Chapitre 3 : Arthuun et Kareth.

6 minutes de lecture

Les chefs avaient regagné leurs terres à l’issue du grand conseil et du rituel du pilier de la foi. L’esprit alourdi d’une tâche capitale, ils avaient à choisir deux individus exceptionnels et préparer l’exode des Ysharii. Chacun agirait à sa manière. Et déjà, dans les cinq tribus de Val’ishar, les sélections débutaient…

***

Cité de Draa'kmorn, capitale de la tribu Thaala’sthyr, cinq mois avant le solstice d’hiver :

Valethar siégeait sur les hauteurs des tribunes du colisée de Draa’kmorn. Dans cette arène se déroulaient habituellement les représentations martiales des plus grands athlètes de la tribu. Valethar opta pour un grand tournoi. Quoi de mieux pour déterminer le meilleur combattant qu’un tournoi ?

Les messagers avaient, un mois durant, sillonné le territoire, promouvant l’événement et son enjeu : faire partie du corps expéditionnaire pour l’avenir des Ysharii. La conjoncture n’était pas favorable pour ce genre d’événement. Le peuple était davantage préoccupé à pouvoir se nourrir et se soigner.

Néanmoins, une cinquantaine d’âmes éprises d’aventure, d’exploration ou de gloire, s’étaient présentées. Trente autres, cherchaient seulement à fuir une terre devenue inhospitalière, en quête d’idéal et de renaissance.

Les candidats en lice étaient équipés à l’identique : une lance en bois, une épée d’entrainement et d’un bocle. Quatre-vingt participants engagés attendaient le son du cor annonçant le début du tournoi. Une seule condition de victoire : être le dernier debout. Les portes de l’arène s’ouvrirent en grand sur le tapis de sable, l’air vrombit, le signal était donné.

La sueur ruisselait sur le corps d'Arthuun. Ses mains moites affaiblissaient sa prise sur la lance. Il arracha l’étoffe qui lui couvrait le crâne pour l’enrouler autour de la hampe. Dans sa main gauche, le bocle lui semblait de plus en plus lourd, comme s’il portait le poids de ses propres ambitions et ses doigts meurtris s’engourdissaient par les chocs qu’ils avaient encaissé.

Un assaut surgit sur son flanc ; par réflexe, il dévia le choc, mais l’ennemi, lancé comme une flèche, le fit vaciller. La pointe adverse frôla sa poitrine. Arthuun trébucha, planta sa lance dans le plexus de l’autre juste avant de mordre le sable. Le souffle coupé, l’homme s’effondra. Victoire ou simple chance ? Il n’eut pas le loisir de trancher.

Arthuun se redressa, ses yeux cherchant ses prochains adversaires. Il en restait une quinzaine encore debout. Il remarqua un guerrier à quelques mètres de là, qui venait de faire tomber un adversaire d’un coup latéral en pleine mâchoire. Il le fixa avec intensité. Leurs regards se croisèrent. Une entente silencieuse les mit tous deux en position de combat.

Le guerrier prit l’initiative. Sa lance dirigée vers la poitrine d’Arthuun. Il pivota sur ses hanches, laissa l’attaque fendre l’air derrière lui. Maintenant ! Le bras tendu de son adversaire médusé lui offrit une opportunité de riposte. Le bocle heurta le bras de l’assaillant au terme d’un coup de poing remontant. Le coup lui fît tétaniser les muscles, il lâcha son arme. Une ouverture ! se réjouit Arthuun qui profita immédiatement avec enchainement de coups d’estoque et de taille à l'aide de son épée de bois. Son adversaire bondissait avec agilité se jouant des attaques. Arthuun changea de rythme et varia les trajectoires, les assauts amples étaient trop prévisibles. Il parvint enfin à leurrer l’adversaire d'une feinte de corps. Hagard, il capitula en lâchant son bocle et levant ses bras en signe de rédition ; l’épée d’Arthuun arrêtée juste avant l’impact, appuyée sur sa gorge. Seize, compta-t-il. Il récupéra la lance et s’essuya le front du revers de la main.

Ses yeux se posèrent alors sur un adversaire qui se démarquait indéniablement. Une silhouette svelte qui ne correspondait pas avec le gabarit habituel des athlètes de cette pratique martiale, mais surtout, seul contre trois. Des couards, pensa-t-il de prime abord. Mais le guerrier esseulé semblait à l’aise avec ce rapport de force inéquitable, esquivant et contre-attaquant avec une grâce féline. Quelques échanges suffirent à mettre à terre la coalition des désespérés, véritablement impuissante face à cet homme atypique.

Arthuun sentit une chaleur inhabituelle en lui, un souffle brûlant dans sa poitrine. Il se mit en marche, d’un pas lent, comme s’il affrontait de face le souffle d’une tempête, mais c’était en lui qu’elle faisait rage. Un adversaire s’interposa. Il le terrassa d’un coup, sans un regard, sans savoir même s’il avait été touché. Arthuun était imperturbable. Un seul guerrier attirait son attention et il le fixait, un sourire carnassier aux lèvres. Sa proie tourna la tête, soutenant son regard, une acceptation silencieuse de la confrontation. Ils se jaugèrent, un instant.

— Ton nom ? lança Arthuun. Il s'entendit balbutier, l'excitation l'enivrait.

Calme toi bon sang, tu trembles comme un môme ! s’invectiva-t-il en son fort intérieur.

— Kareth, de Thar'vynor, répondit le combattant, d’une voix calme.

Thar’vynor ? Ce village de montagnards, qu’est-ce qu’un type comme lui fait là-bas ? S’étonna Arthuun. Il se ressaisit et se présenta en retour.

— Arthuun, de Draa’kmorn.

Draa’kmorn, capitale de la tribu Thaala'Sthyr, était réputée pour son centre de formation des athlètes martiaux, mais il n’y avait jamais croisé ce gars, il l’aurait repéré, inévitablement.

Sans plus attendre, Arthuun se mit en position, frappant de la lance sur son bocle, ce qui annonça le début des hostilités. Il lança un premier coup d’estoc, rapide et brutal. Kareth dévia de justesse, effleurant son bras. Il répondit par un coup de bocle qu’Arthuun intercepta du sien. Le choc sourd résonna dans l’arène. Le ton était donné.

Ils s’échangèrent de multiples coups. Les parades et les esquives étaient parfaitement dosées, aucun geste n’était superflu. Les minutes passaient. Nul ne semblait prendre l’avantage. De la violence et de l'intensité de l'affrontement apparurent des blessures superficielles. Des contusions et des éraflures se dessinaient sur les corps des deux élites. Aucun ne semblait prêt à concéder la victoire, quel qu’en soit le prix.

La foule retint son souffle devant ce duel d’acharnés, un combat épique entre deux titans où chaque coup semblait plus redoutable que le précédent. Puis une lance se brisa, devenue saillante et mortelle. Un bocle se fendit sur sa largeur. Du sang gicla au sol, un sillon vermeille sur le sable de l'arène. Des os se fêlèrent, se fracturèrent, à mesure que s’abattaient sur eux les frappes contondantes des épées d’entrainement et des bocles.

Cela va beaucoup trop loin ! s’écria Valethar, qui bondit de la tribune quelques mètres plus haut. Ce tournoi prenait des allures de combat à mort. Il fallait y mettre fin avant qu’un des deux ne soit sérieusement blessé. Il se précipita vers eux, qui n’entendaient plus rien d’autre que l’ardeur du combat.

— Assez ! rugit-il, son intuition hurlait l'urgence dans tout son corps.

Les deux guerriers, en proie à la frénésie du duel, ne le l'entendirent pas. Valethar se jeta sur eux, ses yeux d’un gris perçant, empreints d’autorité. Saisissant leurs bras avec une force, il interrompit enfin leur échange. Le froid de son regard transperça leur excitation, ramenant Arthuun et Kareth à la réalité.

— Assez, répéta-t-il. Sa voix était calme et pourtant il se dégageait de lui une autorité naturelle qui chassa les velléités guerrières des deux combattants.

Arthuun et Kareth abaissèrent leurs armes, s’inclinant avec respect devant Valethar, qui les observa avec une fierté contenue.

— Vous nous avez offert un duel exceptionnel, digne de vos talents. Vous avez prouvé votre maîtrise de la lance, de l’épée et du bouclier. Et aujourd'hui, la chance m’épargne d’avoir à vous départager.

Il marqua une pause, une lueur de satisfaction éclairant son visage. Il avait fallu que leur monde menace de s’effondrer pour qu’apparaissent devant ses yeux, deux combattants hors normes. S’ils recevaient l’Anar’yn de Thyra’harel, je ne ferai pas le poids face à eux, pensa-t-il.

— Je vous choisis tous deux ! Guerriers d’élite de Thaala’Sthyr ! Vous voilà désignés Éclaireurs de Val’ishar !

Un silence respectueux accueillit ses paroles. Arthuun et Kareth échangèrent un regard incrédule, avant d’acquiescer en s’inclinant. Un tel honneur dépassait tout ce qu’ils avaient espéré. La foule acclama alors ceux qui porteraient, avec honneur, les couleurs de leur tribu.

Tandis que les acclamations de l’arène de Draa’kmorn résonnaient encore, ailleurs, dans les couloirs étouffés par les gémissements des mourants, une autre forme de sélection se dessinait...

Annotations

Vous aimez lire Zedh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0