ACTE V, Scène 4 : lanterner

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Bernal est à son bureau. Sarmente est debout et fait les cent pas.

SARMENTE. – Pierre, c’est impossible. Je veux bien croire que Juillet trahirait père et mère pour le prestige et l’argent, mais Desfossés… Il est loyal, il est intelligent. Il est de notre côté, bon sang !

BERNAL. – (épuisé, brandit les papiers) Mais tu vois bien que non ! Tu vois bien que les preuves sont là!

SARMENTE. – Je vois, je vois… Trémond est au courant ?

BERNAL. – C’est même lui qui l’a mis sous le nez de Juillet.

SARMENTE. – Il fallait s’y attendre. Quand il y a quelque chose qui coince, Trémond est toujours très fort pour le débusquer…

BERNAL. – Je ne suis pas sûr qu’on puisse réellement lui faire confiance…

SARMENTE. – (sûre d’elle) Bien sûr que non ! Nous ne pouvons faire confiance à personne, même pas à ceux dont les enfants jouent avec les nôtres.

BERNAL. – Tu es donc consciente qu’il pourrait te trahir ?

SARMENTE. – Évidemment ! Comme tous les autres… Comme toi tu pourrais me trahir. Nous nous sommes engagés dans une alliance de circonstance mais tu ne m’as donné aucune garantie ni fait aucune promesse.

BERNAL. – Mais alors pourquoi tu as accepté ? Pourquoi tu continues ?

SARMENTE. – (amusée) Mais parce que je crois en ce que je fais, parce que tu m’as donné ma chance et que je l’ai saisie, parce que la vie est faite pour être vécue, parce qu’il faut prendre des risques ! Je préférerais travailler sereinement et en toute confiance mais c’est impossible. Pas dans un monde qui appartient aux patrons.

BERNAL. – Cela faisait bien longtemps que tu ne m’avais plus resservi tes discours de gauche.

SARMENTE. – Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus eu besoin de te rappeler certaines évidences.

BERNAL. – Juillet m’a tenu à peu près le même discours que toi.

SARMENTE. – Juillet est un vieux loup de mer, il a connu bien des tempêtes, il sait de quoi il parle. Et même si nous ne servons pas le même maître, lui et moi, nous sommes au moins d’accord sur l’identité de nos maîtres respectifs.

Silence. Tous deux semblent absorbés dans leurs pensées.

BERNAL. – Que penserais-tu si je te trahissais ?

SARMENTE. – Je t’en voudrais à mort de m’avoir empêchée de servir mon maître.

BERNAL. – Et d’aller au bout de tes idées aussi ?

SARMENTE. – Oui, de tester ces réformes, de faire entrer la nation dans un autre rapport au pouvoir. Oui, je t’en voudrais pour ça, bien sûr.

BERNAL. – Et le sentiment de trahison ?

SARMENTE. – J’y suis préparée.

BERNAL. – Desfossés l’est-il ?

SARMENTE. – Oui, je pense que c’est un homme lucide. Mais je te répète que ce n’est pas la bonne solution. Juillet ne te présente pas les choses de la bonne manière.

BERNAL. – Il m’a dit qu’il fallait annoncer la ruine des caisses de retraites et la mise en place de nouvelles taxes. Il m’a dit que le peuple aura besoin d’un bouc-émissaire.

SARMENTE. – (répète en geignant) Le peuple a besoin d’un bouc-émissaire, le peuple est trop bête, le peuple ne comprend rien ! Toujours ces calculs et ces manipulations, c’est insupportable ! (elle se calme et reprend) Pierre, tu es chef d’État, tu dois prendre des décisions difficiles, tu dois sanctionner les fautes et encourager l’honnêteté. Mais cette solution-là, sacrifier Desfossés… C’est idiot. C’est même inutile. Les gens ne le connaissent pas, il n’est pas assez exposé… C’est…

BERNAL. – (murmurant pour lui-même, sans que Sarmente puisse l’entendre) Arrête Julia, c’est lui ou toi… Trémond t’a trahie… Ils t’ont tous trahie…

SARMENTE. – (se rend compte qu’il ne l’écoute pas) Pierre, tu feras bien comme tu voudras. Je t’ai dit ce que j’en pensais, je t’ai dit que c’était un mauvais calcul… comme tous les calculs d’ailleurs. Je pensais qu’on était sortis de tout ça… Pierre, je pensais qu’avec toi, j’avais une chance de sortir de tout ça, de tous ces petites tactiques ridicules…

BERNAL. – Mais je suis coincé, Julia !

SARMENTE. – Tu ne l’es que parce que tu l’acceptes. Reste fidèle à ce qui t’a animé quand tu m’as appelée, le premier jour ! (un temps) Si tu trahis Desfossés, tu te trahis toi-même.

On frappe à la porte.

BERNAL. – Le voilà.

SARMENTE. – (en se dirigeant vers la porte) Je ne veux pas participer à cela. Débrouille-toi comme tu veux, mais je ne serai pas complice d’une trahison personnelle. D’un système, avec plaisir ; d’une personne, certainement pas !

BERNAL. – Et si cette personne représente le système ?

SARMENTE. – (hors d’elle) Non !

En sortant, elle croise Desfossés qu’elle salue à peine. Il entre et s’assoit devant Bernal.

DESFOSSÉS. – Tout va bien ?

Bernal reste un moment silencieux, en proie à ses doutes.

DESFOSSÉS. – Pierre… Que se passe-t-il ?

Noir.

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