Les derniers jours
Il restait quatre jours avant la remise des diplômes.
Quatre jours avant la fin officielle de l’université. Quatre jours pour parler, pour dire ce qu’elle avait tu pendant trois ans. Quatre jours pour briser ce silence devenu trop lourd pour elle seule.
Marie-Louise n’arrivait plus à dormir.
Elle mangeait à peine.
Elle vérifiait son téléphone toutes les trois minutes alors qu’elle savait pertinemment que Côme ne lui écrivait jamais en dehors des discussions de groupe.
Elle vivait dans une tempête intérieure que personne ne voyait vraiment, sauf Erine.
— Tu ne tiendras pas jusqu’à vendredi dans cet état, murmura Erine en lui tendant un thé brûlant.
Elles étaient assises sur le petit canapé du salon, la fenêtre entrouverte sur les toits de La Rochelle. L’air sentait la pluie qui menaçait.
— J’ai peur, souffla Marie-Louise. J’ai jamais eu aussi peur de ma vie.
— Peur de quoi ?
— De lui dire et que ce soit rien pour lui. Que ce soit juste… une gêne. Un moment inconfortable qu’il voudra oublier. Et moi, je pourrais plus jamais le regarder.
Erine posa la tasse, se rapprocha d’elle.
— Ou peut-être que ce sera le début de quelque chose. Peut-être qu’il t’attend aussi. Peut-être qu’il ne sait même pas que tu l’aimes, parce que tu le caches trop bien.
Marie-Louise rit nerveusement.
— Personne peut aimer une fille comme moi sans qu’on lui dise. Je suis pas… brillante, ou drôle, ou sûre de moi comme toi.
Erine fronça les sourcils.
— T’es douce, t’es entière, t’es vraie. Et tu l’aimes avec une telle profondeur que ça suffirait à faire fondre n’importe qui, Marie.
Le troisième jour, elle l’aperçut à la bibliothèque.
Il était seul, assis dans un coin, casque sur les oreilles, le regard posé sur son écran. Elle l’observa de loin, les mains tremblantes.
Elle pensa à s’approcher. À faire semblant de chercher un livre à côté. Juste pour échanger une phrase, un sourire, n’importe quoi.
Mais ses jambes refusèrent de bouger.
Elle avait l’impression que son corps entier se révoltait contre sa volonté.
Alors elle le regarda encore. En silence. Et quand il rangea ses affaires et partit, elle sentit son cœur se serrer comme une corde trop tendue.
“Tu n’arriveras jamais à lui parler,” murmura une voix en elle. “Tu vas le laisser partir. Comme toujours.”
Le deuxième jour, elle écrivit une lettre.
Une vraie lettre, sur du papier crème, avec son écriture penchée et un stylo noir qu’elle gardait pour les choses importantes.
Elle y raconta tout :
Qu’elle l’avait aimé en silence depuis ce jour de septembre.
Qu’il était devenu pour elle un repère, un battement de cœur.
Qu’elle avait rêvé de lui sans jamais l’approcher.
Qu’elle était terrifiée, mais que l’idée de le laisser partir sans rien lui dire lui faisait plus peur encore que le rejet.
Elle signa, replia le papier, le glissa dans une enveloppe.
Elle ne la posta pas.
La veille de la remise des diplômes, elle n’avait plus de forces. Elle avait les yeux cernés, les mains froides, le cœur épuisé d’avoir trop battu pour rien.
— Demain, dit-elle à Erine, demain je le fais. Même si je meurs de honte. Même s’il me rit au nez. Même s’il m’oublie après. J’aurai essayé.
Erine s’approcha, l’embrassa sur le front.
— Tu seras fière de toi, quoi qu’il arrive.
Marie-Louise sentit ses yeux se brouiller.
— Et s’il part avant ?
— Il ne partira pas.
Mais dans ses yeux à elle, il y avait un doute, imperceptible.
Un pressentiment.
Cette nuit-là, Marie-Louise ne dormit pas.
Elle relut la lettre encore et encore. Elle s’imagina la scène : elle s’approcherait de lui après la cérémonie, lui dirait qu’elle voulait lui parler. Peut-être que ses mains trembleraient. Peut-être qu’elle pleurerait. Mais au moins, elle aurait le courage.
Elle rêva qu’elle lui disait.
Et dans ce rêve, il souriait.
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