Chapitre 2 : Le Ressac Noir.
Val’ishar, le Berceau des Ysharii se transformait à mesure que le fléau s’infiltrait en son sein. Les plantes, les animaux, les insectes et les Ysharii. Rien n’était à l’abri de ce poison. Filtrant au travers du voile cosmique qui enveloppait Yshara, un suintement noir — la marque de Khaor’thuun — s’enracinait. Elle rongeait chaque fragment de l’énergie céleste de Thyra’harel comme une moisissure sacrée.
La corruption s’immisçait par le cœur spirituel des Ysharii, là où battait le souffle de Thyra’harel. Les plus fervents, ceux dont la foi demeurait pure et sans faille, souffraient sans répit : leurs âmes brûlaient sous l’assaut d’une dissonance et leurs corps, incapables de la contenir, cédaient dans une agonie foudroyante. Beaucoup sombraient dans la folie avant de rendre leur dernier souffle, consumés par un mal qu’aucun soin ne pouvait apaiser.
D’autres, dont la foi s’était affaiblie, non par trahison, mais par lassitude, doute ou peine — devenaient des réceptacles insidieux. Car plus le lien avec l’Océan Primordial s’effritait, plus la faille s’ouvrait. C’est dans cet espace que s’engouffrait le souffle noir de Khaor’Thuun, semant ses murmures dans le silence laissé par la foi pour y instiller ses propres litanies, guidant les âmes égarées vers une fausse lumière, celle d’un cycle nouveau.
Dans l’ombre des arbres denses de Thal'Naeryn — Le mont boisé — au Nord d’Elim'wëy, la capitale de la tribu Var’nalesh, une cavité rocheuse abritait une faction Ysharii qui s’était détournée de l’Océan Primordial. Dans l’anonymat de leurs masques d’os et de leurs longues capes sombres, quelques âmes asservies fomentaient de funestes desseins.
— Ils veulent partir explorer au-delà de l’océan. La Mystique sera du voyage, dit un homme couvert d’un capuchon noir qui recouvrait l’intégralité de son corps, laissant son visage dans l’obscurité.
— Ont-ils dit quand ? Et comment ? s’enquit une voix féminine.
Son visage était dissimulé derrière un masque composé de petits ossements ligaturés. Seuls ses yeux verts comme l’émeraude étaient visibles. Sa main droite de façon continuelle, ses doigts mimant une vague perpétuelle.
— Un chantier naval de grande ampleur va se mettre en place au village d’Og’rolahr. Ils veulent lancer l’expédition au solstice d’hiver, répondit l’homme encapuchonné.
La femme se rendit devant un autel, éclairé d’une simple torche, sur lequel reposait une pierre noire et pourpre. Elle apposa ses mains au-dessus et prononça une prière — une prière Ysharii pour Thyra’harel, dont les paroles furent modifiées :
— Que le flot des mensonges de l’Océan cède contre le souffle de la vérité, qu’en jaillisse le Ressac, lame de fond chassant l’imposture, récita-t-elle.
Puis elle chuchota, comme si elle répondait à une voix qu’elle seule entendait, avant de revenir vers l’homme en noir.
— Le souffle originel a parlé. Le Ressac Noir doit s’établir à Khol’myrisi. Va, recrute et tiens-toi prêt, ordonna la femme masquée.
L’homme en noir s’inclina et dissimulant ses traits derrière son masque funèbre. Il était similaire à celui de la femme.
— Que la vérité chasse l’imposture ! lança-t-il, comme une invocation héroïque, avant de disparaître.
La femme regagna le centre de la grotte alors que des formes s’agitaient, dissimulées dans l’obscurité, attendant l’ordre de leur cheffe.
— Vous avez ce que j’ai demandé ? exigea-t-elle avec autorité.
Une silhouette se dégagea de l’ombre et s’agenouilla, le visage dans la pénombre.
— Oui, dans la chambre d’éveil, Grand Oracle, répondit un homme avec déférence.
Sans lui adresser un mot ni un regard, elle s’engouffra dans un boyau étroit de la paroi rocheuse et se rendit dans une cavité connexe, pouvant accueillir une centaine de personnes. Déposées sur le sol de grès, une dizaine de corps inanimés d’Ysharii, entièrement dénudés. L’air humide ambiant se chargeait des odeurs naissantes de décomposition des cadavres entreposés.
Leurs torses arboraient la marque de la corruption. Des veines noires, dispersées comme des racines indomptables, partaient du plexus solaire pour gagner les membres et la tête. Elles semblaient palpiter subtilement sous la peau exsangue. Elle les observa avec satisfaction, ses doigts s’agitant frénétiquement comme une mer agitée.
— Magnifique… ils sont entièrement purifiés à présent, prêts à renaître, libérés du joug de Thyra’harel. Il m’en faut plus encore ! ordonna-t-elle.
— Grand Oracle, oui, mais de l’aide serait bienvenue, réclama-t-il en accentuant davantage sa prosternation.
— Alors, recrute. Amène-moi toutes les âmes qui cherchent la vérité.
L’homme se releva et disparu sans demander son reste.
Tandis que le Ressac Noir gonflait dans l’ombre, les cinq tribus, ignorant tout de cette menace, s’apprêtaient à déléguer leurs plus brillantes âmes… vers l’inconnu.
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