Le temple des monts Hoj

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  Le vent polaire soufflait sur un temple de pierre, au sommet du monde. Sur une table trônait un parchemin, maintenu ouvert par quatre presse-papiers. On pouvait y voir une carte finement dessinée. Une terre si familièrement étrangère : Vidblain. Aghni en connaissait les frontières par cœur. Ce royaume titanesque s’étendait des contrées glacées du Nord jusqu’aux déserts du Sud, longeant les côtes verdoyantes des îles de l’Est. À l’Ouest, une immense chaîne de montagnes déchirait le monde. Mais tout ça, Aghni le savait déjà. Combien de fois avait-il scruté chaque détail de ce plan ? Personne le ne sait ; pas même lui. Sûrement trop.

  Grand amateur de littérature, Aghni avait englouti avec enthousiasme le contenu de la bibliothèque. Le jeune homme s’occupait du mieux qu’il pouvait, alliant lecture et sport, parfois en même temps. À Vidblain, certaines personnes étaient dotées de facultés exceptionnelles à la naissance : la maîtrise des Éléments. Que ce soit l’eau, l’air, la terre ou le feu, leur parcours était ainsi tout tracé. Dès l’apparition de leurs pouvoirs, ces enfants étaient envoyés dans un temple comme celui-ci. Une basilique aux pierres usées, perdue, loin du monde. Ils y étudiaient les rudiments des arcanes auprès d’un ancien. À la suite de cet apprentissage, les jeunes cadets pouvaient espérer intégrer l’Académie et devenir mages. Un parcours qui demandait rigueur et volonté.

  Aghni voulait à tout prix rejoindre cette école de prestige. De son groupe, il était le plus ambitieux. Lorsque ses pouvoirs avaient exulté, la puissance avait envahi chaque morceau de son être. Une sensation grisante. Mais l’amertume de cette enivrante force hantait encore sa bouche. Son village fut attaqué par des pillards. De ce jour, il ne resta que peu de choses. Des larmes, de la cendre, une enfance brisée. Et une promesse, inscrite au plus profond de l’être.


  L’heure de la prière sonna. Aghni quitta la bibliothèque et marcha dans les immenses couloirs froids. Il croisa en chemin Pur’thivi, un élève de son groupe. Le garçon de 15 ans devait approcher les deux mètres pour une carrure impressionnante. Une vraie montagne. Ils échangèrent un sourire avant d’entrer dans la salle d’instruction. Leur maître, Ap, était déjà installé en tailleur sur le tapis, les apprentis l’imitèrent. Vayu, une gamine de neuf ans particulièrement turbulente, s’impatientait. Le vieil homme aux yeux bridés caressait sa longue barbe blanche. Aghni connaissait cette mimique : son professeur jugeait son idée. Au plus profond de lui-même, il espérait quelque chose d’intéressant. Son tempérament fougueux ne facilitait en aucun point la méditation ; il le savait. Ce qu’il voudait, c’était manipuler la magie. La sentir couler en lui. La voir jaillir de ses doigts. Par le passé, il avait réussi à créer quelques étincelles. Un effort considérable pour si peu finalement.

— Mes chers élèves, j’ai envie d’essayer quelque chose de nouveau aujourd’hui. Vous allez vous familiariser avec votre élément, même si je me doute que certains ont déjà commencé.

  Son regard se porta sur Aghni. Les yeux du vieillard, d’un bleu azur, sermonnaient silencieusement le jeune homme. Il connaissait ses novices sur le bout des doigts. Avant qu’il ait eu le temps de poursuivre, la petite Vayu s’interrogea.

— Mais on ne va pas méditer aujourd’hui professeur ?

— Pas tout à fait. Je vous ai initié à la perception du mana. Il est temps de vous enseigner à concentrer cette force. La tâche ne sera pas aisée, mais je ne doute pas de vos capacités.

  Aghni brûlait d’impatience. Il allait apprendre à dompter le flux tourmenté de la magie. Les élèves fermèrent les yeux et se laissèrent porter par les paroles de leur professeur. Ils y étaient habitués. Assis en tailleur, les paumes tournées l’une vers l’autre, Aghni se concentrait. Il ne voulait pas échouer. Il ne le pouvait pas. Il sentit la chaleur l’envahir peu à peu, comme à chaque méditation. Mais cette fois-ci, il la redirigea dans ses doigts. Lentement, il entendit les étincelles crépiter. Il s’arrêta et regarda ses mains. Ses prunelles sombres brillaient d’une nouvelle lueur : la joie. Une flamme dansait, à quelques centimètres de chaque paume. Il n’avait jamais vu quelque chose d’aussi beau. Il jeta un coup d’œil aux deux autres élèves. Pur’thivi se focalisait sur un amas de graviers flottant devant lui tandis que la petite Vayu rigolait doucement en admirant l’air tourbillonner entre ces doigts. Le vieil Ap s’approcha de lui et observa attentivement la flammèche au creux des mains du garçon.

— Du bon travail. La magie du feu est la plus difficile de toutes. Son porteur doit aller la chercher au plus profond de son être et de son esprit. Mais je sens en toi une forte volonté. Tu iras loin. Si tu t’en donnes les moyens.

— Merci professeur.

  Le cours se termina peu après. Les élèves, lâchés pour la matinée rejoignirent les autres. Cette année, ils n’étaient qu’une dizaine. Le vieil Ap se rappelait d’un temps passé où les apprentis arrivaient par centaines. La magie se perd… Dans le parc derrière le temple, Aghni s’amusait avec ses pairs au trap-ball. Le but était simple : éviter une balle. On pouvait l’attraper, la lancer, la repousser, la dévier… Tous les coups étaient permis, tant que celle-ci ne nous touchait pas. Vayu était particulièrement douée à ce jeu. Elle qui sautait et courrait partout, il était presque impossible de la viser. Pur’thivi, lui, profitait énormément de sa force physique. Ses lancers partaient à la vitesse du vent, et il était capable d’en arrêter des plus violents encore. Aghni, lui… Ne servait pas à grand-chose. Certes, c’était un fin tireur. D’une précision redoutable.

  Lassé par le jeu, l’apprenti mage retourna étudier. Ap, son professeur, était présent. Près d’une fontaine, le vieil homme s’exerçait avec son élément : l’eau. Il déplaçait avec une facilité déconcertante de nombreux orbes liquides autour de lui. Aghni s’arrêta devant le ballet aquatique qui lui était offert.

— Approche mon garçon.

  Le jeune élève, pourtant certain d’avoir fait preuve de discrétion, s’avança. Sur son passage, les sphères s’écartaient tranquillement. Aghni se retrouva face au vieux sage, toujours en pleine concentration.

— Maître, puis-je me permettre une question ?

— Je t’écoute Aghni.

— Que faisiez-vous avant d’enseigner ?


  L’hydromancien s’arrêta, quelque peu surpris par l’interrogation. Il rassembla les orbes flottant au-dessus de la fontaine, libérant l’eau de son étreinte magique. Le professeur s’assit en face de son élève.


— Pourquoi cette question ?

— Je me demandais juste.

— Et bien… Par où commencer ? Sorti de mes études à l’Académie, je me suis engagé dans l’armée comme médecin de front. J’étais jeune, je voulais me battre pour l’Empire. Les batailles s’enchaînaient, et mon engouement mourait peu à peu. Mais je ne pouvais pas abandonner ces hommes et ces femmes à ce triste sort. Je faisais tout pour les sauver. J’ai servi pendant presque 25 ans. Tu n’imagines pas les atrocités auxquelles j’ai pu assister Aghni… Je te souhaite de ne jamais avoir à combattre pour ces imbéciles couronnés.

— Mais, pour quelles raisons nous battions-nous ?

— Des jeux de pouvoirs, le plaisir de la conquête... De nombreuses excuses. Quoi qu’il en soit, j’ai quitté l’armée impériale. J’ai voyagé pendant près de 5 ans. Et je me suis arrêté ici, où je me suis épanoui. Cet endroit est si calme, si paisible… Je n’ai plus jamais voulu délaisser le temple. C’est ma maison.

  Un grand silence s’installa. Le regard du vieil Ap se perdit dans la brume de ses souvenirs. Le jeune élève fixait ses mains, tentant de déchiffrer les signes sur ses paumes.

— Aghni.

— Professeur ?

— J’aurais tant aimé avoir un fils comme toi…

  Un autre silence. Le maître quitta la pièce, laissant le garçon perplexe.

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