Chapitre 3
Une fois rentrée chez elle, Dahlia ne perdit pas de temps. À peine avait-elle laissé les serviteurs la débarrasser de ses accessoires qu’elle fila dans la direction de la chambre de sa sœur.
Violette était la petite dernière de la famille Lyntel. Née après le mariage entre la mère de Dahlia et le comte, elle était le trésor de la famille, et en quelque sorte le chaînon qui maintenait cette famille si hétéroclite connectée. Dahlia se demandait si c’était la raison pour laquelle le couple avait décidé d’avoir un nouvel enfant, malgré les tensions déjà présentes à cause du remariage. Le fils du comte, Balthazar, n'avait pas vraiment vu l’union d’un bon œil. La jeune femme ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Il venait de perdre sa mère, et il avait dû accueillir une nouvelle maîtresse de maison, sans compter que la nouvelle comtesse avait amené avec elle deux enfants, ce qui mettait potentiellement en danger son droit de succession. Pour résumer, le premier contact n’avait pas été très chaleureux et, même si au fil des années leurs relations étaient passées d’hostiles à à peu près civiles, elle ne se faisait pas d’illusions sur son opinion d’eux. Il ne les accepterait sûrement jamais complètement.
C’était donc une très bonne chose qu’il se trouve généralement loin du manoir. En effet, après plusieurs années de pensionnat à l’académie militaire d’Alegra, Balthazar avait poursuivi en s’engageant dans l’armée royale et menait régulièrement des expéditions d’extermination de bêtes et esprits nuisibles. Il passait sporadiquement, et ne parlait pas beaucoup de sa vie. Tout cela convenait parfaitement à Dahlia. Il n’avait pas besoin de les aimer, ni de les apprécier. Malgré tout ce qu’on pouvait lui reprocher (par exemple, qu’il était d’un ennui), la jeune femme était certaine qu”il ne ferait jamais rien contre eux. Il adorait Violette. Il ne l’exprimait peut-être pas de la manière la plus directe, mais ses sentiments étaient évidents pour Dahlia. Elle le voyait à la façon dont le nom de leur petite sœur apparaissait systématiquement à chacune de ses lettres, à la façon dont il s’arrêtait un instant avant de la toucher, comme par peur de la briser, ou peut-être pire, qu’elle refuse. Alors Dahlia ne se faisait pas vraiment de soucis. Il ne risquerait jamais de briser le cœur de Violette en faisant quoi que ce soit contre sa mère.
La chambre de Violette n’était pas très loin de celle de Dahlia. Quelques pas, deux pots de fleurs et trois tableaux après avoir passé sa propre porte, la jeune femme arriva a sa destination.
Ignorant le reste de la pièce, elle fila en direction du petit bureau. Le joli meuble était en bois blanc, mais les bords ainsi que les manches des tiroirs avaient été peints d’un bleu ciel qui était assorti au reste de la chambre. La jeune femme dégagea les nombreux livres et papiers encore éparpillés de dessus, à la recherche de la fameuse invitation.
Lilas, Lavande, Iris.
Le petit vase posé à l'extrémité du bureau semblait l’appeler. D’un coup d'œil, elle vit un bout de papier dépasser coincé sous celui-ci. Avec un soupir agacé, elle souleva précautionneusement le vase pour le récupérer. Sans surprise, elle retrouva la lettre dont avait parlé Eloïse.
Monsieur et Madame Lyntel,
C’est avec grand plaisir que je convie votre famille à participer à la grande fête qui célébrera, en plus de mon anniversaire, mon entrée officielle dans la famille royale. Malgré la grande distance qui nous sépare, j’espère que vous aurez l’amabilité de permettre à au moins un membre de votre Maison d’être présent durant cette joyeuse occasion.
Evelyn Audriana Capella
Dahlia lut une deuxième fois la lettre, ses yeux s’arrêtant sur chaque mot, chaque courbe. Le contenu était simple, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de le décortiquer. Elle ne savait pas ce qu’elle cherchait, mais la jeune femme ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’elle avait quelque chose de précieux entre les mains. Bien sûr, une lettre de la famille royale était toujours précieuse, mais le sentiment venait d’autre part. Dahlia huma la lettre, réalisant avec stupeur qu’elle l’avait instinctivement amenée à son nez. Le parfum était difficile à distinguer derrière celui des fleurs du vase et les plusieurs jours de voyage, mais la jeune femme decela tout de même quelque chose. Une senteur agréable et légèrement familière, mais la piste s’effaça avant qu’elle ne puisse la poursuivre.
Lys…peut-être Aster et…
Elle fronça les sourcils, mais rien ne lui vint. Dahlia regarda encore une fois la signature. Elle avait du mal à croire que la princesse avait rédigé cette lettre elle-même. Cependant, c’était bien l’impression que cela donnait. Elle se serait attendu à ce qu’une machine à écrire soit utilisée. La plupart des documents officiels les utilisaient désormais, et elle n’osait pas imaginer le temps que cela aurait pris d’écrire toutes ces lettres personnellement une par une. Ou alors était-ce l’intention ? Une manière polie de faire pression. Si la princesse avait personnellement écrit les lettres, il serait mal vu d’ignorer ses efforts et de ne pas accepter.
Il n’y avait pas de date sur l'invitation. Ce n’était pas nécessaire. Tout le monde connaissait l’anniversaire de la princesse. Chaque année depuis sa naissance, elle pouvait entendre des petites prières murmurées à son égard.
Que son épée soit juste, sa vision limpide, et son règne éclairé.
Dahlia essayait de ne pas lever les yeux au ciel quand elle les entendait. Même s’il était vrai que prier ou vénérer un esprit pouvait offrir un certain degré de protection, elle ne pensait pas que cette logique s’appliquait aux être humains. Mais peut-être que le terme humain n’était pas tout à fait approprié. La famille royale avait ses propres règles, peu importe à quel point elles pouvaient être étranges vues de l'extérieur. C’était la raison pour laquelle cet anniversaire était si spécial comparé aux autres. Les enfants royaux, ou plutôt devrait-elle dire l'héritier royal, (puisqu’il était extrêmement rare que le roi ou la reine conçoive plus d’un enfant, à moins qu’il y ait un quelconque défaut qui empêcherait le premier de régner) n’était pas élevé par ses parents. Il n'était même pas élevé au Palais. Dès que cela ne posait plus de problème pour sa santé, il était envoyé au château de Noscène, situé à l’est du royaume sur une terre quasi déserte où ils étaient instruits par le Grand Précepteur, Nova Acalis. Il n'avait aucun contact avec sa famille, le Précepteur communiquant ses progrès au roi via des rapports mensuels.
Pour que le règne du souverain soit éclairé, il considéraient que développer des rapports affectifs durant l’enfance pouvait mener à un traitement préférentiel, et à un manque d’objectivité et de lucidité. Le Précepteur était exempt de cette règle : lui, Dahlia en était sûre, n’était pas humain. Elle ne savait pas vraiment ce qu’il était. Un esprit, sûrement. C’était la seule explication. Les esprits pouvaient vivre indéfiniment, tant que l’on croyait en eux.
Quoi qu’il en soit, le confinement de la princesse arrivait à sa fin, ce qui voulait dire que le Grand Précepteur Nova estimait qu’elle pouvait officiellement réintégrer la famille royale et exécuter ses devoirs au Palais. Elle allait également se présenter à la noblesse. Dahlia n’aurait pas aimé être à sa place. Passer la plupart de sa vie isolée pour enfin en sortir et rencontrer des centaines de personnes en même temps relèverait du cauchemar pour beaucoup de gens. Toutefois, si le Précepteur pensait qu’elle était prête, alors il n’y avait pas à s'inquiéter…
Du moins, pas pour la princesse.
Dahlia devait décider si elle participerait ou non.
Normalement, elle aurait accepté avec plaisir. La jeune femme ne ratait pas une occasion de s’habiller et de faire de nouvelles connaissances. Néanmoins, la situation était très différente cette fois-ci. Tout le monde avait ses petits secrets, mais Dahlia en avait un un peu plus gros que la moyenne. Se rendre à la capitale, et pire encore, entrer en contact avec la famille royale, mettait grandement en danger ce secret. Mais ils devaient absolument envoyer quelqu’un.
La jeune femme quitta la chambre de sa soeur avec une grimace.
C’était dans ce genre de moment que la présence de Balthazar aurait été la bienvenue. C’était lui, l'héritier de la Maison ! Et encore, elle n’était pas certaine qu’envoyer Balthazar aurait été la meilleure solution. La vérité, c’était qu’avec le comte alité, tous les autres membres de la Maison Lyntel avaient une bonne raison de ne pas vouloir se faire remarquer à la capitale.
Il ne restait plus qu’à choisir qui se jetterait dans la gueule du loup.

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