ACTE I, Scène 1 : stupeur de droite

3 minutes de lecture

La scène est divisée en deux : d’un côté, le petit salon d’un palais, peut-être l’Élysée ; de l’autre, le séjour confortable d’un appartement haussmannien.

La poursuite éclaire le petit salon. Trois hommes discutent avec animation. L’un des hommes est assis profondément dans une bergère Louis XVI, un autre sur un canapé crapaud Napoléon III pianote sur un ordinateur portable qui posé sur la table basse devant lui. Le troisième homme est debout, près de la fenêtre. Au sol, un magnifique tapis de Perse, aux motifs complexes et colorés.

L’homme près de la fenêtre regarde au dehors. Il a l’air pensif.
Celui qui est assis dans la bergère est très agité.

JUILLET. – Mais enfin, tu es fou ! Tu es fou, Bernal ! Tu as perdu l’esprit ! Ou ces élections t’ont monté à la tête…

BERNAL. – (lointain, regardant toujours par la fenêtre) Non, je ne suis pas fou.

JUILLET. – Mais elle te déteste !

BERNAL. – (se tourne vers Juillet en souriant) Alors ça, c’est le cadet de mes soucis.

JUILLET. – Mais dès qu’elle ouvre la bouche, c’est pour te contredire !

DESFOSSÉS. – (calme et hautain) Je dirais même plus qu’elle est de loin ton opposante la plus virulente.

BERNAL. – Justement.

JUILLET. – (s’emporte) Justement ? Justement ! Comment ça « justement » ?! Tu…

DESFOSSÉS. – (interrompt Juillet en souriant d’un air entendu) Hé hé, j’ai compris. C’est un coup... tu mijotes quelque chose. Tu vas lui refiler les retraites, ce bourbier impossible ? Pour qu’elle se ridiculise ?

BERNAL. – (agacé) Non, je ne vais pas lui proposer les retraites. Enfin… Tu sais que ça pourrait être une solution… Certaines de ses propositions sont…

JUILLET. – (s’emporte à nouveau) Bernal, arrête ça tout de suite ! Tout de suite ! N’envisage même pas de terminer cette phrase ! Certaines de ses propositions vont à l’encontre de tout ce pour quoi tu as été élu. Tout. Certaines de ses propositions hérissent le poil de tes électeurs. (se calme, sur un ton plus amical) Enfin Bernal, qu’est-ce qui te prend ? (narquois) Tu es amoureux ou quoi ?... Tu es amoureux, c’est ça ?

Bernal secoue la tête en signe de dénégation, regarde son interlocuteur avec sévérité et hausse les épaules.

BERNAL. – Enfin… Elle est brillante, tout de même ! Vous devez bien le reconnaître, vous l’avez vue.

JUILLET. – (fou de rage) Ah ça y est ! Ah c’est pas vrai ! Ah ça mais… je le savais ! Je le sentais nom de dieu !

DESFOSSÉS. – (calme, méthodique) Je te rappelle humblement qu’elle est de l’opposition. Le parti qui a perdu (il insiste sur le mot « perdu ») au cas où tu l’aurais oublié.

JUILLET. – En plus, elle n’est même pas vraiment jolie. Elle est petite, boulotte, des vêtements bon marché…

DESFOSSÉS. – (l’interrompt, dans le désir évident de ne pas contrarier Bernal) Non, non, ne dis pas cela, Juillet. Elle a son charme, cette petite dame. La preuve : des électeurs ont voté pour elle.

BERNAL. – (ulcéré, à mi-voix) Alors je dois être Apollon, puisque j’ai été élu.

DESFOSSÉS. – (désorienté) Bernal, on voulait juste te rappeler qu’elle est de l’opposition, (en articulant et en insistant sur chaque mot) le parti qui a perdu les élections.

BERNAL. – Ils ont perdu parce qu’on a fait en sorte qu’ils perdent. Ça, je ne l’oublie pas.

JUILLET. – (s’emporte à nouveau) Des scrupules, maintenant ! Voilà que tu as des scrupules ! Mais mon petit père, si tu es du genre à avoir des scrupules, il ne fallait pas te présenter, il ne fallait pas te faire élire ! On n’est pas un bon chef d’État si on a des scrupules, flûte !

Un temps. Bernal fronce les sourcils, baisse la tête et semble s’absorber dans la contemplation des motifs du tapis. Juillet soupire. Desfossés observe Bernal.

DESFOSSÉS. – (conciliant) Juillet n’a pas tort…

BERNAL. – (relève la tête, regarde Desfossés puis Juillet) Juillet a tort. Les bons chefs d’État savent reconnaître la valeur des autres. Et elle a de la valeur, cette fille. Regarde comme elle m’a mis en difficulté lors du débat. Elle aurait pu m’écrabouiller en direct…

DESFOSSÉS. – (prudent) Non mais Bernal… Enfin… Comment te le dire ? (il soupire) Je crois qu’on en a déjà parlé. Tu as été mauvais. Et tu l’as reconnu.

JUILLET. – (l’interrompt) Et tu n’as pas fait ce qu’on t’avait proposé ! On t’avait dit de la déstabiliser avec les rumeurs sur ses enfants. Tu n’as pas voulu. C’est ça qui t’a fait perdre des points.

BERNAL. – Les rumeurs étaient fausses.

JUILLET. – (avec énervement) Mais on s’en fout, Bernal ! On s’en fout ! Une rumeur, c’est pas fait pour être vrai, bon sang ! Une rumeur, c’est un coup d’épaule, une gifle, le petit croche-patte qui fait mouche. C’est tout ! C’est à ça que ça sert, bon dieu !

BERNAL. – (il soupire) Je n’aime pas ces méthodes. Et puis cette fille est brillante. Enfin vous l’avez vue!

Noir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Enetrizin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0