ACTE III, Scène 3 : résignation

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Sarmente et Bernal marchent tranquillement. On entend le chant des oiseaux.
On suppose qu’ils sont dans les jardins.

BERNAL. – (regardant vers les coulisses) Ah tiens, c’est Deligny qui sort sur la terrasse. Je pense qu’il nous cherche.

SARMENTE. – Hélas il nous a trouvés. Et Desfossés aussi. Bon, la quiétude et la tranquillité n’auront pas duré longtemps.

Bernal sourit. Entre Deligny, bientôt suivi de Desfossés.

BERNAL. – Alors, Deligny, notre pouls de la nation, que disent les journaux ?

DELIGNY. – (satisfait, presque exalté) Ah monsieur Bernal ! Madame Sarmente ! Quel coup de maître, quel coup de maître ! (il secoue la tête pour marquer son propos) La population est ravie ! Ils ont même passé l’interview d’une petite grand-mère qui disait qu’elle était heureuse d’avoir pu vivre un moment pareil avant sa mort, vous vous rendez compte ?!

Bernal et Sarmente se regardent en soupirant.

SARMENTE. – (pensive) Un coup de maître… oui… mais qui me coûtera cher.

BERNAL. – Julia…

SARMENTE. – Non Pierre, nous en avons déjà parlé. Je savais ce que je faisais et je n’ai jamais eu l’intention de… durer. Ce que j’ai fait… trahir… c’est…

DELIGNY. – C’est extraordinaire !

BERNAL. – C’était très risqué.

SARMENTE. – C’est impardonnable.

DELIGNY. – Quoi ? Que voulez-vous dire ?

SARMENTE. – Je n’ai pas seulement trahi les ministres ou la classe politique, d’ailleurs. J’ai trahi ma parole, mes valeurs.

Desfossés vient de les rejoindre.

DESFOSSÉS. – Vous vous êtes crucifiée.

BERNAL. – Et elle l’a fait volontairement.

SARMENTE. – Il fallait bien que quelqu’un s’en charge.

DELIGNY. – (incrédule) Mais non, mais non ! Vous ne vous êtes pas crucifiée, vous êtes une héroïne !

BERNAL. – (à Sarmente, en souriant) C.Q.F.D.

DELIGNY. – Mais enfin… je ne comprends pas. Tout le monde vous adore ! Même les militants de droite ont trouvé ça incroyable !

SARMENTE. – Deligny, j’ai trahi la confiance des gens. J’ai commis l’acte de trahir la confiance de quelqu’un…

DELIGNY. – (l’interrompt) Mais c’était pour la bonne cause !

SARMENTE. – Peu importe. J’ai leur ai fait ce que je leur reprochais. Je suis devenue comme eux. Pire qu’eux, même !

BERNAL. – Deligny, vous savez, on n’efface pas ça d’un coup de baguette magique. Elle le portera jusqu’à la fin de sa carrière.

DESFOSSÉS. – (à Sarmente) Pardonnez-moi mais jusqu’à la fin de votre vie…

DELIGNY. – Mais quoi ! Le fait d’être une héroïne ? Le fait d’avoir vengé les souffrances du peuple ? Ils vous adorent ! Tous !

SARMENTE. – Ce n’est pas avec un bouc-émissaire qu’on résout les problèmes.

DESFOSSÉS. – Et pourtant, c’est vous qui endossez ce rôle.

SARMENTE. – Au moins toute cette petite caste va se tenir à carreaux en attendant qu’on assainisse totalement la vie politique du pays.

BERNAL. – Si tant est que cela soit possible.

SARMENTE. – Pour ça, Pierre, tu sais ce que nous avons à faire. Nous en avons longuement parlé. (sur le ton de la plaisanterie) Que mon sacrifice ne soit pas vain !

DELIGNY. – Que voulez-vous dire ?

BERNAL. – Julia en a déjà discuté avec les ministres de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Il va y avoir de lourdes réformes.

SARMENTE. – C’est toute une posture qu’il nous faut modifier. Je crois que c’est l’un des plus gros morceaux de tout le gouvernement.

DESFOSSÉS. – Enfin, il y a aussi les retraites, l’économie et…

SARMENTE. – Les retraites, Juillet s’en charge avec Trémond et vraiment, il n’y a rien à dire, ils font un travail remarquable, bien meilleur que je ne l’espérais.

BERNAL. – Quant à l’économie, elle va se fluidifier à mesure que la nouvelle posture va se développer.

DELIGNY. – La nouvelle posture ? Mais quelle nouvelle posture ?

SARMENTE. – La raison même de mon (elle mime des guillemets avec ses doigts) sacrifice.

BERNAL. – Comprenez, Deligny, Julia a provoqué un électrochoc. Elle a volontairement sacrifié tout ce en quoi elle croyait dans l’espoir que cela s’inscrirait durablement dans l’esprit des gens.

DESFOSSÉS. – (à Deligny) Vous avez lu Lorenzaccio ?

DELIGNY. – Oui, bien sûr.

DESFOSSÉS. – Et bien Madame Sarmente joue aujourd’hui le rôle de Lorenzo de Médicis.

DELIGNY. – Je ne comprends pas.

SARMENTE. – Et moi je trouve que c’est un peu trop d’honneurs !

Bernal veut intervenir mais se ravise. Il laisse Desfossés terminer sa démonstration.

DESFOSSÉS. – Julia Sarmente a trahi tout ce en quoi elle croyait, ses valeurs les plus profondément ancrées, dans l’espoir de faire la preuve par l’exemple.

BERNAL. – Quant au peuple, une fois passé l’enthousiasme de la vengeance, enthousiasme bien compréhensible, d’ailleurs, il risque de finir par… comment dire… par ne se souvenir d’elle qu’à travers cette trahison.

DELIGNY. – Mais non voyons !

SARMENTE. – Nous verrons, nous verrons. Toutefois, je ne me souviendrai de moi que par le prisme de cette trahison.

DELIGNY. – Mais vous dramatisez !

Desfossés sourit.

DESFOSSÉS. – Peut-être que notre ami Louis-Kevin a raison.

Noir.

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