Le début d'une idée

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Une fois la porte fermée, personne ne sait vraiment ce qui se passe dans une maison. Il en va de même pour l'être humain : on ne sait jamais réellement ce qu'il cache en lui. Personne n'aurait imaginé, par exemple, Jenny entrain de danser de la K-pop dans son salon. Réputée pour être une femme sage, sérieuse et sans une once d'originalité, la jeune trentenaire se trémousse pourtant frénétiquement un verre de vodka à la main. Les cheveux en pagaille, vêtue d'un simple tee-shirt suffisament long pour cacher sa culotte, elle se laisse aller au rythme de la musique. Bien évidemment, elle ne cherche pas à imiter les artistes. Ils sont bien trop entraînés pour pouvoir rivaliser. Non, la jeune femme cherche simplement à se décharger de toute la pression subit au quotidien. Les voix énergiques des groupes, plus ou moins connus, du pays du matin calme couvrent à la fois le bruit désagréable de la circulation parisienne mais aussi celui de la solitude.

La femme d'affaire a besoin de ces petits rituels pour décompresser. La folie du travail et de la ville lui font presque oublier la personne qu'elle est. Courant de droite à gauche pour organiser des voyages inoubliables à ses clients, elle a à peine le temps de déjeuner. Bien entendu, Jenny aime son travail. Sinon elle n'aurait aucune raison de continuer à se démener de la sorte. Même s'il faut un salaire pour vivre décemment, la jeune femme est convaincue qu'aimer son métier le rend moins pénible. Au début, elle se contentait de faire des traductions pour les voyageurs étrangers. Spécialisée dans les langues asiatiques, elle avait vu au fil du temps, le nombre de touristes augmentaient considérablement. Le plus souvent, elle s'occupait de Chinois venus découvrir la capitale française. Mais avec le temps, et l'explosion du phénomène musical coréen, le public s'est quelque peu diversifié. Après deux ans de service, son patron lui avait proposé une promotion : organiser des excursions dans le pays pour les plus riches clients. Du plein la vue au voyage qui sortait de l'ordinaire, Jenny avait révélé un véritable don pour cet exercice.

Ce qu'elle aimait le plus dans son travail, c'est la rencontre avec les gens. Elle pouvait cotoyer des personnalités différentes, parfois extravagantes, qu'elle n'aurait jamais eu l'opportunité de croiser sur sa route en temps normal. Son seul regret était de ne pas pouvoir profiter elle-même de ce luxe de partir découvrir de nouveaux horizons. Ayant tout juste le temps de rendre visite à sa mère, elle n'a jamais eu l'occasion de prendre plus de quatre jours en suivant pour se reposer. Trop court pour prendre l'avion jusqu'en Asie. Certains n'ont pas l'argent, d'autres ne trouvent pas le temps. C'est ainsi que naissent les regrets.

Epuisée par ces quarantes minutes de défoulement intensif, Jenny s'écroule sur son canapé renversant au passage quelques gouttes de son breuvage. Elle prend le torchon qui traîne sur la table basse et essuie les traces avec son pieds. Son verre aux lèvres, elle clique sur le bouton du bas de sa télécommande. La plateforme de vidéos lui propose tout un pannel de programme musicaux. Essouflée, elle choisie une émission dans lesquelles les artistes relèvent des défis et font des confidences. Il ne sagit pas là d'une de ses habitudes. Ordinairement, la trentenaire fuit les émissions de télévision, quelqu'elles soient. Elle n'aime pas ces programmes surjoués, manquant totalement d'originalité. Préférant largement les bons films et les séries policières, elle est pourtant tentée cette fois-ci. Peut-être est-ce le visage de l'artiste en tête d'affiche qui la pousse à cliquer sur le bouton "lecture".

- Avec nous aujourd'hui Park Dojoen, membre du groupe Eternels. Un parcours remarquable, avec des hauts et des bas.

- Plus de bas que de hauts, d'ailleurs.

L'homme d'une quarantaine d'année affiche un sourire publicitaire. Assis dans un fauteuil noir, il est face à un jeune artiste d'une corpulance bien moins impressionnante. Les épaules larges, un buste élancé et un visage rond, l'artiste inspire tout de suite confiance. Il semble chaleureux et sa voix est posée. Il n'est pas difficile de dire qu'il s'agit d'un homme d'expérience. Jenny se retrouve charmée bien malgré elle. Il n'est pourtant pas son type d'homme. Elle préfère les blonds aux yeux bleus. Ce n'est pas tant son physique qui lui plaît mais plutôt ce qui se dégage de lui. Elle ne saurait comment l'expliquer mais elle se sent apprivoisée par cet homme pourtant derrière l'écran.

- On dit souvent que vous êtes du genre à foncer tête baissée, sans vous soucier des conséquences et que c'est ce qui vous a valu pas mal d'ennuis...

- Ce n'est pas que je ne me soucie pas des conséquences mais j'aime à penser qu'il vaut mieux agir que d'être rongé par les regrets.

- Avez-vous des regrets ?

- Bien sûr. Comme tout le monde. Mais j'essaie d'en avoir le moins possible.

- Cela me fait penser à un aveu que m'a fait un fan un jour : " Je suis toujours entrain de me dire que si je n'arrive pas à venir te rencontrer aujourd'hui, je le ferais demain. Seulement, le lendemain, il y a toujours eu un imprévu. Et malheureusement, je n'ai jamais pu venir te voir."

- C'est bien ce que je dis : s'il était venu te voir la première fois, aujourd'hui il ne le regretterait pas. Donc si tu rêves de venir me voir, n'attends pas demain car je ne serais peut-être plus là.

- Ne dites pas ça, Hyung !

Les propos des deux artistes raisonnent dans l'esprit de Jenny. Ce sont des phrases que l'on a déjà forcément entendu quelque part. Parfois, elles sont formulées autrement. Mais leur sens reste le même. Pourtant, aujourd'hui, elles ont une signifcation différente pour la jeune trentenaire. Assise en tailleur sur son canapé, elle ne perd pas un mot de la conversation. Elle parvient même à croire qu'elle est assise à côté d'eux et qu'ils s'adressent directement à elle.

- Si tu veux venir me voir, n'attends pas demain. Car demain, je ne serais peut-être plus là.

Elle se souvient encore de ces mots. De la voix chaleureuse qui les a prononcé. Elle a même l'impression d'être encore cette même fille sortie tout juste de l'université. Elle ressent cette même fragilité. Ce présentiment que quelque chose est sur le point de se produire. Elle se revoit encore sur le trottoir menant à la maison de sa mère, le portable posé contre son oreille. L'air était humide mais le temps était plus doux. C'était une fin d'après-midi. Elle était partie à un entretien d'embauche qui s'était traduit par un échec cuisant. Aussitôt, Jenny désemparée avait appelé son père pour qui la réconforte. A ces mots, la jeune femme avait éclaté en sanglots. Cela faisait en effet longtemps qu'elle n'avait pas vu son père. Depuis le divorce de ses parents, l'homme qui l'avait élevé durant toutes ces années, était reparti dans son pays d'origine. Il n'était revenu que trois fois en sept ans. Malgré tout, ils continuaient à s'appeler tous les jours. Jenny savait qu'elle pouvait tout dire à son père. Ce n'était pas pareil avec sa mère. Elles n'étaient jamais sur la même longueur d'ondes. Kim lui avait proposé plusieurs fois de le rejoindre en Corée mais elle avait toujours repoussé aux lendemains. Il y avait toujours une raison pour refuser le voyage : les examens, le travail à temps partiel, le prix du billet d'avion, sa mère qui était malade... Finalement, elle n'y était jamais allée.

Elle aurait pu oublier cette phrase. Ou tout du moins, elle n'aurait pas dû y repenser. Des larmes coulant sur ses joues, Jenny avale le reste de son verre cul-sec. Si elle avait su qu'elle ne reverrait plus jamais son père, elle aurait sauté dans le premier avion cette fois-là. Elle n'aurait pas repoussé une fois de plus le voyage qu'elle voulait tant faire. Si elle ne s'était pas occupée des états d'âme de sa mère, face à une nouvelle rupture sentimentale, elle aurait pu dire au revoir à son père. Malheureusement, elle ne pourrait jamais revenir en arrière. Dire qu'elle n'avait même pas pu assister à ses funérailles... Pourquoi repenser à tout cela à présent ? Comme si elle n'était déjà pas assez mal après son énième dispute avec sa mère. Les effets de son heure de danse viennent de s'estomper. Elle est de nouveau de mauvaise humeur. Chassant des gouttes salées de son visage, Jenny se lève du canapé. Les artistes sont toujours entrain de discuter sans se soucier de l'état dans lequel ils l'ont mise. Poussant un profond soupir, elle ouvre le tiroir dans laquelle repose la dernière lettre que lui a envoyé son père. Un courrier qu'elle n'a jamais eu le courage d'ouvrir jusqu'à présent. Caressant l'enveloppe sur laquelle est indiquée le nom de son père : Kim-DoMoon. Elle reconnaît son écriture délicate et mal assurée. Une nouvelle fois, son coeur se brise devant ce simple bout de papier.

- On ne sait jamais ce qui va nous arriver. Ou le destin va nous mener. C'est pour cela qu'il faut toujours essayer, peu importe les risques.

La voix de Park Dojoen sort la jeune femme de sa torpeur. Les joues toujours mouillées, elle jette un oeil à l'écran. L'artiste joue encore de son plus beau sourire. Les jambes croisées, il est sûr de lui. Son cadet semble impressionné par sa philosophie de vie. Prenant le temps de se recoiffer, il propose un jeu à son acolyte : répondre aux questions des internautes en direct. Après tout, il n'a rien à cacher.

- Qu'est-ce qu'il peut être agaçant, celui-là alors, pense Jenny. Il ne peut pas me laisser tranquille ? Pourquoi il a fallut que je regarde cette émission d'abord ? Juste pour son beau visage... Idiote, va ! Comme si ça allait changer quelque chose, maintenant.

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