Chapitre 27 : Au bord du néant
Le laboratoire n’était plus qu’un champ de ruines. Sous le poids de l’apocalypse imminente, l’équipe se fractura. Des cris, des disputes éclatèrent entre les blocs de béton effondrés.
- C’est fini ! On ne peut plus rien faire ! hurla Virgil Varek, les yeux écarquillés par la panique.
Il fut l’un des premiers à fuir les installations, bousculant ses collègues sans un regard en arrière. Ils étaient plusieurs à le suivre, persuadés qu’une échappatoire existait quelque part, au-delà des murs du Centre Quanta.
Mais dehors, il n’y avait nulle part où aller. Les rues des villes se tordaient comme du métal en fusion. Les lampadaires grésillaient, penchés comme s’ils fuyaient eux aussi. Les distorsions s’intensifiaient à chaque battement de cœur. Et dans ces fractures de réalité, des créatures issues des ombres traquaient sans relâche les derniers survivants, engloutissant tout sur leur passage. La peur les nourrissait ; ceux qui fuyaient ne faisaient qu'accélérer leur fin.
Dans la bibliothèque du Centre, le professeur Kennywood disposait avec soin les artefacts anciens sur le sol, les mains tremblantes, son visage ravagé par le remords.
Selina, accroupie non loin, traçait les derniers symboles du cercle d'invocation. Son front était perlé de sueur, et ses lèvres remuaient en silence.
- Tu es sûre de toi ? demanda-t-elle sans le regarder, sa voix à peine audible.
Kennywood prit une longue inspiration, les yeux fixés sur le vide.
- Non… mais on n’a plus le choix.
C’est à cet instant que Jeff, Pauline et le docteur Elena arrivèrent, couverts de poussière et de cendres, les traits tirés, mais déterminés.
Un regard rapide entre eux suffit. Aucun mot n’était nécessaire. Ils savaient.
Pauline s’approcha de Selina, l’aida à tracer les dernières lignes du rituel, tandis que Jeff gardait les yeux rivés sur l’entrée, son arme serrée entre les mains, bien que l’acier ne puisse rien contre ce qu’ils affrontaient.
Kennywood rompit le silence :
- Ce que nous allons faire ici… dépasse la science. Il n’y aura pas de retour.
Selina se redressa, le regard dur.
- Alors on ne rate pas.
Les premières paroles de l’incantation franchirent les lèvres de Selina, sa voix vibrante dans l’air électrique. À chaque mot, l’atmosphère se densifiait. Les murs de la bibliothèque tremblaient, des fissures apparaissaient dans le sol. Des chuchotements se mêlaient au vent, déformés, anciens, comme soufflés par des bouches oubliées.
Jeff grimaça.
- Ils essaient de nous faire flancher. Fermez vos esprits !
Des ombres glissaient à la limite de leur perception. Pauline étouffa un cri en voyant une forme difforme passer derrière les étagères.
- Ils sont là… Ils nous regardent…
Le rituel avançait, malgré la peur, malgré les voix.
Soudain, la faille s’ouvrit en grand. Un silence irréel tomba. La pièce fut baignée dans une lumière irréelle. Les lois de la physique semblèrent se dissoudre. Des paysages cauchemardesques, faits de couleurs impossibles et de géométries inversées, tourbillonnaient dans l’ouverture.
Kennywood sentit leur présence avant de les voir : les créatures. Innombrables. Faim de pouvoir, faim d’âmes.
Puis vinrent les murmures, intimes, venimeux.
« Tu peux tout avoir. Tu n’as qu’à nous laisser entrer. »
Kennywood chancela, les yeux écarquillés. Son cœur battait à tout rompre. Les ténèbres lui parlaient avec la voix de ses regrets.
Mais c’est Jenkins qui flancha. Le regard vide, les traits tirés, il lâcha son livre d’incantations.
- Je vois enfin… Je comprends., hurla-t-il
Et il se laissa avaler.
Son corps se tordit dans un craquement immonde. Un cri déchirant, inhumain, retentit. Ce n’était plus Jenkins. Une créature grotesque se tenait à sa place, griffes luisantes, chair boursouflée. Elle rugit et bondit.
Jeff tira. Pauline cria. Selina hurla un fragment d’incantation. Kennywood recula, le cœur glacé.
Ils luttèrent. Pour le rituel. Pour le monde. Les mots anciens continuaient de s’élever, même si leurs voix devenaient rauques, même si leurs forces les quittaient.
Pauline, les yeux embués, murmura :
- Je n’y arriverai pas… Je…
Selina lui saisit la main.
- On y arrivera. Parce qu’on le doit.
Mais le cercle vacillait. La magie grondait, incontrôlable.
Et c’est Elena qui comprit. Le regard tourné vers Kennywood, elle vit l’homme à bout de forces, à genoux, l’âme brisée. Elle savait que s’il tombait, tout tomberait.
Alors elle se leva.
- Je peux encore faire quelque chose.
- Elena, attends ! cria Kennywood, se redressant dans un sursaut.
Mais c’était trop tard. Elle entra dans le cœur de la faille.
Et dans un souffle, elle prononça les derniers mots.
Son corps s’illumina. Un éclat fulgurant envahit la pièce. Les créatures hurlèrent. La brèche se refermait. Un souffle immense les projeta tous en arrière. Les ténèbres furent aspirées, déchirées, anéanties.
Puis… plus rien. Le silence.
Le monde autour d’eux se stabilisait, lentement. La pièce, dévastée, baignait dans une lumière crépusculaire. Mais tout était différent. L’air semblait plus lourd. Le temps… brisé.
Elena n’était plus là.
Selina tomba à genoux. Pauline éclata en sanglots. Jeff resta debout, le regard perdu. Kennywood, lui, n’arrivait plus à parler. Le poids de ses fautes écrasait chaque respiration.
Le prix de la fermeture avait été terrible.
Et le monde, bien qu’encore debout, ne serait plus jamais le même.
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