé) Mais enfin Raymond… Raymond, dis-moi, combien de parasites vivent sur le dos du peuple ?

JUILLET. – (hésite, semble chercher une réponse) Bernal je… tu ne veux pas le savoir.

BERNAL. – Combien ?

JUILLET. – (vaincu) Les structures sont innombrables…

BERNAL. – (effrayé) Innombrables ?

JUILLET. – Mais ce n’est pas là qu’est le problème.

BERNAL. – (cynique) Ah tu me rassures ! J’ai cru un instant que d’innombrables structures opaques parasitaient le système de retraites pour lequel nous saignons le peuple à blanc ! (féroce) Ouf !

JUILLET. – Ils sont extrêmement puissants…

BERNAL. – (provocateur) Et alors ?

JUILLET. – On ne peut pas s’en faire des ennemis, bon dieu !

BERNAL. – (sûr de lui) Mais ce sont déjà des ennemis, Raymond. S’ils parasitent les structures de l’État, ils sont déjà nos ennemis. Enfin !

Bernal se lève et marche de long en large. Il marmonne des jurons et des exclamations, répète « on ne peut pas continuer comme ça » et finit par se prendre la tête dans les mains. Il reste ainsi, debout, coupé du monde, durant quelques instants. Puis il rouvre les yeux et se met à fixer le tapis de Perse. Sans quitter le tapis des yeux, il va s’assoir sur le canapé crapaud, pose ses coudes sur ses genoux et son front sur ses doigts et continue à fixer les arabesques du tapis.

Juillet profite de ce silence pour se recouvrer son calme.

JUILLET. – Pierre, tu sais que je suis ton ami, tu sais que je t’ai soutenu et je continue à te soutenir. Mais là, ce que tu me demandes… (exaspéré) Tu leur fais avaler des couleuvres de plus en plus grosses ! À chaque nouvelle humiliation succède un nouvel affront !

BERNAL. – (sans quitter le tapis des yeux) Tu parles du peuple, là ?

JUILLET. – Pierre, bon dieu ! Arrête de parler comme ça on dirait Sarmente ! Enfin ! Où est passé ton esprit de droite, cet esprit d’entreprise, la chasse au profit pour multiplier les investissements et consolider les bilans ? Pierre ! Tu es passé à gauche ou quoi ?!

Bernal continue à regarder le tapis. Son visage s’est totalement assombri. Peut-être soupçonne-t-il que rien n’a fonctionné comme il l’avait espéré. Il secoue la tête entre ses mains et ferme à nouveau les yeux en crispant son visage. Un temps. Il prend une profonde inspiration.

BERNAL. – (les yeux toujours fermés) On va faire une réunion tous ensemble : Julia, Desfossés, Deligny, toi et moi. Et tu vas tout nous expliquer.

JUILLET. – Non, Pierre ! Tout ça c’est… C’est trop brûlant ! Trop confidentiel ! Sarmente va encore partir au quart de tour ! C’est déjà difficile de te gérer toi mais Sarmente, c’est carrément impossible. Deligny est trop jeune, quant à Desfossés… Comment te dire Pierre… Je n’ai plus confiance en lui. Je m’en méfie. (habile) Tu sais comme il est fourbe.

Bernal relève la tête et regarde Juillet avec un air de surprise.

JUILLET. – (triomphant) Quoi, tu ne t’es pas demandé comment il était possible qu’il ait si vite basculé de ton côté ?

Bernal prend congé et sort de scène. Juillet reste seul.
Il saisit son téléphone, compose un numéro et se lève pour marcher de long en large.

JUILLET. – Oui, c’est Raymond… Oui, oui, ça va…. Tout est sur les rails. Pierre ? Non, tout va bien… Ah mais tu me connais ! Tu sais très bien que… Oui, comme la murène, c’est ça. Ah, tu te souviens de mon surnom ! (il rit) C’est vrai, Raymond la murène, je l’avais presque oublié ! C’était un autre temps… Oui… Oui, il ne tient qu’à nous de le faire revivre, en effet… (se dirige vers les coulisses) Tu as raison, la trahison de Sarmente va bien nous y aider !... En tout cas… oui, oui, je t’appelais juste pour te tenir au courant… Oui, ça suit son cours. Bon, écoute, on en reparlera plus tard. Voilà, voilà… Parfait !

Il est déjà dans les coulisses quand il raccroche.

Noir.

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