Chapitre 4
Décidant qu’elle garderait ses remontrances pour le dîner, Dahlia se mit en quête de son frère. Enfin, son autre frère. Celui avec lequel elle s’entendait bien.
Sirius résidait dans une chambre dans l’aile opposée à la sienne, celle-là même où se trouvait la chambre de Balthazar. Cette fois-ci, elle s’arrêta devant la porte et prit soin de frapper deux fois en attendant sa réponse. Au bout d’une dizaine de secondes, elle entendit un “Entrez” depuis la porte. Poussant celle-ci, elle chercha du regard son frère.
Elle le trouva assis à son bureau, la chaise tournée vers la porte, alors qu’elle distinguait derrière lui des monticules de livres et de parchemins, ainsi qu’une plume à écrire. Sa chambre était différente de la sienne ou celle de Violette. Elle n’avait pas une couleur, ni un style particulier, seulement des bibliothèques et des étagères remplies d'ouvrages, ainsi que des flacons similaires à ceux qu’elle gardait dans son atelier. Certains des murs comportaient de grandes feuilles sur lesquelles étaient notées des inscriptions, peut-être des calculs ou des symboles ? Tout cela dépassait bien Dahlia, et si elle ne connaissait pas aussi bien son frère, elle aurait été convaincue qu’il était fou ou possédé, ou peut-être les deux.
Mais Sirius était la personne la plus sensée que Dahlia connaisse, et quoi qu’elle puisse penser de ses gribouillis, elle avait besoin de son avis sur la situation.
- Est-ce que je peux t’aider ?
La voix de son frère, calme et posée, l’encouragea à entrer en fermant la porte derrière elle. Elle vit son regard impassible l'observer de haut en bas, cherchant la raison de sa visite. Il était habillé simplement, et Dahlia imaginait sue comme à son habitude, il avait passé la journée dans sa chambre à étudier ou expérimenter sur la magie. Les manches de sa chemise étaient retroussées, et ses cheveux noirs étaient maintenus en un chignon à l’aide d’un simple crayon, des mèches rebelles lui tombant sur le front et l’arrière du cou.Le grain de beauté en dessous de son oeil gauche qu’il partageait avec sa mère lui donnait un air délicat, alors même que sa stature était clairement masculine. Quand ses yeux bleu-violets se posèrent sur la lettre, il fit un bref signe de tête. Dahlia n’avait pas besoin de plus d’encouragements.
- Il est temps pour la princesse de rejoindre la haute société, hélas tout le monde est invité.
Sirius hocha la tête.
- Il est donc temps.
Il tendit la main pour recevoir la lettre, et Dahlia la lui tendit avec un soupir. Alors qu’il tourna sa chaise pour pouvoir lire plus confortablement, la jeune femme cherchait un endroit où s’asseoir. Voyant qu’il n’y avait pas d’autre chaise dans la pièce, elle s’assit sur le bord de son lit. Elle posa ses coudes sur ses genoux, et son menton dans ses paumes, et observa son frère finir de lire avec attention. Son expression ne trahit aucune de ses pensées alors qu’il releva la tête en direction de sa sœur.
- Est-ce que tu comptes y aller ?
Dahlia fit la grimace et haussa les épaules.
- Vu la situation, c’est toi ou moi. Et Eloïse n’as pas très envie que tu l’accompagnes.
Elle tenta de répondre de manière aussi flegmatique que son frère, mais elle ne put empêcher la point d’accusation de transparaître dans sa voix. Son frère l’ignora. Il secoua la tête, posant la lettre sur son bureau pour se lever.
Sirius était grand, mais maintenant qu’il était levé, il faisait une figure imposante. L’impression n’était pas due à sa corpulence. Sirius était bien plus un érudit qu’un guerrier. Dahlia ne l’avait jamais vu tenir une arme. Cependant, tout comme elle, la jeune femme savait que son frère avait ses propres tours. Il la fixait, hésitant un instant, et Dahlia savait qu’il s’apprêtait à dire quelque chose qui ne les ravirait ni l’un, ni l’autre.
- Je ne pense pas que l'état d’esprit d’Eloïse soit la priorité dans cette situation, Dahlia.
Dahlia se mit a fixer le sol, incapable de regarder Sirius dans les yeux. Que voulait-il qu’elle fasse ? Au moins, si elle arrivait à se convaincre qu’elle était calme, peut-être qu’elle pourrait trouver une solution acceptable.
Il reprit.
- Je ne m’attendais pas à ce que ça arrive si tôt, mais ce n’était qu’une question de temps.
- Comment ça?
Elle continuait de fixer une rayure sur le parquet.
- La situation est à la fois plus, et moins dangereuse que ce que tu penses, Dahlia. Est-ce que tu sais ce qu’il se passe lorsqu’un héritier revient du château de Noscène ?
Silence.
- Certes, nous accueillons le retour de notre prochain souverain, mais il y a une autre fonction à cette cérémonie. La raison pour laquelle toutes les familles nobles sont convoquées. Les invités vont être sujets au Serment Royal.
Dahlia sentit son sang se glacer. Elle leva enfin les yeux vers son frère. Son visage était sérieux, mais elle le vit adoucir son expression, comme pour la rassurer.
- Si tu ne veux pas y aller, j’irai, qu’importe ce qu’en pense Eloïse. Mais laisse-moi te dire ceci avant : Tu ne risques rien du Serment Royal. Cela ne veut pas dire que cette excursion serait sans danger, mais si je devais faire une estimation, je dirais que nous avons plus à y gagner si c’est toi qui te rends à la cérémonie. Vois-tu, bien que le Serment permette de contrôler en partie les actions d’une personne, il s’agit plus d’un moyen de dissuasion qu’autre chose. Le premier roi avait été capable de l’apposer sur tous ses sujets, mais au fil des générations, la puissance de leur magie a diminué, et la population à augmenté. Maintenant, le Serment est à la fois une marque d’honneur, puisqu’il est un symbole de loyauté envers le souverain, mais également un moyen de pression contre les familles. Il ne peuvent pas envoyer n’importe qui à cette cérémonie. Les invités sont censés représenter leur Maison, après tout, ce serait un manque de respect envers le roi que d’envoyer une personne sans réel statut au sein de la famille. Ceux qui ont prêté Serment sont contraints à exécuter un ordre du roi, quel qu’il soit. Comme tu le sais, s'ils refusent, ils ressentent une immense douleur, qui peut aller jusqu'à entraîner la mort. Cependant, beaucoup voient cela comme une opportunité. Le simple fait qu’ils soient vivants et bien portants prouve leur loyauté, sans compter qu’ils font office d'intermédiaire si le roi a une quelconque affaire à régler avec leur Maison.
Sirius fit une pause, laissant Dahlia réfléchir à ce qu’il venait de dire. Au bout d’un moment, la jeune femme souffla :
- Tu es sûr que le Serment n’aura pas d’effets sur moi si j’y vais ?
Sirius hocha la tête.
- Le sort est puissant, mais si deux sorts aux effets similaires sont lancés sur une même cible, alors c’est la magie la plus puissante qui l’emporte. C’est un peu comme essayer d’endormir avec une tisane quelqu’un qui est déjà inconscient. Ça me coûte de le dire, mais c’est pourquoi je pense que tu es la mieux placée pour y aller. Je n’ose pas imaginer ce qu’il se passerait si je prêtais Serment. D’un point de vue purement stratégique, je pense que nous serions le plus en danger si j’étais la personne à être subjugée, même pour un seul ordre. Je donnerai ma vie sans hésiter pour notre famille, mais si nous devions en arriver là, je ne pense pas que ma mort résoudrait quoi que ce soit.
Dahlia secoua la tête, sentant ses yeux piquer. Elle ne connaissait pas tout de la magie de Sirius. Personne ne savait de quel esprit ses dons lui venaient, pas même lui.
Si je devais définir ma magie, je dirais que les mots les plus appropriés seraient “observation” et “savoir”.
Dahlia savait à quelle point le savoir pouvait être la plus mortelle des armes. Et elle faisait confiance à Sirius.
- Non… Non je ne risquerais jamais ça. J-Je vais y aller.
Elle se leva pour sortir, mais Sirius l’arrêta.
- Dahlia, dit-il d’une voix douce.
Il lui prit délicatement le poignet, et l’attira contre lui. La jeune femme se laissa faire, sentant son frère lui caresser le haut de la tête comme pour l’apaiser. Elle l’observa de nouveau. Quand il laissait tomber son air indifférent, il était le portrait craché de leur mère. Le teint olive, les cheveux noirs, le petit sourire à la fois mystérieux et protecteur. Seuls les yeux violets lui étaient uniques. La jeune femme n’avait rien hérité de tout ça. La comtesse et elle n'étaient pas liées par le sang, même si la mère comme le fils faisaient tout pour que Dahlia l’oublie.
Dahlia n’aimait pas penser à sa vraie mère. Elle n’aimait pas penser qu’elle avait une vraie mère. Comme si l’amour que la comtesse lui avait donné était moins légitime que cette femme dont Dahlia n’avait aucun souvenir. Son autre mère, comme Dahlia aimait l’appeler, n’était pas une figure complètement floue pour elle cependant. Même si elle n’en avait aucun souvenir, la comtesse avait pris soin de lui parler d’elle.
Elle se souvenait d’une soirée d’hiver où, encore jeune, elle faisait des dessins dans le salon en attendant le dîner. Elle essayait de dessiner sa famille. Le comte et la comtesse, souriants, se tenant la main, à côté, Sirius la mine toujours sérieuse et Balthazar, le sourcils froncés sur lesquels elle avait un peu trop appuyé avec le crayon. Elle s’était représentée à côté de Sirius, un grand sourire sur le visage parce qu’à cet instant précis, elle était heureuse. Mais il manquait quelque chose l’image, un espace blanc sur le bord de la feuille demandait à être comblé. Elle s’était tourné vers sa mère, et lui avait demandé :
- Maman, elle était comment mon autre maman ?
La comtesse avait été surprise, mais avec une expression nostalgique et pleine d’affection, elle répondit :
- C’était une force de la nature, déterminée, intrépide…
Elle pinça la joue de Dahlia avec un sourire taquin avant d’ajouter :
- Et un peu vicieuse !
Dahlia poussa un petit cri avant de se masser la joue.
- Mais alors, c’était une bonne ou une mauvaise personne ?
Sa mère prit un gorgée de thé avant de dire sur un ton énigmatique
- C’était une bonne amie.
- Et mon père?
- Il aimait sa femme et sa fille de tout son coeur.
Dahlia hocha la tête, pas tout à fait sûre de comprendre, et continua son dessin.
Le souvenir était lointain, mais quand elle pensait à sa famille, c’était ce dessin qui lui revenait à l'esprit. Elle avait fini par abandonner l’idée de dessiner ses parents biologiques. Ils étaient aussi réels pour elle que des personnages de roman. Elle avait une vraie famille. Présente. Vivante. Et elle ne laisserait rien leur arriver.
Sirius la laissa partir. Essuyant ses yeux, elle le vit se diriger vers son bureau pour ouvrir un tiroir et en sortir un coffret contenant un assortiment de gemmes.
- Attends un instant.
Prenant deux petites pierres violettes, il ferma le tiroir puis se tourna vers elle, une pierre serrée dans chaque main, il ferma les yeux. Elle l’entendit murmurer une incantation, les mots inintelligibles, mais leur pouvoir crépitant dans l’air. Une petite lueur bleu s’échappa de ses paumes fermées, et quand il rouvrit les yeux, il lui tendit l’une d’entre elles. Dahlia prit la gemme, et malgré son apparence inchangée, la jeune femme pouvait sentir la magie concentrée à l’interieur à travers ses gants.
- Si jamais tu as besoin de moi, insuffle une partie de ta magie à l'intérieur. Elle se brisera et je me mettrai en chemin immédiatement.
Dahlia acquiesça, et mit la pierre dans l’une de ses poches.
- Dans ce cas, je ne vais pas te déranger plus longtemps, je suis sûre que tu as à faire. Je vais devoir me préparer vite, je dois prévenir Eloïse, et choisir une tenue ! Quel genre de parfum est à la mode à la capitale maintenant ? Rends-moi la lettre d’ailleurs il faut que je la garde en lieu sûr.
Heureuse d’avoir trouver quelque chose pour accaparer son attention, elle s’empara de la lettre et fila hors de la chambre de son frère.
Il y avait beaucoup à faire.

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