Chapitre 1

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L'efficacité d’un philtre de charme résidait dans deux éléments principaux : la discrétion et la connaissance de sa cible. Le premier élément était facilement oublié, à croire que l’amour provoquait également l’amnésie et la stupidité. Ce n’était pas tout d’avoir un philtre de charme, si la personne que l’on souhaitait charmer se rendait compte de l’entourloupe, les effets étaient diminués. Il ne fallait pas être devin pour se dire que si une personne réalisait qu'on tentait de l’influencer avec une quelconque sorcellerie, elle risquait de ne pas très bien le prendre. Alors il fallait être discret, une senteur qui titille l’esprit et qui reste en mémoire, un doux parfum sur mesure qui serait associé à l’être aimé. En soi, rien de bien compliqué.

Dahlia n’avait pas besoin d'expérience personnelle pour savoir que l’attitude d’une personne pouvait changer quand elle trouvait son interlocuteur… à son goût. Cela ne dérangeait pas la jeune femme plus que ça. Après tout, c’était ce qui lui avait permis de s’intégrer dans la haute société malgré ses origines.

Faisant doucement tourner la fiole qu’elle avait passé la matinée à préparer, Dahlia observait les composants se dissoudre pour former un liquide transparent d’une légère teinte jaune. Elle approcha la fiole pour la sentir une nouvelle fois.

Myosotis, Pavot, Pensées.

Un peu direct, mais Dahlia estimait qu’il fallait être un peu osée pour cette fois. Certaines personnes avaient besoin qu’on leur mette les choses sous le nez (sans mauvais jeu de mots), pour comprendre. Reposant le philtre sur la table, elle enleva ses gants, et ouvrit un des tiroirs de son plan de travail pour en ressortir une petite aiguille. Sans même un temps d’arrêt, elle referma le tiroir puis se piqua la pointe du doigt avant de rapidement placer celui-ci au-dessus de la fiole. La goutte de sang tomba dans le mélange, le liquide formant une petite brume rouge. Dahlia reposa l’aiguille sur un mouchoir afin de la nettoyer plus tard, et essuya son doigt avant de secouer à nouveau la fiole, le liquide prenant peu à peu couleur rosée. La jeune femme sourit, satisfaite de son travail.

Plus que l'emballage.

Elle se dirigea vers l’étagère de bois à quelques pas de là, s’emparant de l’un des flacons vides qui y étaient rangés, et que la lumière du soleil qui filtrait par la porte ouverte faisait scintiller comme des lustres de cristal. Après avoir versé avec attention le contenu de la fiole dans le flacon, elle le referma avec un brumisateur et une poire. En finition, elle ajouta un ruban rose autour de l’embout avant de mettre le tout dans une petite boîte de la même couleur.

Le manoir Lyntel était grand, imposant même pour ceux qui le visitaient pour la première fois. Même si de l'extérieur, la structure de pierre était plutôt simple, avec de grandes tours grises et pointues comme des pics de lance, l'interieur se révélait un peu plus complexe. Les tours étaient reliées par de grandes ailes à plusieurs étages, formant un rectangle qui avait été aménagée une serre en guise de cour.

C’était là qu'elle passait la majorité de son temps.
Elle ferma la porte du petit atelier. C'était le comte qui l'avait fait construire. En plein milieu de la serre pour qu'elle ait plus facilement accès aux fleurs pour concocter ses "potions".

La jeune femme sentit son coeur se serrer. Le comte et la comtesse étaient souffrants depuis quelques jours déjà, et même si les toniques que Dahlia préparait religieusement tous les jours avaient l’air de faire effet, comme une mauvaise herbe qui repoussait à chaque fois qu’elle était coupée, elle ne parvenait pas à se débarrasser de son inquiétude.

Malheureusement, elle ne pouvait rien faire de plus pour l'instant. Les elixirs et les toniques de Dahlia pouvaient faire beaucoup de choses, mais au final, ce n’était que des tours de passe-passe, des illusions, des cures temporaires. Elle ne pouvait pas soigner de plaie béante, et elle serait bien incapable de guérir un mal plus important qu’une allergie au pollen ou un rhume.

Ce qu’il lui fallait, c’était se changer les idées, et la petite boite entre ses mains était son ticket pour quelques heures de divertissement. L’une de ses connaissances lui avait demandé de lui préparer une petite aide afin d’attirer l’attention de l’élue de son cœur. Dahlia n'acceptait pas n’importe quelle commande. Même si ses philtres n’avaient rien de dangereux, elle savait que si les choses ne se passaient pas comme prévu, peu importe les remerciements et les promesses de compensations, c’était sur elle qu'allaient tomber les accusations quand il faudrait trouver quelqu'un à punir.

Puisque Dahlia était officiellement la fille du comte, ils ne pouvaient pas faire grand chose, mais il était toujours mieux de ne pas avoir de problèmes que d’en avoir. Elle se sentirait coupable, réellement coupable, si elle embarrassait le comte qui les avait gentiment recueillis, elle, sa mère et son frère.

La jeune femme passa par sa chambre, prenant le temps de refaire un peu sa toilette et de se changer avec l’aide des serviteurs. C’était l’une de ses robes préférées : la jupe et la veste rose pâle avec un motif fleuri, la chemise aux manches bouffantes d’un beau blanc et des finitions en dentelle qui lui donnaient un air délicat et un peu innocent. Elle finit avec un chapeau et des gants assortis. Avant de partir, elle prit un châle et hésita un instant en voyant son ombrelle. C'était loin d'être une épée, mais elle aimait la tenir en main. Un accessoire et une barrière. Dahlia savait que le fin tissu ne la protégerait de rien à part des quelques rayons de soleil, mais l'illusion était rassurante. Elle regarda par la fenêtre. Le début du printemps s'était avéré plutôt nuageux, et l'ombrelle ne lui servirait à rien. Fin prête, elle offrit un petit sourire aux serviteurs qui l'accompagnèrent à la porte, et se fit frappée par une brise glaciale qui lui fit raffermir ses mains autour de son châle.

Avec un dernier regard vers le manoir, Dahlia monta dans la calèche qui la mènerait vers la demeure de son amie.

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