ACTE I, Scène 4 : soutien affectif
AUGUSTA. – Alors… ? Tu veux en parler ?
BERNAL. – (soupire) Je ne sais pas. Je crois que le piège vient de se refermer sur moi. J’ai l’impression d’être perdu, de ne plus savoir quoi faire… Et tu es la seule à qui je peux en parler. Pourtant, je ne suis pas sûr de vouloir t’en parler. Je ne sais plus à qui je peux faire confiance, Augusta.
AUGUSTA. – (sourit avec tendresse et secoue la tête en signe de dénégation) Pierre… Ce n’est pas à cause de mon frère ?
BERNAL. – Si, un peu.
AUGUSTA. – Mais tu étais d’accord ?
BERNAL. – Oui, bien sûr ! Mais je crois que je n’avais pas réalisé que je posais le pied sur un piège à loup.
AUGUSTA. – Mon cher mari, tu sais ce qui m’a toujours plu, chez toi ? C’est ce mélange indéfinissable de lucidité et de candeur. Tu es capable de déceler le cynisme avec une telle acuité, vraiment rien ne t’échappe ! Et pourtant… Tu as encore des rêves et des idéaux. Je t’assure que c’est rare.
BERNAL. – (avec tendresse) Arrête d’essayer de me manipuler, ma chérie.
AUGUSTA. – (vient s’asseoir sur les genoux de son mari) Je t’assure que je suis sincère ! Allons, allons, raconte-moi ce qui t’embête et tu verras que la solution finira par s’imposer d’elle-même. Je t’écoute.
BERNAL. – (soupire, regarde sa femme avec tendresse) Bien. Voyons comment tu vas réagir et ce que tu peux faire pour moi.
AUGUSTA. – Je n’attends que ça !
BERNAL. – Desfossés et Juillet voulaient discuter du Premier ministre.
AUGUSTA. – Oui, je m’en suis doutée en voyant la réunion sur ton agenda. Mais je les connais, ces messieurs ! Je suis sûre qu’ils t’ont suggéré des noms, expliqué quelles étaient tes obligations et que tout ça t’a agacé.
BERNAL. – Et c’est peu de le dire ! (un temps) Mais à leur décharge, j’ai pris une décision … (il se râcle la gorge) …radicale.
AUGUSTA. – (impatiente) Alors laisse-moi deviner ! Ils t’ont suggéré Lastang et tu as refusé.
BERNAL. – Cela va de soi.
AUGUSTA. – Ensuite, ils ont enchaîné avec Barbara Farod. Et ils ont argumenté… Une femme… Ce serait formidable… Et cætera, et cætera.
Bernal rit doucement. Encouragée, Augusta poursuit sur sa lancée.
AUGUSTA. – Et puis ils t’ont peut-être proposé un représentant d’un parti allié… Maraud ? Zinckerman ? Bruand ?
BERNAL. – (amusé) Continue. Jusqu’ici, c’est un sans-faute.
AUGUSTA. – Évidemment, toi tu as refusé tous ces noms parce que tu as ta petite idée. Tu savais déjà qui tu voulais pendant la campagne. Alors tu leur as proposé Carony et ils ont refusé, évidemment.
BERNAL. – Raté. Ce n’est pas Carony. Mais tu ne t’es pas trompée sur le refus.
AUGUSTA. – Pas Carony ? (elle réfléchit) Mais qui alors ? Parce que là, je ne vois plus.
BERNAL. – (pousse un long soupir, regarde sa femme dans les yeux) Sarmente.
AUGUSTA. – (ouvre de grands yeux et s’écarte de son mari) Sarmente ?!
BERNAL. – Sarmente.
AUGUSTA. – (se lève, inspire longuement, expire lentement, murmure un « ah oui quand même », se met à marcher et parle à voix basse en regardant son mari et en levant les sourcils, la bouche pincée, l’air sombre) Sarmente… Ciel…
BERNAL. – Tu ne l’attendais pas, hein ?
AUGUSTA. – (décontenancée et essayant de garder son calme et son sens de l’humour) J’avoue… J’avoue… J’avoue qu’en effet, je ne m’attendais pas à ça. Mais… Mais je comprends, en réalité. Je comprends ton choix. (elle secoue la tête en levant les sourcils) Elle est parfaite. Il n’y a rien à dire.
BERNAL. – N'est-ce pas ! Même toi, tu es d’accord avec moi.
AUGUSTA. – Je suis d’accord avec toi parce que je te connais et je commence à comprendre ce que tu veux faire… C’est risqué, mon chéri. Et ça aura des conséquences… (elle pousse un long soupir, prend un air grave) Ça peut… Chéri, ça peut détruire notre famille, l’héritage des enfants… Tout !
BERNAL. – Je sais.
AUGUSTA. – Tu y as déjà réfléchi…
BERNAL. – Je ne fais que ça depuis des mois. Depuis le début de la campagne.
AUGUSTA. – (prend un siège et vient le placer en face de celui de son mari) Bon, nous sommes mariés pour le meilleur et pour le pire alors je vais t’aider à réfléchir et à prendre ta décision.
BERNAL. – Tu vas me soutenir ?
AUGUSTA. – (pince les lèvres) On est mariés, je n’ai pas le choix.
BERNAL. – Mais tu l’as dit toi-même, ça peut dégénérer. La situation peut complètement échapper à mon contrôle. Ici, dans ces lieux, je ne trouverai que des ennemis. Je n’aurai aucun soutien. Je peux m’écrouler aussi vite que je suis monté…
AUGUSTA. – Oui, bien sûr, mon chéri. Je comprends. Mais on va procéder par étapes. Pour l’instant, tout va bien, tu as ta victoire, tu as tes projets et tu n’as plus qu’à construire un édifice politique cohérent.
BERNAL. – Si ça dégénère, tu pourrais vouloir divorcer…
AUGUSTA. – (sur un ton de défi) Ah mais tu sais, si Dieu a inventé le divorce, c’est bien pour éviter aux épouses d’avoir à gérer l’opprobre de leur mari ! Sinon, à quoi ça servirait ?
BERNAL. – Ah, Augusta !
AUGUSTA. – Bon, réfléchissons. Le gros problème, c’est le financement de ta campagne. (Bernal opine) Alors déroulons le fil. Tu nommes Sarmente. D’Arbeau se fâche et entreprend une campagne de dénigrement. Éventuellement, il active ses réseaux pour déplacer le problème dans la rue et te mettre une grève générale sur les bras.
BERNAL. – Mais Sarmente contrôle la rue…
AUGUSTA. – Elle n’en contrôle qu’une partie. (elle soupire) Et puis il y a mon frère, la holding… Ça pourrait nous mettre sur la paille. D’Arbeau ne laissera pas passer ça.
BERNAL. – Je sais. C’est mon plus gros problème. Il faut absolument qu’on trouve une solution pour rassurer les patrons. Tous ceux qui m’ont soutenu publiquement ou qui sont officiellement liés à moi, comme ton frère, vont voir leurs actions s’effondrer. (un temps. Il se lève de son fauteuil et retourne se poster à la fenêtre) Augusta, ma chérie… Si tu veux divorcer, tu sais…
AUGUSTA. – Mais enfin, Pierre ! Je plaisantais ! Je te connais, je sais qui tu es. Je sais que quand tu t’accroches à une idée saugrenue, c’est qu’en réalité elle est géniale. (elle se tait puis reprend) Tout me dit que tu as perdu la raison. Tout. Ton idée est pire que saugrenue, elle est suicidaire ! Mais je suis ta femme, je te connais et je veux t’aider à y voir clair. Je ne vais pas tenter de t’influencer, tu le sais. Mais on va réfléchir tous les deux à tes meilleures options. Et qui sait, peut-être même qu’on va finir par trouver une solution qui arrange tout le monde.
Noir.

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