ACTE I, Scène 6 : promotion
Deux poursuites éclairent uniquement Sarmente et Bernal durant toute la scène.
De chaque côté, les conseillers sont présents dans l’ombre.
Bernal est assis sur le canapé crapaud, avec le téléphone posé sur la table devant lui. Juillet et Desfossés lui font face. Juillet a repris la bergère et Desfossés est assis tout au bord d’une chaise Empire. Bernal se penche vers le téléphone, en effleure l’écran et on entend la sonnerie.
De l’autre côté, Deligny et Sarmente sont assis sur le canapé, le téléphone posé devant eux.
Lorsque l’écran s’allume et que le téléphone se met à vibrer, Sarmente décroche.
SARMENTE. – Pierre Bernal ?
BERNAL. – Bonjour Julia Sarmente. (sa voix tremble mais il se reprend) Je suis heureux de vous entendre… À vrai dire, je suis heureux que vous ayez accepté cette conversation.
SARMENTE. – (ne lui laisse pas le temps d’enchaîner) C’est moi qui suis heureuse, monsieur Bernal. Vous avez gagné, j’ai perdu, vous n’aviez aucune raison de m’appeler.
Juillet opine avec ostentation et lâche un « En effet ! »
BERNAL. – Avant toute chose, je dois vous informer que vous êtes sur haut-parleur et que j’ai à mes côtés mes deux conseillers, Raymond Juillet et Édouard Desfossés.
SARMENTE. – (sourit) Je comprends. Je suis moi-même accompagnée de Louis-Kevin Deligny et vous êtes aussi sur haut-parleur.
BERNAL. – Parfait, alors nous n’avons rien à nous cacher. C’est la meilleure manière de travailler.
SARMENTE. – Absolument ! (plus calmement) Absolument… Vous savez, Bernal, je suis heureuse de pouvoir vous féliciter de vive voix. Et aussi… (Deligny fronce les sourcils et pince les lèvres) de pouvoir vous remercier.
DELIGNY. – (murmure) Non, non, vous n’avez pas à le remercier ! Ne vous placez pas comme ça en posture de soumission !
BERNAL. – (intrigué) Me remercier ?
SARMENTE. – (sûre d’elle, ignorant les récriminations de Deligny) Oui, vous remercier. Lors du débat, vous auriez pu utiliser les rumeurs sur mes enfants. Et vous ne l’avez pas fait. Vous m’avez impressionnée et je voulais vous en remercier.
Juillet arbore un large sourire et se tourne vers Desfossés avec un air entendu.
Ce dernier semble moins enthousiaste et fait signe qu’il veut rester concentré sur la conversation.
BERNAL. – Utiliser les rumeurs sur vos enfants… Oui… c’est vrai. J’aurais pu le faire. Mais vous ne vous seriez pas laissée faire. Vous auriez commencé par répondre que ces choses-là n’ont pas leur place dans un débat politique et que tenter de déstabiliser son adversaire en attaquant sa famille est d’une bassesse dont vous ne m’auriez pas cru capable.
Juillet s’étrangle. Desfossés soupire en pinçant les lèvres.
SARMENTE. – (satisfaite) Vous avez parfaitement raison.
BERNAL. – Et si j’avais insisté, vous auriez répliqué en me questionnant sur ma propre famille et notamment sur mes liens avec l’industrie de l’armement.
Juillet laisse échapper un « Ha ! » d’indignation. Desfossés pose une main calme sur le bras de Bernal en émettant quelques « Tsss, tsss » réprobateurs pour tenter de l’arrêter.
De son côté, Deligny boit du petit-lait.
SARMENTE. – (sourit) Eh bien voyez-vous, je ne sais pas si j’aurais évoqué votre famille. Je n’aime pas tomber aussi bas que mon adversaire lorsque je me fais attaquer de cette façon. Au contraire, même. Quand une personne se décrédibilise toute seule, il ne faut surtout pas lui venir en aide en tombant aussi bas qu’elle… Il faut la laisser patauger dans sa mélasse et contempler la boue collée à ses chaussures.
JUILLET. – (se redresse brutalement et hurle sur le téléphone) Ah mais non ! C’est assez ! Cette agression est insupportable ! Vous agressez Pierre Bernal, vous agressez son équipe de campagne et vous agressez tous ses électeurs !
Sarmente reste silencieuse. Bernal aussi. Chacun, de son côté de la scène, tourne vers l’autre un troublant regard complice. On sent qu’ils n’ont pas besoin de se parler pour se comprendre. On sent même que la parole est de trop dans cette forme de communication.
Enfin, Bernal décide de venir en aide à son ami Juillet.
BERNAL. – (sur un ton calme, presque condescendant) Nos conseillers font ce qu’ils peuvent pour assurer notre succès et nous devrions les en remercier.
SARMENTE. – Mais ce n’est pas toujours dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.
Juillet s’est carré dans son fauteuil et serre les accoudoirs comme s’il allait les briser.
Desfossés désapprouve mais ne peut réprimer un sourire devant cette réplique bien amenée.
SARMENTE. – (enjouée) Maintenant que les présentations sont faites, venons-en à l’objet de votre appel, voulez-vous ? Je suis curieuse de savoir en quoi je puis vous aider.
Bernal sourit largement. Il sait qu’elle n’est pas prête à entendre ce qu’il a à lui dire, il sait qu’il s’apprête à faire vaciller cette belle assurance. Mais il sait aussi que Sarmente se reprendra immédiatement et que la surprise cèdera la place à l’enthousiasme.
BERNAL. – (triomphant) Je voudrais que vous soyez mon Premier ministre.
Sarmente et Deligny poussent un « Oh ! » de concert.
Juillet se prend la tête dans les mains comme si on venait d’annoncer la fin du monde.
Desfossés joint fortement ses doigts en triangle et tente de contrôler sa respiration.
Sarmente finit par laisser échapper, dans un murmure, un long « Aaaaah… ».
Deligny, soudain surexcité, se met à s’agiter sur le canapé en répétant, comme en état de choc « Premier ministre, Premier ministre, Premier ministre, Premier ministre… »
SARMENTE. – (reprend ses esprits en secouant brièvement la tête et, avec détermination, répond) D’accord.
Pendant que les poursuites s’éteignent lentement,
on entend Juillet geindre « Nous sommes perdus, nous sommes perdus, nous sommes perdus… ! »
Noir.

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