Chapitre 7
Elle n’avait pas besoin de rajouter vivant, Dahlia avait très bien compris.
- Quoi ? Ricana Dahlia. Déçue qu’on ne soit pas tous morts incendiés ? Vous pouvez finir le travail si vous voulez. Je suis sûre que si vous me le demandez gentiment, je pourrais me retenir de crier.
- Est-ce que tu penses qu’être sarcastique contribue d’une quelconque façon à ta situation, présentement ?
- Non, mais ça me fait plaisir de me dire que, jusqu’au dernier moment, j’aurais été insupportable !
Elle ponctua sa phrase d’un sourire effronté. C’était un bluff. Une provocation. Si Dahlia l'agaçait assez, peut-être que la princesse mettrait fin à ses jours rapidement, juste pour la faire taire. Un épouvantail était plus expressif, mais Evelyn avait forcément une faiblesse quelque part.
- Est-ce que d’autres personnes connaissent ton identité ? Demanda la princesse, ignorant complètement ce qu’elle venait de dire.
- Non.
Dahlia sentit sa gorge la brûler de nouveau.
- Oui.
La réponse lui avait été arrachée sans qu’elle puisse y faire quoi que ce soit. Bouillonnante, elle jeta un regard plein de venin à la princesse. Celle-ci continua de l’ignorer.
- Est-ce que tu fais confiance à ces personnes ?
- Oui.
Encore une fois, la réponse lui avait été arrâchée.
- Cela suffira pour l’instant. Écoute bien, je ne sais pas de quoi tu m’accuses exactement concernant ta famille, mais quoiqu'il se soit passé, j’étais à peine plus vieille que toi, et confinée dans le château de Noscène. J’aurais donc été bien incapable de faire du mal aux Dimios.
- Vous, le roi, peu importe ! Je ne suis pas une idiote, vous n’avez même pas besoin de vous salir les mains. Un petit ordre et tout est réglé, n’est-ce pas ?
La princesse resta silencieuse un instant, pensive. Puis, elle reprit comme si elle ne s’était jamais interrompue.
- Je vois. Ta théorie, puisque tu n’as aucune preuve de ce que tu avances, est que moi, ou mon père, ayons donné un ordre qui aurait intentionnellement mené à l'extinction de la famille Dimios. J’imagine que ce n’est pas complètement dénué de sens. Mais même si c’était le cas, as-tu vraiment une raison d’être si en colère ? Les ordres du roi sont la loi, ses paroles la vérité, et ses actions la justice. Depuis la fondation du royaume, les Dimios ont été la fidèle lame exécutrice de la royauté. Ne répondant à personne d’autre que leur maître. Ils étaient au-dessus de n’importe quelle législation. Pour ainsi dire, ils avaient absolument tous les droits, à part celui de désobéir au roi.
Elle s’arrêta, fixant le cou de Dahlia.
- …C’était un grand privilège, à la hauteur de leurs services. Ils ont exécuté de nombreuses personnes : des traîtres, des conspirateurs, des espions. Ceux-là étaient pour le roi. Mais on disait aussi qu’il fallait éviter de se les mettre à dos, qu’ils pouvaient vous trancher la gorge simplement parce qu’ils étaient de mauvaise humeur, qu’ils n’aimaient pas votre façon de rire ou la couleur des murs de votre maison. Mais toutes ces actions étaient considérées comme la justice du roi, peu importe d'où elles provenaient : il n’y avait donc rien à discuter, et rien à punir. Ils ont pointé cette lame maintes et maintes fois sur des gens que l’on pourrait considérer comme innocents, pourtant je ne t’entends pas t’insurger. Je ne peux donc supposer qu’une chose : que ce n’est pas la justice des Dimios qui te dérange, mais le fait que pour une fois ce soient eux qui en aient subit les conséquences.
Dahlia ne voulait plus rien entendre. Elle voulait que la princesse se taise. Elle n’était pas là pour débattre de la moralité des Dimios. Ce n’était pas ce qui était important. Dahlia n’avait pas beaucoup de souvenirs de son temps avec eux, les visages qui lui auraient été si familiers camouflés derrière une épaisse brume. Mais même si elle était incapable de se souvenir de son autre mère, elle se souvenait de bras l’entourant affectueusement, d’un léger parfum de camélia et de lycoris. Parfois, elle se réveillait les yeux humides, une mélodie inconnue, mais nostalgique en tête qui s’évaporait avant qu’elle ne puisse la noter quelque part. Elle se souvenait de la chaleur d’un foyer.
- Vous m’avez arraché ma famille ! C’est pour ça que je suis en colère ! Et je me moque de savoir s’ils ont tué des innocents ou non. C’est vous qui avez pris quelque chose à une enfant qui ne pouvait rien faire. C’est vous les coupables !
Dahlia était essoufflée. Elle sentait son cœur battre contre sa poitrine et son crâne la lancer. Croisant les bras, elle dévisagea la princesse, cherchant un quelconque signe que ce qu’elle avait dit avait eu un effet. Les traits d’Evelyn ne vacillèrent pas, mais Dahlia senti une hésitation. Elle ne savait pas d’où lui venait cette impression.
- Tu n’es pas en état d’avoir une conversation normale, et si je reste plus longtemps, je vais être en retard à la cérémonie. Fais-toi discrète et continue de prétendre que tu es blessée.
Elle prit des bandages dans une des étagères et s’abaissa, enlevant la chaussure de Dahlia. La jeune femme, prise de cours, se laissa faire sans rien dire. Elle avait l’impression de ne plus contrôler son corps alors qu’elle laissa la princesse appliquer les bandages sur sa cheville. Les gestes étaient experts, comme si elle l’avait fait des dizaines de fois. Délicats, comme si elle avait peur de la blesser. C’était ridicule. Dahlia n’était pas vraiment blessée.
Evelyn se releva, et elles s’observèrent un instant sans rien dire, une étrange tension dans l'air.
Dahlia était toujours aussi confuse. Elle avait toujours cru que si son identité était révélée, tout serait fini. La mort ou l'esclavage. Mais la princesse avait l’air de vouloir la laisser vivre, et même partir. Du moins pour l’instant. Dahlia refusait de croire que c’était simplement par bonté d’âme. La princesse devait avoir quelque chose à y gagner. Mais Dahlia avait du mal à imaginer ce qu’elle pouvait apporter à Evelyn dans sa position actuelle. Contrairement à ce qu’elle avait entendu de sa famille, Dahlia ne se considérait pas comme quelqu’un de particulièrement impressionnant. En tout cas, pas assez pour se faire remarquer jusqu'à Imperia.
La seule chose qu’elle pouvait offrir à la princesse était la loyauté imposée par le Pacte de Dimios. Mais si cette loyauté était si précieuse, alors les Dimios n’auraient pas été exterminés en premier lieu. Peu importe ce qu'Evelyn pouvait prétendre, Dahlia n’avait aucun doute sur le fait que la famille royale était impliquée. Il était ridicule de penser que la lignée des Dimios ait pu être éteinte par un bête incendie. Quelques malheureuses victimes certes, mais pas toute la Maison.
Peut-être que la princesse ignorait vraiment ce qui s’était passé. Peut-être qu’elle la laisserait tranquille.
S’accrochant à ce dernier espoir, elle remit en place son col, serrant le nœud de son ruban un peu plus fort qu'à l'accoutumée.
— Je dois juste me faire discrète alors ?
Elle espérait pouvoir partir sans se faire de nouveau forcer à quoi que ce soit par le Pacte.
- Oui, nous discuterons de la situation une autre fois. Demain. Rejoins-moi sur la Place de la Justice, vers midi.
Dahlia hocha la tête. Evelyn devait être surprise de sa soudaine obéissance car elle ajouta :
- Est-ce que je peux te faire confiance pour ne rien faire de stupide jusqu’à demain ?
Offensée, elle retint une réponse cinglante et se contenta de hausser les épaules.
- Je n’ai pas réellement le choix de toute façon.
Satisfaite, Evelyn déverrouilla la porte.
- Je te suivrai dans une minute. Ce serait mal vu d’arriver ensemble.
Dahlia ne se fit pas prier et sortit, fuyant le regard de la princesse, d’un pas un peu trop précipité pour être naturel.
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