Chapitre 2

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Le chemin se fit sans encombre, et Dahlia arriva promptement chez son amie. La maison d’Eloïse Deschanelle, ou plutôt celle de son père, était moins imposante que le manoir des Lyntel. Ce n’était pas pour dénigrer la belle bâtisse au milieu du centre-ville qui comportait quatre étages, des murs blancs, des balcons en fer aux formes baroques, et des gargouilles sur des colonnes taillées peintes d’une couleur entre le cramoisi et le marron. Dahlia fixa encore et encore les escaliers en marbre avant de décider que les risques de glisser étaient minimes et qu’elle pouvait les monter. Après avoir été accueillie par le majordome, celui-ci l’installa dans un petit salon avant de s’excuser pour aller chercher Eloïse. Une fois qu’elle le vit disparaître dans le couloir, Dahlia laissa son sourire et ses épaules s’affaisser et s’adossa confortablement contre le fauteuil. La palette du salon était similaire à l’exterieur, avec des fauteuils de cuir, des meubles en marbre blanc et un lustre en fer blanc aux bougies encore éteintes pour laisser la place à la lumière des fenêtres.

Enlevant son chapeau, la jeune femme en profita pour se recoiffer rapidement, passant sa main dans sa chevelure, ses mains glissant avec aisance dans les fines mèches qui tiraient plus vers le orange que le brun. Ses cheveux étaient plutôt courts, les pointes flottant un peu au-dessus de ses épaules. Soudainement, elle entendit des bruits de pas venant du couloir. La jeune femme se redressa aussitôt, et aperçut une large silhouette la dépasser à grands pas. Celle-ci ne l’aurait probablement même pas remarquée, tellement elle avait l'air absorbée par le document entre ses mains. Cependant, des années d'entraînement ne disparaissent pas si facilement et la silhouette s’arrêta pour se tourner vers Dahlia, décrochant enfin son regard du papier. Le père d’Eloïse, Gautier Deschanelle, Commandant de la garde de la ville, inclina la tête en sa direction. L’homme portait encore son uniforme, entièrement blanc avec des épaulettes et des boutons d'argent qui devaient surement prendre des heures à nettoyer, et malgré son visage taciturne auquel Dahlia s’était habituée, la jeune femme discerna un mélange d’inquiétude et d’excitation derrière son regard.

—Bonjour, Dahlia. Tu es venue voir Eloïse, n’est-ce pas ? Elle ne parle que de ça depuis plusieurs jours, j’espère qu’elle ne te dérange pas trop.

Dahlia sourit. Cela faisait plusieurs années maintenant qu’elle fréquentait Eloïse. La jeune fille de dix-sept ans avait été sa première amie après qu’elle ait intégré la maison du comte Lyntel, lors du mariage de sa mère avec celui-ci. Même si Dahlia n’était que de deux ans son aînée, elle ressentait tout même un certain instinct de protection envers la jeune fille.

—Bien sûr que non, répondit jovialement Dahlia, c’est cet entrain enfantin qui fait une partie de son charme après tout ! Je suis persuadée que je ne suis pas la seule qui ne peut m'empêcher de sourire quand elle m’expose ses dernières obsessions.

Elle vit un coin des lèvres du commandant s’étirer et l’affection qu’il éprouvait pour sa fille se mit à éclore sur son visage.

—Oui, oui j’imagine, reprit-il, quoi qu’il en soit je vais vous laisser.

Il leva le papier qui n’avait pas quitté ses mains avant d’ajouter mystérieusement :

—Je suis sûr qu’elle a de quoi te tenir occupée pendant toute l’après-midi cette fois.

La jeune femme inclina la tête, perplexe. Toutefois, elle n’eut pas le temps de poser plus de questions car Eloïse surgit du couloir au moment où son père s’éclipsa.

—Papa ! Papa, rends-moi cette lettre tout de s-

Elle se raidit à la vue de Dahlia. La jeune femme lui fit un grand sourire, semblable à ceux qu’elle faisait à sa petite soeur quand elle la trouvait en train de toucher à ses fleurs sans sa permission. Cela eut l’effet escompté et elle vit les jolies joues d’Eloïse prendre une teinte rosée, alors que la brunette s’empressa de reprendre une posture appropriée à une noble. Dahlia se racla la gorge, levant le menton dans un air fier malgré ses joues encore un peu roses et s’exclama d’un ton faussement enjoué :

—Dahlia, je ne t'attendais pas si tôt !

—Je suis à l’heure, c’est toi qui a laissé ton invitée attendre.

Elle lui jeta un regard sévère avant d’ajouter :

—Et puis tu as vu le spectacle que tu m’as offert ? J’espère que tu ne fais pas ça tous les jours, sinon je pense que ton père aura du mal à te trouver un époux. C’est quand tu penses que personne ne te regarde qu’il faut le plus faire attention à l’image que tu transmets.

Eloïse baissa la tête, mais son regard était quand même fixé vers le hall d’entrée, là où son père était parti.

—Je suis désolée, mais tu vas comprendre… D’ailleurs non tu dois le savoir ! Tu l’as reçu aussi, non ?

—Reçu quoi ? répondit Dahlia sur un ton un peu plus sec que prévu.

Elle commençait à s’impatienter.

—L’invitation ! Au Palais ! Pour l’anniversaire de la princesse ! Tu as dû recevoir une invitation, toutes les familles nobles sont conviées !

Dahlia chercha dans sa mémoire une quelconque invitation qui aurait pu lui échapper, mais ne trouva rien. Elle était temporairement responsable des correspondances depuis que sa mère et le comte étaient souffrants, et elle était sûre d’avoir bien lu toutes les lettres sur son bureau. A moins que… Elle se retint de pousser un juron, ce qui aurait été un piètre exemple de maîtrise de soi pour Eloïse, et répondit calmement :

—Je ne me souviens pas en avoir reçu, mais il est possible qu’elle se soit perdue quelque part.

Et elle avait une très bonne idée de l’endroit où elle s’était perdue. La petite sœur de Dahlia avait la fâcheuse manie de lui chiper ses affaires. Généralement ce n’était pas très grave, des bijoux, des chapeaux, ou des chaussures bien trop grandes pour elle. Tout ce qui était de couleur vive ou qui brillait un peu trop était une cible potentielle. Une vraie pie. Violette avait sûrement attrapé la lettre sur la pile qu’elle avait laissée sur son bureau, le sceau royal argenté attirant son attention.

—J’espère que tu vas la retrouver alors, c’est très important ! Ils demandent la présence d’un membre de chaque famille noble du royaume, tu penses que ça fait combien ?

Dahlia ne voulait même pas y penser.

—Et donc, tu comptes y aller ?

—J’aimerais beaucoup, mais mon père a envie d’envoyer un de mes cousins à la place, il ne veut pas m’envoyer toute seule à la capitale sans être accompagnée, et il refuse de quitter son poste.

—Oh ? Il refuse de te laisser y aller ? Même si la grande, et célèbre, Dame Vitalio t’accompagne ? Ne put s'empêcher de taquiner Dahlia.

Éloïse redevint instamment rouge.

—Pas ici ! chuchota-t-elle d’un ton accusateur.

Elle se mit à observer d’un air suspicieux leur entourage avant de pousser un soupir.

—Continuons cette conversation dans ma chambre, j’ai quelque chose à te demander.

Dahlia hocha la tête et suivit son amie. En quelque pas elles se retrouvaient dans une chambre spacieuse que la jeune femme avait déja visitée de nombreuses fois. Un grand lit à baldaquin, une coiffeuse, une petite table et deux fauteuils, en ébène noir. Les rideaux, les draps et les coussins étaient tous dans des teintes entre le bleu sarcelle et le turquoise qui donnait un air presque mature à la pièce, tout l’inverse de sa propriétaire. Eloïse tira Dahlia vers le lit, où elle se laissa tomber grossièrement, observant le plafond avant de se redresser. Elle prit une grande inspiration, comme pour rassembler tout son courage, alors que Dahlia pouvait la voir triturer sa robe tout en essayant de se forcer à la regarder dans les yeux :

—Tu sais que mon père ne me laissera jamais aller seule à la capitale, et encore moins si je suggère Dame Vitalio. Ce n’est pas une noble après tout, et même s’il la respecte en tant que subalterne, au mieux il pensera que c’est encore une autre de mes folies et fera tout pour que ne la croise plus jamais, au pire, il verra ça comme un affront de la part de Dame Vitalio s’il se passe quoi que ce soit. Alors… je me disais que si c’était toi qui m’accompagnais, alors il pourrait peut-être être convaincu.

Dahlia observa son amie un long moment. Elle voulait lui faire plaisir, vraiment. Mais aller à la capitale, et surtout au Palais, était quelque chose de bien plus dangereux que ce que son amie pouvait imaginer. Sans compter les risques généraux que pouvait présenter la capitale pour des jeunes filles. Dahlia elle-même s'était jurée de ne plus jamais y remettre les pieds. Trop de problèmes qu’elle devrait affronter, et trop de secrets qui pouvaient être révélés. Avec un sourire crispé, elle commença :

—Je ne sais pas Eloïse, je n’ai pas envie de finir morte dans une ruelle. Plus encore, avec cette histoire de sorcière qui se serait échappée des donjons royaux... elle s’était attaquée à des nobles aussi, non ? J'aimerais éviter de perdre la vie, ou même la tienne à cause de l’anniversaire de quelqu’un que je ne connais même pas.

Voyant la mine dépitée de la jeune fille, elle ajouta :

—Peut-être que tu peux demander à mon frère ? Sirius ferait un très bon cavalier, et je suis sûre que ton père n’y verrait pas d'inconvénients !

—Oui bien sûr ! Tu as oublié qu’il m’a rejetée le printemps dernier ? Tu as peut-être envie de me sauver des sorcières dans les ruelles, mais tu veux me tuer d’embarras à la place !

—Désolée, désolée ! J’avais oublié ! Je vais y réfléchir, ça te va ?

Silence.

—Eloïse ?

—Très bien ! Mais donne-moi ta réponse demain ! J’aurais besoin de temps pour faire en sorte que Dame Vitalio fasse partie des gardes qui nous accompagnent !

—Oui, j’enverrai un message demain pour te donner ma réponse, promis.

La jeune fille avait déjà une meilleure mine, et Dahlia décida de changer de sujet en sortant la petite boîte qu’elle avait gardée dans son sac jusqu’alors.

—Je crois que je devais te remettre ça aussi.

—Tu l’as finie ?!

Eloïse se jeta sur la boite, traversant le lit sur ses mains et ses genoux, et l’ouvrit aussitôt. Prenant le flacon entre ses doigts, elle le leva au-dessus de sa tête, comme pour essayer de deviner la magie qui résidait dans le liquide, puis fronça les sourcils.

—Quoi ?

—Non, rien. Ça a juste l’air si… normal ?

—Et à quoi t’attendais-tu au juste ? Heureusement que ça a l’air normal, sinon tu peux être sûre que je n'aurais pas accepté de te le préparer si facilement.

La jeune fille se jeta sur elle pour l’enlacer.

—Merci, merci, merci !

—Attention, surtout ne renverse pas le philtre ! Je t’assure que si tu en mets sur moi ce n’est pas un petit charme qui va m'empêcher de t’étrangler.

Eloïse la libéra enfin.

—Et donc, j’en mets comme du parfum ?

Tout en essayant d’arranger les plis de sa robe comme elle pouvait, Dahlia répondit :

—Oui, n’en mets pas beaucoup, tu n’en as pas besoin.

—D’accord, répondit Eloïse dont le petit sourire espiègle mit Dahlia sur ses gardes.

—Quoi ?

—Non, gloussa-t-elle, c’est juste que tu sonnes vraiment comme une experte en la matière quand tu prends ce ton, et je vois bien que ce n’est pas la première fois que tu prépares ce genre philtre, mais je ne t’ai jamais vue avec qui que ce soit.

Dahlia se raidit un instant, ne s’attendant pas à cette question. Puis, lentement, elle approcha sa main du visage d’Eloïse. Elle vit son amie fixer sa main avec appréhension, les sourcils légèrement froncés, incapable de bouger. Voyant cette réaction, Dahlia changea ses plans et dégagea simplement une mèche de cheveux du front de la jeune fille. Les yeux de celle-ci restaient fixés sur ses mains comme si elle craignait qu’elles se transforment en griffes. Dahlia se retint de rire. Une autre idée la traversa. Rapprochant son visage, elle murmura d’un ton intime et conspirateur :

—Et pourquoi es-tu soudainement curieuse de savoir qui je courtise ou non ?

Elle continua de jouer avec la mèche un instant avant de la lâcher avec un petit sourire narquois.

—Je vais commencer à me dire que j’aurais dû donner ce philtre à Dame Vitalio. Il semblerait qu’une certaine demoiselle a son attention diverti un peu trop facilement. Le rouge te va à ravir, au passage.

Eloïse cligna des yeux. Une fois, deux fois, les joues plus rouges que tout ce qu’avait pu voir Dahlia aujourd’hui.

—T-toi… Je te déteste !

Elle s’empara de l’un de ses oreillers et s’empressa d’écraser son visage dedans en étouffant quelque chose entre un cris et un grognement, Dahlia n’était pas sûre. Faisant mine d’inspecter ses gants, elle se tourna de nouveau vers son amie dont le visage dépassait désormais un peu derrière l’oreiller.

—Si tu veux aller au palais, il va vraiment falloir apprendre à maîtriser tes réactions, Eloïse. Enfin, dit-elle en secouant la tête, j’imagine que certains pourraient trouver ça mignon, donc tout n’est pas peine perdue.

Elle s’avança pour rabaisser l’oreiller d’une main pour avoir de nouveau en vue la jeune fille.

—Et tu n’as pas besoin de te cacher !

Dahlia lui fit une pichenette.

—Tu n’es pas mon genre, de toute façon.

Elle sentit qu’Eloïse avait quelque chose à répondre, mais celle-ci se retint. A la place, elle ramena l’oreiller à sa poitrine et le serra, se laissant tomber à nouveau sur le lit.

—C’était méchant.

Dahlia se sentit légèrement coupable.

—Excuse-moi.

Eloïse la fixa un moment avant de pousser un soupire.

—Ce n’est pas grave, je te pardonne… Si tu acceptes de m'accompagner !

Levant les yeux au ciel, Dahlia répondit :

—Je crois qu’il est temps que je rentre chez moi.

—Surtout prends ton temps, mais pas trop quand même !

—Oui, oui…

Dahlia était déjà à la porte alors que derrière elle résonnaient les gloussements d’Eloïse.

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