ACTE I, Scène 2 : stupeur de gauche

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Dans le séjour de l’appartement haussmannien, l’ameublement est simple et fonctionnel. Quelques toiles sont accrochées aux murs, peut-être d’artistes vaguement cotés. Une femme déambule lentement dans la pièce, accrochée à son téléphone portable. On l’entend murmurer des choses tendres. Un jeune homme, assis à la grande table de la salle à manger, attend qu’elle ait fini. Elle raccroche enfin.

DELIGNY. – Votre mari a fait bon voyage ? Il est bien arrivé ?

SARMENTE. – Oui, tout s’est bien passé. Il est à son hôtel.

DELIGNY. – (condescendant) Personnellement, j’adore New York. J’y ai fait plusieurs séjours et c’est vraiment une ville fantastique !

SARMENTE. – (avec simplicité, elle sourit) Je n’ai jamais eu l’occasion de m’y rendre. Et mon mari non plus, d’ailleurs. Sans le désistement de son collègue, il serait ici avec nous et il n’aurait pas été obligé de promettre une boule à neige « statue de la Liberté » à notre fille.

DELIGNY. – (gêné, il décide de changer de sujet) Vous avez été positivement incroyable, au débat, vous savez ?

SARMENTE. – (dubitative) Ah oui ? Je trouve plutôt que c’est Bernal qui a été mauvais.

DELIGNY. – (à nouveau gêné, se rend compte qu’il a gaffé en voulant la flatter pour changer de sujet. Cherche ses mots. Jette un regard désemparé autour de lui, lève soudain les yeux au ciel avec une expression victorieuse et finit par hasarder) J’avoue qu’il aurait pu utiliser la rumeur sur vos enfants et qu’il ne l’a pas fait. Ça m’a étonné, d’ailleurs…

SARMENTE. – Cette rumeur immonde n’avait rien à faire dans un débat politique. S’il avait tenté d’amener le débat sur ce terrain-là, je l’aurais reçu comme il se doit. Mes réponses étaient prêtes et il aurait achevé de se ridiculiser.

DELIGNY. – (voyant que ça fonctionne, il reste sur son idée) C’est vrai, c’est marrant, ça. Je me demande pourquoi il n’a pas utilisé les rumeurs. Et puis le simple fait de le mentionner vous aurait fait perdre des points, vous le savez, nous en avions parlé. Les gens, les électeurs, ils surréagissent à tout. C’est la théorie de l’appareil-photo, vous vous souvenez ?

SARMENTE. – (désinvolte) Moui… Votre explication sur la pellicule ? Les gens sont impressionnables, ils ne retiennent que le dernier événement choquant, ils sont aussi stupides que du papier-photo… ? (elle soupire profondément) Ça ne m’aurait rien fait perdre du tout. J’étais prête à lui répondre et les gens ne sont pas aussi stupides que vous le prétendez. Prendre le peuple pour des idiots, c’est ça qui a ruiné tous nos prédécesseurs. Tous.

DELIGNY. – (vexé) Enfin il y en a quand même qui se sont faits réélire malgré leurs innombrables bilans catastrophiques. Ça veut quand même dire qu’il y a un peu de vrai dans cette théorie.

SARMENTE. – (avec fermeté) Ça montre surtout que le choix est limité à une poignée de candidats corrompus et que les gens vont au moins pire. Vous vous rappelez de mon micro-trottoir ?

DELIGNY. – (affable, presque obséquieux) Ouiiii ! Bien sûr ! C’est avec ce micro-trottoir que vous vous êtes fait connaître ! Mais je pensais que c’était plutôt pour… Enfin que c’était juste une manœuvre pour montrer que vous étiez proche du peuple. Enfin… je pensais que c’était une stratégie. Tout le monde reconnaît à quel point vous êtes brillante !

SARMENTE. – Tout le monde sauf moi, mon brave Deligny. Et ce n’était pas une stratégie. Enfin pas au sens où vous l’entendez. Je voulais montrer à quel point le peuple est conscient de la situation.

DELIGNY. – Pourtant, ils votent pour des corrompus.

SARMENTE. – Parce qu’il n’y a personne d’autre. Parce que le choix se résume au ‘’moins pire des corrompus’’. Parce qu’à quelques détails près, leurs propositions sont toujours les mêmes… La continuité dans le changement…

DELIGNY. – Mais les gens pourraient décider de voter autrement.

SARMENTE. – Eh bien ils ont voté pour moi.

DELIGNY. – Mais vous avez perdu…

Noir.

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