Chapitre 1 - Le serment du pilier.

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Valethar, chef de la tribu Thaala’sthyr, gravissait la pente escarpée menant au pilier des étoiles, ce monolithe que les ancêtres des cinq tribus avaient érigé à l’aube de leur civilisation. Ses pas étaient lourds, chargés par le poids du fardeau qui pesait sur sa tribu depuis plusieurs mois. Valethar était un homme d’action. Jamais le labeur, si rude fût-il, ne l’avait fait plier. Mais aujourd’hui, qu’importe sa volonté, son implication et sa détermination, rien ne suffisait à enrayer le fléau.

La nuit était tombée, sous un ciel sans étoile. La douce et pâle lueur des pierres luminescentes, comme des lucioles déposées sur le pilier, lui parvenait. C'était là que se tenait le grand conseil. Les chefs de chaque tribu se réunissaient aux deux solstices, prenant les décisions stratégiques pour le bien de leurs tribus et s'ensuivait le rituel de célébration de Thyra’harel.

Arrivé au pied du pilier, il s’agenouilla, murmura quelques mots inaudibles pour les vivants, se releva, et posa une main sur la roche ancienne. À quelques pas de lui, se tenait Thalvynn de la tribu Kha’rzûn, un homme robuste de grande taille, qui attendait, assis en tailleur. Lorsqu'il l’aperçut, il se leva doucement, épousseta sa tunique, puis s’en approcha.

— Il est bon de te revoir, mon vieil ami, se ravit Thalvynn en l’accolant chaleureusement.

— Toi aussi, mon frère, répondit Valethar.

Cela faisait six mois qu’ils ne s’étaient revus, depuis la célébration du précédent solstice. L’événement, d’ordinaire à la fois solennel et festif, s’était mu en de véritables funérailles insulaires. La situation s’était encore dégradée. Peu d’Ysharii avaient l’envie de célébrer et encore moins la force de se déplacer jusqu'au pilier. La foi du peuple semblait vaciller.

— Les autres ne devraient pas tarder. Un petit coup d’ambroisie en les attendant ? proposa Thalvynn en se laissant aller contre le monolithe.

De sa ceinture, il détacha une flasque en peau de daim et l’offrit à Valethar qui s’en saisit.

— Trinquons à ceux qui ne le peuvent plus, et à un avenir meilleur, lança-t-il en portant la flasque à sa bouche.

Il en tira deux longues gorgées, savourant les notes sucrées du breuvage. Le nectar lui rappelait sa jeunesse, les jours heureux baignés dans l’abondance de l’île. Il rendit la flasque à son propriétaire, qui l’imita pour deux longues rasades, s’échappant en un fin filet le long de sa barbe noire.

Thalvynn, silencieux, s’éloigna de quelques pas et leva le visage vers l’immensité du ciel. Après un instant, il se tourna vers Valethar, l’air grave.

— Penses-tu que nos tribus ont un avenir ici ? demanda-t-il, sans détour. Son regard s'était assombri.

Valethar réduisit la distance qui les séparait et posa une main réconfortante sur son épaule. Dans le silence de la nuit, seules les pierres blanches vibrantes du monolithe troublaient l’air, comme si elles répondaient à leur angoisse.

— Je l’espère… souffla-t-il dans un long soupir, avant d'ajouter : « Si nous sommes ici ce soir, c’est que nous voulons y croire, n’est-ce pas ? ».

Thalvynn expira longuement. Il appréhendait ce conseil depuis qu’il avait vu l’oracle, rongé par une culpabilité d’autant plus forte qu’il avait toujours condamné la manipulation. Mais ce soir, il lui fallait devenir tout ce qui le dégoutait et qu’il redoutait. Il inspira profondément, cherchant des mots pour contenir sa douleur.

— Notre peuple dépérit de semaine en semaine. Nous n’avions jamais connu de famine, ni tant de maladies. Nous sommes impuissants, soupira Thalvynn.

Un long silence plana sur la colline. Le visage tendu, il observait au loin, nostalgique, les terres appauvries, autrefois riches et abondantes de végétation et bruissantes de faune. Puis il reprit :

— Nous avons été nomades avant de bâtir nos maisons. C’est en suivant Thyra’harel que nos ancêtres ont trouvé la prospérité.

Valethar observa son ami d’un regard interrogateur.

— Et rien n’a changé de ce point de vue, non ? s’enquit Valethar.

— Peut-être. Ou peut-être pas. L’Océan avance toujours dans l’immensité de l’univers, et nous, nous nous sommes ancrés, sédentarisés. Et si nous avions fait fausse route ? s’interrogea-t-il.

Le grand gaillard était pensif, visualisant les différentes voies du destin qui s’offriraient suivant les décisions qui seraient prises ce soir.

— Tu voudrais quitter Val’ishar ? Pour aller où ? Je ne comprends pas ce que tu veux dire, s’étonna Valethar.

Valethar savait que Thalvynn ne parlait jamais à la légère. S’il avançait cela, c’était murement réfléchi.

— Au-delà des océans, des terres immenses, des forêts et des plaines verdoyantes, des montagnes caressant les nuages. J’ai eu une vision de tout cela. Il est temps de quitter le Berceau et de retourner à nos racines.

Il semblait convaincu, déterminé. Il ne cherchait pas à fuir les difficultés de Val’ishar, il cherchait seulement à ne pas tout perdre à force d’acharnement.

— Thalvynn, si je ne te connaissais pas si bien je te prendrais pour fou. Comment peux-tu être sûr que cette vision est vraie ?

Valethar se mit en face de lui. Il lui faisait confiance et s’il devait se ranger de son côté, il avait besoin d’entendre ses arguments, et qu’ils soient solides.

— J’étais avec un oracle.

Valethar laissa tomber ses épaules, presque déçu de la réponse de Thalvynn. Il voulait des preuves, des arguments, des faits… pas des visions. Le colosse poursuivit néanmoins sa tirade :

— Tout est vrai ! l’avenir de nos tribus n’est plus ici. Valethar, aide-moi à convaincre les autres ce soir ! si nous perdons encore six mois jusqu’au prochain solstice, il sera déjà trop tard, crois-moi, supplia Thalvynn.

Thalvynn transpirait et semblait s’impatienter. Ses mots, ses gestes et même le timbre de sa voix étaient empreints d’angoisse ou peut-être était-ce de l’urgence ? Avec Valethar en appui, il savait qu’il parviendrait à faire adopter son idée. Valethar dégageait une aura de confiance et de force, il inspirait les autres naturellement, et on le suivait toujours.

— C’est complétement fou, mais mon intuition m’incite à te croire… souffla Valethar.

Des bruits de pas, interrompus par des pierres qui roulaient, annoncèrent l’arrivée des autres chefs, accompagnés de souffles courts après l’effort de l’ascension.

— Les autres arrivent, murmura Thalvynn avant d’ajouter : « Je compte sur toi ! »

Les chefs des cinq tribus étaient désormais réunis au pied du monolithe. Après des salutations empreintes de doutes et d’inquiétudes, ils échangèrent sur la crise qui frappait chacun de leurs peuples.

Chacun portait en lui les images de leurs tribus en souffrance : des enfants pleurant de faim, des champs flétris sous un ciel gris, des malades alités dans des maisons devenues des prisons d’agonie. L’espace venait aussi à manquer, les constructions architecturales et les habitations gagnaient progressivement sur les terres arables.

— Si je devais résumer, nous connaissons la même crise au sein de nos tribus et l’hiver s’annonce rude, résuma Ithariel, le chef de la tribu Var’nalesh, à l’Ouest de l’île.

Ithariel semblait vouloir expédier ce sujet, comme si une chose plus importante qu’une famine à venir le préoccupait.

— Oui, aucun de nous ne saura remplir ses greniers cette année encore, confirma Inkara, la cheffe de la tribu d’Ysa’marath qui occupait le nord de Val’ishar.

— Dhur'natil, mon village de pêcheurs, ne saura subvenir seul aux besoins de toute la tribu. Mon peuple est condamné si aucune tribu ne peut nous en partager, se désola Maeldrys, la cheffe de la tribu d’Elda’ryon.

La tribu d’Elda’ryon occupait le centre de l’île et qui ne possédait qu’un village côtier au Sud. Des cinq tribus, elle était sans doute celle qui dépendait le plus du commerce et du troc. Si les denrées étaient déjà rares et insuffisantes pour les autres, que lui proposeraient-ils ? des os à ronger ?

— Nous trouverons des solutions Maeldrys. Aucune tribu n’aura à porter seule le fardeau de la famine, rassura Thalvynn.

Elle accueillit les mots de Thalvynn avec gratitude. Même si elle savait que cela ne résoudrait pas ses problèmes, sa tribu ne serait pas laissée pour compte.

— Commençons dès à présent à préparer l’hiver. Augmentons les salaisons de viandes et de poissons dès maintenant, que le peuple puisse manger chaque jour quand le froid sera à nos portes, suggéra Valethar.

Ils approuvèrent tous. Même si cela revenait à dire de se restreindre dès à présent pour se préparer à des lendemains encore plus difficiles.

Ithariel était contrarié, un autre mal qui frappait sa tribu depuis quelques mois maintenant. S’ajoutant aux souffrances de son peuple, une criminalité inédite semblait apparaître : Les châtiments de sang.

Il entra dans le vif du sujet, tranchant avec les aspects pratiques et logistiques sur lesquels les chefs s’attardaient :

— Connaissez-vous les châtiments de sang ? lança-t-il, comme un pavé dans la mare.

Un profond silence tomba sur le sommet de la colline, atténué par le vrombissement des cristaux lumineux du pilier.

— De quoi parles-tu Ithariel ? demanda Inkara, dont l’esprit était encore occupé avec la pénurie alimentaire.

— Je vous parle d’un sujet qui me préoccupe presque autant ou plus que la famine. Des comportements déviants de mon peuple, à contre-sens des principes fondamentaux de nos tribus.

— Exprime-toi sans détour ! que se passe-t-il chez les Var'nalesh ? s’enquit Valethar, dont la patience n’était pas la qualité première.

Ithariel se détourna, regarda vers l’Ouest, vers ses terres et son peuple, comme s’il s’exprimait avec leur consentement.

— Des assassinats. Je crains qu’une fraction de mon peuple se soit tourné vers l’obscurité. Cela fait plusieurs mois maintenant. Nous avons suspecté les malades, touchés par le fléau, qui semblent sombrer dans une démence profonde à mesure que la maladie progresse, expliqua-t-il.

— Ils sont virulents oui, mais, parce qu’ils souffrent. Ils ne cherchent pas à blesser, ou tuer ! Ce sont des crises de douleurs qui les font dérailler avant de s’effondrer, tempéra Maeldrys.

— Pas chez moi. Ça n’est pas un acte malencontreux et accidentel. Ce sont des actes, manifestement déterminés et planifiés. Nous avons trouvé le même symbole, chaque fois tracé avec le sang de la victime ou avec la cendre d’un bâtiment incendié.

— Quel symbole ? demanda Maeldrys, interloquée par cette révélation.

— Une spirale inversée, fendue d’un trait oblique. Nous l’avons identifié sur des dizaines de cadavres et sur le temple, ravagé par un incendie, détailla le chef de Var’nalesh.

Les chefs se regardaient, incrédules. Ils n’avaient pas eu vent de quoi que ce soit de similaire au sein de leur tribu.

— Rien de cela chez moi, Ithariel. Il se pourrait que ce soit l’acte isolé d’un citoyen en perte de repère. Ça n’en reste pas moins inquiétant… dit Thalvynn avec une compassion fraternelle.

— Je l’espère. Mais par précaution, j’ai demandé la création d’une milice et je vous invite à la plus grande vigilance. Si mes doutes sont fondés, ça n’est pas un acte isolé.

Les Ysharii de Var’nalesh s’en inquiétaient. Des milices furent créées pour assurer l’ordre et la protection des citoyens. Les forges de Var’nalesh forgeaient maintenant des lames plutôt que des trésors d’orfèvrerie.

— Nous serons vigilants. Il serait bon que nous échangions régulièrement sur ce sujet, si cette folie s’étendait à tout Val’ishar, cela ne ferait qu’accroître nos difficultés. Te faut-il des hommes ? demanda Valethar.

— Pas dans l’immédiat, merci mon frère. Mais soyez prêts, conclu Ithariel.

Thalvynn saisit l’occasion d’exposer son idée, qui serait peut-être une source d’espoir pour le peuple, qui le détournerait des chemins de la dissidence : Explorer l’inconnu, braver l’immensité de la mer et trouver un nouveau territoire. Il exposa ainsi sa vision en présence de l’Oracle.

— Partir par-delà l’océan ? Comment ? s’étonna Maeldrys.

Elle écarquilla les yeux, surprise par une telle annonce. Maeldrys était pourtant la plus à même à comprendre et à croire les oracles et les visions. Sa tribu était la plus dévouée à Thyra’harel et sa fille était elle-même une mystique, rang suprême parmi les dévots.

— Nos barques de pêche supportent à peine les remous côtiers, comment veux-tu aller si loin ? renchérit Inkara, avec un soupçon de raillerie dans la voix.

— Je ne sais pas, mais cela doit être possible. Si nous allions nos meilleurs architectes, ils trouveraient sans doute un moyen, avança Thalvynn d’un air confiant.

Il regarda chacun des membres du conseil avec intensité et notamment Valethar, dont il ne savait pas s’il le suivrait ou non dans son projet.

— Thyra’harel nous a fait naître ici. C’est ici que nous devons être, affirma Maeldrys, elle ne pouvait s’imaginer quitter le Berceau.

— Thyra’harel ne nous a jamais interdit d’explorer le monde, ni de vivre en dehors de cette île, affirma Valethar.

Maeldrys se renfrogna, à demie vexée. La connaissance et le respect du culte de Thyra’harel était le dogme central de la tribu d’Elda’ryon, elle ne s’attendait pas à ce que Valethar la batte sur son terrain.

— Admettons qu’ils y parviennent, vers où aller ? s’enquit Ithariel, dont l’idée de s’affranchir de l’océan ne semblait pas inenvisageable.

Ithariel, était un homme pragmatique, fiable et d’une grande intelligence. Sa tribu était des plus sollicitées en ces temps de crises et de maladies. Ses guérisseurs étaient disséminés aux quatre coins de Val’ishar et l’idée d’un nouveau départ lui semblait un bon moyen d’éradiquer le fatalisme naissant dans le cœur des Ysharii.

— En direction du levant, trancha Inkara, la cheffe de la tribu d’Ysa’marath, avant même qu’une autre proposition soit évoquée, puis elle se justifia : « Og'rolahr, mon village près de la côte, depuis ses hauteurs nous pouvons parfois observer des formes lointaines à l’horizon de la mer. »

Thalvynn était partagé entre joie, son idée avait fait son chemin, et remords ; tout ceci dans le seul but d’entrainer la mystique loin de Val’ishar et de ses terres porteuses de mort et de désolation.

— Eh bien, Inkara, penses-tu qu’Og’rolahr, puisse accueillir un chantier naval des cinq tribus ? questionna Ithariel.

Sa posture et son regard prenaient des airs de défi amical.

— Sans aucun problème et ma capitale Khol’myrisi pourrait accueillir vos meilleurs constructeurs, assura Inkara.

Sa tribu comptait les plus grand architectes et bâtisseurs Ysharii. Un chantier naval, une conquête de l’océan, elle n’aurait aucune difficulté à galvaniser ses troupes, malgré les difficultés que connaissait son peuple, un tel défi d’ingénierie et d’architecture ne pouvait se refuser.

— Et une fois qu’un moyen d’explorer au-delà des mers sera créé, qui partira ? s’inquiéta Valethar.

— Il faudra créer un corps expéditionnaire qui aura pour mission de partir en reconnaissance, indiqua Thalvynn.

— Des hommes et des femmes capables de s’orienter, de chasser et de construire, de toute évidence, affirma Ithariel.

— Des combattants chevronnés pour protéger les explorateurs des dangers d’une nature sauvage ! Ils devront, comme nos ancêtres l’ont fait ici, sécuriser le territoire de la faune sauvage, lança Valethar en brandissant le poing avec un enthousiasme débordant.

Thalvynn lança un regard presque amusé à son vieil ami. Il comprenait maintenant ce qui avait tant motivé son compagnon à le croire sur parole : une belle occasion de mettre sur le devant de la scène !

— Et enfin, des soigneurs et des artisans, affirma Ithariel pensant conclure la liste des besoins.

Thalvynn se gratta la gorge, inspira et intervint :

— Et un guide spirituel de haut rang… une Mystique…

Maeldrys et les autres se tournèrent vers lui, étonnés de cette proposition, Thalvynn restait quant à lui, droit et impassible, soutenant le regard de chacun jusqu’à rester planté dans celui de Maeldrys.

— Thalvynn, tu sais qu’il n’y a qu’une Mystique sur Val’ishar et que par-dessus tout, c’est ma fille !? Je n’adhère pas à ton projet et tu cherches à me le faire payer ? érupta Maeldrys, dont les yeux s’embrasaient de colère.

— Je ne le sais que trop bien. Mais cette mission est notre seule chance de sauver le peuple. Val’ishar est le berceau des Ysharii, mais il va devenir leur cercueil. Une mystique permettra de jauger l’harmonie du nouveau monde et il faudra un guide spirituel dans le groupe, se défendit Thalvynn.

— Trouve-toi quelqu’un d’autre, ton Oracle par exemple ! mais Ma-Fille-Ne-Partira-Pas ! fustigea-t-elle appuyant chaque mot avec force.

— Il n’y a qu’elle qui puisse décrypter l’énergie et l’harmonie du monde, Maeldrys ! J’enverrai mon Oracle et tout un bataillon d’adeptes s’ils pouvaient réussir à voir comme ta fille voit ! Mais nul autre qu’elle n’en est capable ! tu le sais ! argumenta Thalvynn.

Le ton se durcissait à mesure que Maeldrys se retrouvait accablée par l’évidence : si le projet aboutissait, sa fille Vyralith serait la seule en mesure d’accomplir cette tâche. Alors elle réagit comme toutes mères réagiraient :

— Alors c’est moi qui partirais, avec le don je pourrais me débrouiller et voir ! proposa-t-elle avec assurance.

— Non, Vyralith est la seule capable de mener cette mission à bien, insista Thalvynn.

— Alors j’irai avec elle ! lança Maeldrys acculée.

— Maeldrys, tu es la cheffe d’Elda’ryon… raisonna Valethar.

— Impossible Maeldrys, tu sais bien que les cinq doivent rester unis, s’il nous fallait invoquer Zhinar Thyrae, le sceau du divin, fît Inkara en hochant la tête, se sentant désolée d’aller à l’encontre de son amie.

Maeldrys s’éloigna du cercle qu’ils formaient pour le conseil et s’approcha au bord de la ravine, regardant vers le lointain, tournant le dos aux autres pour cacher les larmes qui lui coulaient sur les joues. Ithariel, pragmatique et diplomate, la rejoignit en silence et lui laissa quelques secondes avant de reprendre :

— Maeldrys, je crains que Thalvynn ait raison. Vyralith sera essentielle au groupe, c’est une mission vitale pour le peuple auquel nous sommes dévoués par un serment.

Les poings serrés, la gorge nouée, Maeldrys se tourna avec rigidité. Son visage arborait un rictus de colère. Les balayant un à un du regard, cherchant à les culpabiliser de ne pas vouloir entendre sa souffrance. D’une voix étranglée par les sanglots elle leur hurla dessus :

— Ma fille, Vyralith, est tout ce qu’il me reste. Chaque nuit, je prie Thyra’harel de la protéger. Vous me demandez de l’envoyer au-devant d’un abîme inconnu ? Non ! Trouvez un autre moyen ! s’emporta Maeldrys dans une rage maternelle.

— Notre espoir de survie repose sur la découverte d’une nouvelle terre. Si Thyra’harel a offert à notre génération une mystique, la troisième en plus de dix mille ans, c’est pour nous permettre de surmonter cette épreuve. Thyra’harel nous guidera au travers de Vyralith qu’elle a choisi pour avatar sur Yshara, objecta Valethar d’un ton qui ne laissa aucune place pour l’opposition.

Elle s’écroula à genoux, brisée par l’émotion, un sanglot déchirant fendant le silence. Valethar s’inclina à son tour, un genou à terre, et s’engagea en son nom et au nom de tous :

— Nous nommerons nous aussi, sur ce chemin périlleux, des personnes exceptionnelles pour nos tribus. Et nous en proposerons deux ! Que mes paroles soient un serment sous le pilier, entendu par Thyra’harel, s’engagea Valethar posant de manière solennelle, une main sur son cœur, son regard brûlait de détermination et d’assurance.

Les trois autres chefs l’imitèrent et scellèrent le serment sur leur honneur. Alors que l’aube apparut enfin, baignant les environs d’une lumière froide et douce, un rayon d’Ael’tharyn traversa une aspérité dans le pilier et vint les éclairer, comme si Thyra’harel elle-même leur envoyait sa bénédiction. Thalvynn était parvenu à les convaincre, comme l’oracle lui avait demandé. Si l’on en croyait le présage, Thyra’harel ne semblait pas lui en avoir tenu rigueur, mais qu’en était-il de Maeldrys ?

Le projet d’expédition fut adopté à la majorité, à quatre voix contre une. Maeldrys se sentait trahie par ses pairs et surtout par Thalvynn, l’instigateur de cette folie. Mais elle respectait le code des tribus et s’en tiendrait à la décision, même si elle lui déchirait ses entrailles, comprimait son cœur et lui prendrait son unique enfant.

— Mes frères, mes sœurs, le grand conseil touche à sa fin. L’avenir de nos tribus repose sur le respect de nos engagements. Au solstice d’hiver, nous nous retrouverons à Og’rolahr, avec nos champions. D’ici là, réunissons nos meilleurs architectes et bâtisseurs au chantier naval. Le pilier des étoiles est témoin de notre décision commune, et que Thyra’harel scelle notre volonté dans le flot de son courant, déclara Ithariel de la tribu Vaar’nal.

Les chefs se saluèrent, puis amorcèrent la descente, chacun portant sur ses épaules le poids de la destinée de son peuple. Thalvynn se sentait à la fois soulagé et meurtri. Partagé entre le devoir et l’empathie. À compter de ce jour ils disposaient de six mois. Un frisson de temps pour bâtir l’impossible : un navire pour franchir l’inconnu et rassembler un équipage qui porterait les espoirs de survie des Ysharii.

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