Chapitre 6

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Dahlia se réveilla alors qu’elles arrivèrent à la résidence secondaire des Deschanelle. Les serviteurs ne perdirent pas de temps pour les accueillir, et la jeune femme se laissa guider vers ses appartements en se frottant les yeux. La fin de soirée se fit dans le calme. Epuisées, les deux jeunes filles ne tardèrent pas à aller se coucher. Il fallait être en forme pour la cérémonie du lendemain.

Le réveil fut moins agréable cette fois-ci. Dès qu’elle avait posé la tête sur son oreiller, Dahlia avait été assaillie de doute et d'angoisse. Comme si une main invisible lui entourait la gorge, prête à l'étrangler au moment où elle baissait la garde. La nuit avait été longue, et la jeune femme savait qu’elle avait dormi simplement parce qu'à un moment, elle s’était réveillée en sursaut, sa chemise imbibée de sueur lui collant à la peau.

Le reste de la journée passa avec une lenteur inimaginable. Chaque heure, chaque minute semblait s’étirer à l’infini pour étendre sa souffrance. Toute l’excitation l’avait quittée. La terreur la gagnait petit à petit. Elle attendait la cérémonie avec impatience. Simplement pour que cela s’arrête. Elle se demandait si c’était ce que les condamnés à mort ressentaient en attendant leur sentence. Est-ce qu’ils se mettaient à haïr l’attente, plus que l'exécution ? Mais au moins, ils savaient ce qui les attendait. Dahlia ne savait pas, et c’était ce qui la terrifiait plus que tout.

Quand l’heure arriva d’enfin partir pour le Palais, elle était presque plus impatiente qu'Éloïse. Main dans la main, elles se présentèrent à l’entrée avec leurs invitations. Après inspection de leurs lettres et de leurs identités, elles se firent guider à travers les grands halls jusqu’à l’immense salle de bal.

Tout comme la capitale, l'intérieur du Palais était majoritairement blanc. Toutefois, la décoration était un peu colorée. Les murs du hall étaient couverts de tableaux de la famille royale, mais la salle de bal comportait un assortiment de statues de marbre : certaines représentaient des esprits qui n’avaient pas été aperçus depuis des siècles, d’autres étaient simplement des bustes de roi et reines d’autrefois. Des immenses fenêtres, dont les grands rideaux de velours avaient été tirés, donnaient sur la véranda, elle-même donnant pleine vue sur les jardins royaux. Dahlia pouvait voir des éclats de lumière multicolore danser sur les murs alors que des lustres aux cristaux arc-en-ciel reflétaient la lueur des bougies. Des tables comportant des mets raffinés occupaient l'arrière de la grande pièce, à l’opposé du trône encore vide. Celui-ci était surélevé sur une large estrade, un long tapis blanc aux motifs d’argent le reliant à l’espace des invités. La jeune femme pouvait entendre des musiciens jouer un air léger de début de soirée. Plusieurs couples avaient déjà commencé à danser.

Elle sentit une main serrer la sienne.

Éloïse, des étoiles plein les yeux, la supplia silencieusement.

Avec résignation, Dahlia sourit. C’était un sourire douloureux. Les commissures de ses lèvres la piquaient.

Avec un faux entrain, elle guida Éloïse vers la piste de danse. Les pas lui venaient facilement. Dahlia savait danser, adorait ça, même. Mais elle n’arrivait pas à savourer la musique, à apprécier l'aisance avec laquelle elle menait Éloïse, à se sentir belle dans sa robe. Cette angoisse continuait de la ronger, et à corrompre tous les petits plaisirs qu’elle aurait pu ressentir à cette occasion. Elle détestait ça, détestait le fait que son passé ruine son présent et son futur aussi. Comme un poison qui ne pouvait jamais être purgé. Elle se sentait malade. Avec un petit couinement, elle sentit son talon glisser contre le parquet. La jeune femme se rattrapa tout juste. Éloïse la regardait avec une expression inquiète. Dahlia essaya de lui sourire, mais elle n’arrivait pas à fixer son expression. Elle n’arrivait pas à respirer.

Repoussant gentiment Éloïse, elle tituba en dehors de la piste de danse.

  • Ne me suis pas… j’ai juste un peu le tourni… je vais aux toilettes.

Elle garda un œil fixé sur son amie jusqu'à ce que celle-ci acquiesce. Une fois satisfaite, Dahlia sortit de la salle de bal. Où étaient les toilettes ? Elle aurait juré les avoir vus sur le chemin. Mais les murs blancs et les tableaux se ressemblaient tous. Des suites et des suites de tête blondes semblaient la narguer alors qu’elle tentait comme elle pouvait de reprendre son souffle. Dahlia pressa le pas. Elle ne supportait pas d'être aussi vulnérable ici, maintenant.

Une senteur familière s'immisça dans ses narines, un mélange de lys, d’aster…

Elle n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps. Dans sa précipitation, elle n’avait fait que regarder ses pieds. Elle se prit le choc de plein fouet. Elle sentit une main essayer de la rattraper par le poignet, mais elle glissa, atterrissant sans grâce sur son derrière avec un cri à la fois de surprise et de douleur.

  • Est-ce que ça vous tuerait de regarder un peu où vous allez ? Je n’ai pas que ça à faire de-
  • Mes excuses, mais il me semble que c’est vous qui ne regardiez pas où vous alliez.

Dahlia leva les yeux pour mieux observer son interlocutrice.

La jeune femme qui se tenait devant elle était vêtu d’un somptueux uniforme blanc. Il ressemblait à celui du père d’Éloïse, mais en plus rafiné. Les épaulettes ainsi que les boutons et le col étaient en fils d’argent étincelants, le tissu de l’uniforme d’un blanc si immaculé que Dahlia en avait mal aux yeux. Elle était grande. Même si elle ne s’était pas encore relevée, Dahlia imaginait qu’elle faisait au moins une tête de plus qu’elle. La jeune femme avait de longs cheveux blond pâle qui étaient tirés en une queue de cheval parfaitement lisse. Pas une mèche ne dépassait. Ses traits étaient fins, mais fins comme une rapière, délicats et perçants à la fois. Elle ne fit aucun mouvement alors qu’elle l’observait de ses yeux d’un bleu-gris cristallin. Son visage ne trahissait aucune émotion. Son regard ne dégageait aucune chaleur.

Dahlia resta muette. Elle n’avait pas besoin de réfléchir plus pour deviner qui se trouvait devant elle. Et qui elle venait d’insulter. Même si Dahlia ne l'avait jamais vue, et que la femme en face d’elle ne portait pas de couronne, il était impossible de ne pas reconnaître la princesse Evelyn. Dahlia sentit sa panique reprendre de plus belle. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose, n’importe quoi, mais se fit soudainement interrompre.

  • Ne dites plus rien, vous avez l’air malade et vous êtes peut-être blessée. Vous feriez mieux de ne pas bouger.

La princesse se mit à genoux devant elle, et tendit le bras pour… comme pour la porter ? A cet instant, l’esprit de Dahlia sortit de sa stupeur. Non ! Non ! Non !

Elle tenta de se relever immédiatement, mais c’était comme si ses membres étaient pétrifiés. Sa panique s’accentua encore. Elle n’avait plus mal pourtant. Mais peu importe à quel point elle forçait, ses jambes ne lui répondaient plus. Elle essaya de refuser de vive voix, mais aucun son ne sortit. À la place, elle se mit à ressentir une brûlure intense à la gorge. Dahlia se mit à tirer sur son col, mais la princesse mit sa main sur la sienne pour l’en empêcher. Dahlia entendit quelqu’un rouspéter. Un serviteur ou un assistant qui accompagnait la princesse.

  • C’est en partie ma faute si cette demoiselle est tombée, il est donc de ma responsabilité de m’assurer qu’elle aille bien. Si vous ne me pensez pas capable de m’occuper d’une simple jeune fille, comment comptez-vous me confier le royaume un jour ?

La voix claire et ferme de la princesse ne laissa pas place à la discussion.

  • Allez prévenir mon père que j’aurai quelques minutes de retard.

Sans attendre leur réponse, elle souleva délicatement Dahlia. Avec un dernier regard plein d'autorité à son assistant, elle partit, le laissant dans le couloir.

La gorge de Dahlia continuait de bruler. Mais pas de l'intérieur, de l'extérieur, comme si un fil de fer incandescent lui entourait le cou. Elle essaya à nouveau d’ouvrir son col, mais la poigne de la princesse resta ferme.

  • Non.

Et ainsi, elle perdit le contrôle de sa main également.

Elles arrivèrent vers ce qui semblait être une infirmerie. La princesse la posa sur un lit, puis se mit à inspecter la pièce avec attention. Une fois rassurée sur le fait qu’elles étaient seules, Dahlia vit la princesse fermer la pièce à clé.

  • Parle, dit-elle simplement.

La douleur avait quelque peu diminué, mais elle était toujours présente. Dahlia savait qu’elle pouvait parler. Mais maintenant qu’elle avait la parole, elle ne savait plus quoi dire. Crier ou supplier ne serviraient à rien. Probablement. C’était comme si toute son angoisse était retombée. C’était fini. Et si tout était fini, il n’y avait plus de raison d’avoir peur. S’en était risible. Elle se retint de rire cependant, et se contenta de fixer la princesse. Même si c’était futile, elle ne serait pas la première à dévoiler son jeu.

Evelyn ne réagit pas, et observa Dahlia à son tour. La jeune femme sentit les yeux de la princesse la parcourir de haut en bas, comme pour l’étudier. Dahlia était habituée à ce qu’on l’observe, elle aimait être le centre d’attention, être admirée, convoitée, ou même crainte. Mais le regard de la princesse sur elle était comme une lame de rasoir. Froid. Utilitaire. Potentiellement dangereux.

  • Très bien, je vais commencer alors. Que fais-tu ici ?

Dahlia déglutit.

  • Je suis venue pour la cérémonie.

La princesse la dévisagea de nouveau sans rien dire. Le silence s’étirait encore et encore, si inconfortable que Dahlia se sentait presque prête à céder. Finalement la princesse reprit :

  • Tu sais que je pourrais t’ordonner de me répondre, et tu n’aurais pas d’autre choix que de le faire ? C’est une forme de respect que je t’accorde. Mais si tu refuses le dialogue, alors tu ne m’offres pas d’autre solution.

Dahlia était assise sur le bord du lit, les pieds pendants dans le vide. La princesse se tenait devant elle. Lentement, elle posa une main, puis l’autre de chaque côté de Dahlia, comme pour l’emprisonner. Leurs visages n’étaient qu'à quelques centimètres l’un de l’autre. Dahlia pouvait à nouveau sentir son parfum lui titiller les narines.

Lys. Aster.

  • Si je te demande d’ouvrir ton col, souffla la princesse, je me demande si tu pourras continuer ta charade.

Le regard de la princesse glissa vers l’un des mains de Dahlia, qui était restée inerte jusqu'à la. La jeune femme récupéra l’utilisation de sa main, l’amenant à son cou. Elle savait ce qu’elle y trouverait. Enfin, pas exactement. Elle avait eu une vague description, mais elle ne l’avait jamais vue.

Délicatement, elle défit le ruban qui maintenait son col. D’un geste, elle ouvrit la chemise pour dévoiler son cou.

  • Contente ?

La princesse ne dit rien, mais malgré son visage qui se voulait frigide, Dahlia cru déceler quelque chose d’autre.

  • Qu’est ce qu’un membre de la Maison Dimios fait ici ?

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