ACTE V, Intermède

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Sarmente est assise dans le bureau de Bernal et regarde l’écran.

Dans son bureau, Juillet est confortablement calé au fond d’une chauffeuse et regarde également Mallory Ménager qui commente l’actualité.

PRÉSENTATRICE. – Mesdames et messieurs, nous recevons aujourd’hui Pierre Bernal qui a tenu à s’exprimer suite à la démission de l’un de ses plus proches conseillers. Oreste-Basile, comment le peuple a-t-il réagi suite à cette démission ?

COPRÉSENTATEUR. – Ah, Mallory ! Les réactions ont été nombreuses et énergiques. Le peuple est partagé entre le dépit et l’espoir, entre le cynisme de constater que les trahisons politiques sont loin d’être terminées et la perspective qu’enfin le président Bernal et son Premier ministre parviennent à assainir la situation.

PRÉSENTATRICE. – (à Bernal) Assainir la vie politique du pays, en effet, c’était votre objectif, Pierre Bernal, pensez-vous y être arrivé ?

BERNAL. – Eh bien… Assainir la vie politique du pays n’a jamais été un objectif en soi mais un passage obligé pour parvenir à tenir les objectifs que nous nous sommes fixés, Julia Sarmente et moi. C’est d’ailleurs dans cet esprit que nous nous sommes retrouvés, dès nos premiers échanges.

PRÉSENTATRICE. – (avec duplicité) Oui, bien sûr, redonner du pouvoir au peuple, cesser de créer chaque jour de nouvelles taxes mais surtout, surtout, exposer sans fards les calculs et les manipulations de tout ce petit monde. Car personne n’a oublié ce que l’on nomme désormais « la trahison de Sarmente ».

BERNAL. – (se défend) Trahison qui n’en a jamais été une. Ce fut plutôt une révélation !

PRÉSENTATRICE. – (toute en insinuations) Pensez-vous que ce fut une révélation ? Oreste-Basile, le peuple a-t-il pensé qu’il s’agissait d’une révélation ?

COPRÉSENTATEUR. – On peut dire en effet, Mallory, qu’une partie du peuple a réagi très positivement à ce petit tour bien malicieux que leur a proposé Julia Sarmente. Certains ont même affirmé qu’il était temps que les politiciens soient mis face à leurs contradictions. Mais une autre partie du peuple est demeurée inquiète, effrayée voire traumatisée par ce coup de poignard que Julia Sarmente a planté dans le dos de (il insiste) ses plus proches collaborateurs.

PRÉSENTATRICE. – (ficelle) Un coup de poignard… En effet… Qu’en pensez-vous, Pierre Bernal ?

BERNAL. – Ce poignard, comme vous le dites, que Julia tenait dans sa main – avec mon approbation, je tiens à le préciser – nous a permis de déchirer le voile des calculs politiques. Notre objectif a toujours été d’en finir avec les petits arrangements de castes.

PRÉSENTATRICE. – (l’interrompt) C’est dans cet esprit que vous avez incité votre conseiller à quitter ses fonctions ?

BERNAL. – (hésite, voit le piège, se demande comment l’éviter) Mon conseiller a pris sa décision. Il a parfaitement compris que ce qu’il avait fait était incompatible avec l’impulsion que nous voulions donner à notre mandat, Julia Sarmente et moi. Il m’a donc proposé de démissionner et j’ai accepté.

Sarmente se prend la tête dans les mains ; Juillet jubile sur son fauteuil.

PRÉSENTATRICE. – (cherche à prouver qu’il ment) Vous ne l’avez donc pas congédié ?

BERNAL. – (agacé, veut défendre Desfossés sans pour autant avouer son mensonge) Mon conseiller est un homme d’honneur. Il a reconnu son erreur, il a compris que l’enrichissement personnel au détriment du peuple était incompatible avec nos convictions et il a choisi d’assumer à la fois son acte et l’attitude honorable dont nous voulons tous faire preuve… dorénavant.

PRÉSENTATRICE. – (cherche à tendre son piège d’une autre manière) Mais à votre avis, Pierre Bernal, que peut bien penser le peuple de toute cette affaire ?

BERNAL. – J’espère que le peuple a compris que les choses avaient changé et qu’il a su voir que je n’ai pas hésité à sacrifier l’un de mes plus proches conseillers pour le lui prouver.

PRÉSENTATRICE. – (jubile) Sacrifier ?

Sarmente s’exclame : « Oh mais c’est pas vrai ! »

Juillet s’exclame : « Bingo ! »

BERNAL. – (se rattrape) J’aurais pu refuser sa démission, j’aurais pu escamoter cette affaire, déguiser les futures taxes de renflouement des caisses de retraites… J’aurais pu mentir.

PRÉSENTATRICE. – (persifle) Et vous ne l’avez pas fait. C’est tout à votre honneur. Vous avez choisi de sacrifier – comme vous le dites si bien – votre conseiller de toujours, presque un ami peut-être, pour le bien commun. Comment peut-il se sentir, aujourd’hui, à votre avis ?

BERNAL. – Malgré ce que l’on peut penser, c’est un homme loyal, avec un vrai sens de l’honneur et une conscience aigüe de ses responsabilités. Je pense qu’il ressent un puissant sentiment d’échec et une certaine forme de culpabilité. Je pense qu’il supportait difficilement cette situation et qu’il avait besoin d’en sortir. Vous savez… la culpabilité que l’on ressent lorsqu’on trahit ses proches, ses valeurs… finalement, cette culpabilité-là finit par vous ronger. Lorsqu’on trahit ses valeurs, on se trahit soi-même.

PRÉSENTATRICE. – Les politiciens seraient donc, selon vous, des hommes comme les autres ? (à son coprésentateur) Le peuple pense-t-il que les politiciens sont des hommes comme les autres, Oreste-Basile ?

COPRÉSENTATEUR. – Bien sûr que non, Mallory ! Le peuple a toujours pensé que les politiciens chérissaient avant tout leur pouvoir et…

BERNAL. – (l’interrompt) C’est exactement la raison pour laquelle Julia Sarmente et moi-même avons décidé de rompre avec cette… tradition ! Pour montrer au peuple que des hommes ‘’normaux’’ peuvent accéder au pouvoir et exercer ce pouvoir sans que cela ne préempte leur humanité et sans que l’ivresse ne les amène à trahir toutes leurs valeurs !

Dans le bureau de Bernal, Julia marche de long en large, se prend la tête dans les mains,
agite les bras, hurle « Non, Pierre ! Pourquoi mentir ? Pourquoi mentir ?! »

Dans le bureau d’en face, Juillet a bondit de son fauteuil en battant des mains.
Il s’exclame : « Échec et mat ! »

Noir.

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