Le jour J

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Le soleil était cruel ce jour-là. Trop éclatant, trop joyeux. Un ciel bleu sans faille, comme si l’univers avait décidé que tout devait être parfait, alors que tout en elle était chaos.

Marie-Louise s’était réveillée après deux heures de sommeil à peine. Les battements de son cœur résonnaient comme une alarme dans sa poitrine. Aujourd’hui, c’était le dernier jour. La remise des diplômes. Son dernier face-à-face avec l’homme qu’elle aimait sans jamais avoir osé lui dire.

Elle enfila la robe noire de cérémonie, noua maladroitement le ruban écarlate autour de son cou. Erine l’aida à le replacer, comme une grande sœur bienveillante.

— Ça va aller, murmura-t-elle. T’es prête.
— Je suis pas prête, répliqua Marie-Louise, la voix étranglée. J’ai l’impression qu’on va m’arracher la poitrine.
— Alors laisse ton cœur sortir, pour une fois. Dis-lui.

L’université était en fête. Des sourires partout. Des familles. Des photos prises en rafale. Des éclats de rire, des cris. Les professeurs serraient des mains, les camarades s’embrassaient, faisaient des promesses qu’ils ne tiendraient peut-être jamais.

Marie-Louise cherchait Côme dans la foule. Comme une naufragée scrutant un rivage.

Elle le vit enfin, un peu à l’écart, appuyé contre un arbre, seul. Il tenait son diplôme roulé dans sa main. Il portait une chemise bleu clair, les manches retroussées, les cheveux un peu plus en bataille que d’habitude.

Il semblait tranquille, comme toujours. Mais il y avait dans ses yeux une lueur étrange. Comme un adieu qu’il n’avait pas encore prononcé.

Elle fit un pas vers lui. Un seul. Puis s’arrêta.

Erine, à quelques mètres, croisa son regard. Elle hocha la tête doucement, un encouragement silencieux.

Marie-Louise serra l’enveloppe dans sa main. Celle de la lettre. Elle l’avait glissée dans sa poche. “Si je n’y arrive pas avec ma voix, je lui donnerai ça,” s’était-elle dit.

Elle s’approcha encore.

Il parlait à une fille de la promo, puis à un garçon qu’elle connaissait de nom. Il souriait, poliment. Il riait par moments. Il était beau. Tellement beau qu’elle sentit une larme lui monter, sans prévenir.

Elle détourna les yeux.

Le temps passait trop vite. Les discours s’éternisaient, les photos se multipliaient. Les étudiants se regroupaient pour les clichés de promo, les selfies. Et toujours cette petite distance entre elle et lui. Toujours le pas qu’elle ne faisait pas.

Il y eut un moment. Court. Il était seul. Elle était à deux mètres. Il la vit, lui sourit.

Elle ouvrit la bouche.

"Côme… j’ai quelque chose à te dire."

Elle ne l’a pas dit. Elle a failli.

Mais une voix de professeur la coupa net :
— Tous les étudiants de lettres ! Venez devant, s’il vous plaît, pour la photo officielle !

Et comme dans un rêve, comme dans une erreur de montage, il s’éloigna.

Un pas, deux pas, déjà pris dans un autre groupe. Puis un discours, puis un appel au micro, puis des éclats de rires. Le flot humain l’avait emporté loin d’elle.

Après la cérémonie, elle chercha Côme partout.

Dans la cour. Dans les couloirs. Près de l’entrée.
Rien.

Elle envoya un message sur le groupe de promo :

Quelqu’un a vu Côme ?

Pas de réponse.

Erine arriva en courant, le visage tendu.

— Il est plus là. Je crois… je crois qu’il est parti.

— Non… non, il peut pas… pas sans que je lui parle…

— Marie…

— C’est pas maintenant que je dois le rater. Pas aujourd’hui. Pas aujourd’hui.

Elle partit en courant. Les couloirs semblaient trop longs, le monde trop flou. Elle avait l’impression de chercher dans un rêve qui devient cauchemar.

Elle sortit sur la rue, balaya du regard les alentours.

Un taxi passait, lentement. Dedans, elle crut le reconnaître. C’était peut-être lui. Ou peut-être pas.

Mais c’était déjà trop tard.

Marie-Louise s’arrêta, au milieu du trottoir.

Autour d’elle, les gens riaient encore.

Elle, elle n’entendait plus rien.

Elle s’assit sur un banc.

Et elle pleura.

Pas comme une fille triste.

Elle pleura comme quelqu’un qui a perdu ce qu’elle n’a jamais eu.

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