Hardi, cavalier! (partie 2/3)

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Elle ne parlait plus, luttant déjà contre les larmes qui lui montaient aux yeux. Tout se bousculait dans la tête de Samantha. Elle ne savait pas par où commencer, elle paniquait. L’histoire n’était déjà que peu crédible sur papier pour les services d’urgences qui en voyaient déjà de toutes les couleurs. Elle se renfonça dans le siège et commença à sangloter. Elle aurait grandement apprécié avoir un minimum de talent d’actrice, pour le coup… et d’avantage de talent avec du maquillage, tant qu’à faire! Elle remonta les mains vers son visage pour s’y cacher, incapable de retenir plus longtemps le flot de larmes qui lui nouait la gorge, surprenant Patrick du même coup. Il lui était arrivé quelques fois de tomber sur une Samantha qui pleurnichait doucement, ou qui avait les yeux rougit… Le son qui sortait maintenant de sa gorge était douloureux, pour elle comme pour lui. Elle aurait eu envie de hurler sa douleur, elle aurai voulu ne jamais arriver là, que Patrick perde le contrôle du véhicule en chemin pour aller s’écraser dans le mur de béton de la route, ça aurait réglé tellement de choses d’un seul coup! Mais Patrick ne méritait pas de mourir à cause d’elle...Ils s’étaient installé face à face à table, elle dos aux autres clients. Par chance pour elle, le dossier de la banquette était quand même assez haut, alors personne ne la verrait. Patrick avait commandé quelques à-côtés pour eux deux avec l’intention de lui en laisser une bonne partie. Il savait qu’elle pouvait tenir un moment sans manger en temps normal, mais quand avait-elle vraiment mangé la dernière fois? Il n’avait pas osé lui demander. Il connaissait un peu ses goûts en matière de nourriture ainsi que son appétit normal; qu’elle n’aie prit qu’une soupe l’avait quelque peu alarmé. Il ferait en sorte de mettre plusieurs trucs à sa portée, il fallait qu’elle mange!

  • Saminou… S’il te plaît, regarde-moi…

Elle était au bout du rouleau, elle le savait. Il l’avait remarqué aussi. Elle n’était même pas certaine d’arriver à raconter quoi que ce soit sans exploser en larmes. Il se promit de lui laisser le temps, et surtout de l’écouter jusqu’au bout. Elle qui avait déjà du mal à parler sans craquer en temps normal… Lui pour qui tout devait toujours aller vite… Ses yeux à elle se refermèrent, puis ses doigts vinrent se placer juste devant. Disparaître. C’est tout ce qu’elle voulait. Être oubliée… Ses yeux à lui s’ouvrirent davantage, puis un sourcil se releva. Comprendre. C’est tout ce qu’il voulait. L’aider…Le repas fut servi. Samantha n’avait aucun appétit mais fit un effort pour avaler quelque chose. Entre autre pour se donner une chance de se concentrer sur autre chose.

  • Je ne suis plus en sécurité dans mon appartement, Pat.
  • … Parce que c’est arrivé chez toi?!
  • Oui…
  • Mais il n’y a pas de sécurité dans ton immeuble? N’importe qui entre comme il veut ou quoi?
  • Si… Il y a… Faut sonner puis attendre que le locataire ouvre…La menace vient de l’intérieur, en fait…
  • Merde… Samy…
  • Ça a commencé avec mes vacances, en même temps, il y a deux semaines… Et ça a recommencé deux fois depuis… J’ai profité de mon temps de vacances pour cherche un autre appart’ de façon intensive, mais pas de bol, j’ai pas trouvé. Maintenant que le rythme de fou du bureau reprend, je sais pas comment je vais faire.
  • Non mais attends, as-tu tenté d’être hébergée temporairement chez une amie, ou même chez ta famille?
  • Non. J’aime pas l’idée de m’intégrer dans la vie d’une amie quand elle a déjà ses enfants à gérer. En plus, bouger sur la rive-sud de la ville me coûterait deux fois plus cher en transport, donc je vais tenter d’éviter le plus longtemps possible.
  • Et tes parents?
  • Tu sais bien que ça va pas vraiment entre eux et moi. J’arriverais pas à y vivre, je serait encore plus épuisée au final. Trop de bruit qui sont trop fort, l’absence de respect par rapport à ça, nos caractères qui vont pas vraiment ensemble… Bref, non. J’aime autant chercher un autre endroit pour vivre.
  • Et si tu venais qu’à ne pas avoir le choix?
  • Au besoin, je pense à entreposer mes affaires et me tourner vers un organisme pour femmes battues. Avec la tête que j’ai, je suis peut-être même déjà qualifiée, en fait...
  • Il y a que toi pour tenter de faire de l’humour avec ta situation. Te connaissant, ça me rassure un peu. Par contre, je t’avoue très franchement que j’aime pas du tout l’idée que tu restes seule dans ton logement. T’as pas trois ou quatre personnes qui pourraient se relayer pour passer des nuits chez toi?
  • Pas vraiment, non… En fait, j’ai pas vraiment d’amis. Pas assez proches pour un truc comme ça. Et d’avoir quelqu’un d’autre chez moi offre une victime supplémentaire; je forcerais jamais un ami dans cette histoire en sachant le risque. Ça serait de la folie pure et simple. J’ai des idées folles parfois mais pas à ce point!
  • Assez parlé Samy, mange un peu. T’as besoin de forces. On va trouver une solution…

Ils n’en parlèrent plus du reste du repas. Patrick s’acharna plutôt à tenter de la divertir un peu, la faire sourire. Il réussit à la faire rire. Elle finit même par picorer dans les à-côtés commandés en extra. Sur le chemin du retour, Patrick fit un effort pour ne pas rouler aussi vite qu’à l’aller, pour ne pas brusquer Samantha. Elle avait déjà bien assez de douleurs comme ça, il n’allait certainement pas en ajouter. L’aider à monter et descendre du Jeep avait été une épreuve pour eux deux, lui ne sachant pas exactement l’ampleur ni l’endroit exact des bleus sur son corps. Il lui avait tendu les mains, la laissant s’accrocher à lui pour s’aider elle-même plus qu’autre chose. Il aurait eût envie de la serrer contre elle pour la réconforter… Il devait faire quelque chose pour l’aider, la laisser dans son bourbier ne faisait aucun sens. Qui allait lui louer un appartement alors qu’elle avait la moitié de la face bleue? Probablement personne. Et s’il allait aux visites avec elle, et signait pour la couvrir? Il se ravisa, se disant que la majorité des gens ne chercheraient pas loin pour des conclusions. Tous ou presque se mettraient à croire que ça serait son « œuvre » alors qu’au fond il était si doux… Il avait besoin d’une autre solution, mais quoi? Son esprit vengeur ne voulait que trouver le coupable et lui faire son compte, l’empêchant de penser à autre chose pour le moment…Il s’aperçu que Samantha s’était assoupie en chemin. Il avait encore quelques minutes à rouler avant d’arriver au bureau, et se questionnait maintenant à savoir s’il la laisserait se reposer ou non… On était en mai, la journée était belle et fraîche, il pourrait trouver un endroit partiellement ombragé pour stationner pour qu’elle n’aie pas trop chaud… avec sa fenêtre à lui entrouverte, ça devrait suffire… Il se ravisa; les collègues viendrait la trouver s’ils remarquaient qu’il rentrait seul. Il pourrait aussi tenter de leur dire qu’elle était allée marcher un peu… mais le groupe de marche du bureau démentirait l’avoir croisée…Patrick stationna le Jeep à son endroit habituel, juste un peu plus sur la gauche que la normale pour leur donner de l’espace quand Samantha en descendrait. Il descendit et contourna le véhicule, puis ouvrit la porte avant d’entreprendre de la réveiller. Il passa doucement un bout de doigt sur sa joue, puis plaça sa main sur son épaule, mais n’eût pas le temps de chuchoter son nom qu’elle s’agita violemment sur le siège, visiblement paniquée. Il eu le réflexe de couvrir sa bouche avant qu’elle ne crie, la voix plus dure qu’il ne l’avait voulu.

  • Samy! Calme-toi! C’est juste moi…

Elle le voyait, elle l’entendait, mais son cerveau n’avait pas encore émergé du sommeil. Elle avait même failli le frapper! Il la prit contre elle, la serra et lui caressa doucement le dos. Elle referma ses bras autour de lui en sanglotant. La dernière chose qu’elle aurait voulu était bien de faire du mal à Patrick… Samantha se calma au bout de presque cinq minutes, tenta de se détacher de lui.

  • Tu ne m’as pas tout dit, Sam. Ça se passe la nuit, c’est ça?

Elle hocha la tête, incapable de répondre verbalement, puis garda les yeux rivés vers le sol.

  • C’ est bon, on ne va pas recommencer la discussion, t’as déjà assez pleuré pour aujourd’hui. Au moins je comprends mieux ton stress… Viens, on rentre avant qu’ils ne viennent nous chercher…

Il l’aida à descendre, puis prit sa tête entre ses mains pour la forcer à le regarder. Elle se sentit comme s’il la scannait à travers ses yeux. Comme s’il tentait d’apprendre le reste de l’histoire comme ça, par lui-même… Il glissa doucement ses pouces sur ses joues à elle pour effacer les larmes qui avaient commencé à sécher, ne s’occupant pas de celle qui s’échappa du coin de son œil droit.

  • On va trouver une solution, Sam… Rentre…
  • Patrick…
  • Rentre, je vais suivre dans cinq minutes…

Le ton avait été sec, ne laissant aucune chance à Samantha de répondre. Patrick s’était détourné. S’était éloigné. La larme fit place à une rage grandissante alors qu’il faisait les cent pas dans la cour arrière de la société. Samantha l’avait regardé marcher un moment. Elle avait même tenté de le rappeler vers elle. Pas de chance. Elle ferma la portière toujours ouverte puis marcha – ou plutôt boita – jusqu’à son bureau. Elle était attendue par trois post-it sur son clavier, ainsi que le voyant de la messagerie du téléphone. Elle tenta de chasser la larme de Patrick de sa mémoire à court terme pour se concentrer sur la longue liste de courriels qui s’était ajoutée à ce qui restait pour faire le tri...Samantha eu tellement à faire tout l’après-midi qu’elle ne se rendit pas compte du temps que Patrick avait passé seul à l’extérieur. Il était resté au fond de la cour pendant près d’une heure, marchant de long en large, puis rentra chercher son ordinateur portable pour le dernier meeting de la journée, ayant même le temps de transférer six mails avant que ça ne commence. Il avait trouvé une solution, certain que c’était la meilleure, et c’est avec le sourire qu’il accueillit Jean-Claude dans la salle de conférence.

  • Comment ça s’est passé?
  • De? Le lunch?
  • Bah, oui, quoi d’autre?
  • Écoute, tu sauras rien de moi. Elle va se remettre, je m’en charge personnellement. Dans une dizaine de jours elle pète le feu.
  • T’es certain de ça?
  • Je t’ai déjà déçu en avançant quelque chose?
  • Non, en effet… Si je peux faire quoi que ce soit…
  • T’en fais pas, je m’en charge.

Patrick avait lancé un regard appuyé à Jean-Claude, le genre de paire d’yeux qui signifiait « mais ferme ta gueule puisque j’te dis que tout baigne » dans le non verbal de Patrick, avec un discret sourire en coin.
L’après-midi était presque terminé. Patrick fit un autre détour par le bureau de Samantha, qui ne l’avait pas entendu arriver. Elle avait le téléphone collé à une oreille et un écouteur bouton vissé dans l’autre. Travailler sans musique lui était impensable, elle avait constamment un vidéo YouTube actif ou une radio en direct sur un onglet. L’écouteur lui permettait en boni de s’isoler et de mieux se concentrer sur son interlocuteur au bout du fil. Patrick laissa son ordinateur portable sur le coin de son bureau et alla ramasser quelques trucs sur le sien, en profitant pour prendre encore un peu de nouvelles des collègues de l’extérieur de la ville en chemin. Elle eut le temps de prendre un autre appel très court avant qu’il ne revienne.

  • Samy…

Il avait prit soin de se faire entendre, de peur qu’elle ne panique encore une fois, Il s’arrêta derrière sa chaise puis s’accroupit pour lui parler tout bas.

  • Sam, on part ensemble ce soir. Je dois faire un détour rapide quelque part mais je reviens te chercher. Je te ramène chez toi pour pas te fatiguer plus que tu ne l’es déjà.
  • Pat, attends, t’as pas besoin…
  • Chut!

Il avait mit un doigt sur les lèvres de Samantha, planté ses yeux dans les siens, puis l’avait libéré tout doucement alors qu’elle semblait chercher quelque chose dans son regard

  • … Pat…
  • Fais pas ta tête de mule. Tu m’attends. J’ai le temps de revenir avant que tu finisses de toute façon.

Il s’était rapidement avancé vers elle en se relevant pour déposer un baiser furtif sur sa joue droite, puis avait vite prit son ordinateur pour se sauver vers la porte. Derrière lui, Samantha avait du mal à croire ce qui venait de se passer. Certes, elle savait que Patrick tenait à elle – ils avaient tous deux une certaine affection pour l’autre à force de travailler ensemble – mais jamais il n’avait fait un tel geste avant aujourd’hui. Elle eut du mal à détacher son regard de la porte du stationnement, interloquée. Elle fut ramenée à la réalité par sa camarade Renata qui vint la voir avec une question…Patrick revint au bout d’une demi-heure, avant qu’elle ne finisse sa journée, tel qu’il l’avait dit. Il prit une chaise pas très loin puis sorti son smartphone pour s’occuper en l’attendant. Le bureau s’était vidé peu à peu, les autres étant repartis à l’hôtel peu de temps après Patrick. Jean-Claude passa par là en même temps, comme par hasard… ou pas.

  • T’es pas sorti avec les autres ce soir? Ça te ressemble pas, normalement tu les suis.
  • Je sais, mais je vais les rejoindre plus tard de toute façon. J’ai encore un truc à faire dans le secteur.

Jean-Claude fit sa tournée du département de Samantha, en s’arrêtant à son bureau en dernier. Il en profita pour s’assoir sur le coin du meuble afin de répéter qu’il pouvait être là si jamais elle en avait besoin, entrainant une réaction directe de Patrick qui se leva pour s’approcher et s’en mêler. Il n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit que Jean-Claude se leva du bureau, vocalisa un dernier bonsoir pour tous puis sorti. Patrick prit la place sur le coin du bureau.

  • Tu devrais arrêter aussi pour aujourd’hui, le bureau est pratiquement vide maintenant.
  • Laisse-moi juste finir le truc que j’ai commencé et on y va après.
  • Saminou…
  • Promis, on part une fois que j’ai fini mon email. Tu sais que j’aime pas laisser un truc à moitié fini.

Elle était comme ça, impossible de partir en plein milieu d’une tâche. Même pas pour manger. Ça lui donnait l’impression de repartir à neuf à son retour. Elle n’avait pas d’autre façon d’expliquer ce trait de sa personne. Patrick commença à vouloir rassembler les affaires de Samantha pour s’assurer qu’elle n’allait pas tenter de l’éviter, mais elle n’avait pas trop envie que les filles voient ses difficultés à descendre quatre pauvres marches d’un escalier à moitié cassé, ni l’effort demandé pour grimper dans le véhicule. Elle étira un peu, se relut quelques fois, puis ferma sa session une fois qu’elles furent toutes dehors. Ils sortirent au bout de presque dix minutes, puis Samantha remarqua qu’il s’était garé juste à côté de la porte.

  • As-tu vraiment été chez toi juste pour prendre la décapotable?
  • En partie seulement, j’ai aussi ramassé quelques trucs pour ce soir. Attends, je t’aide…

Il se plaça près d’elle en cas de besoin, le temps qu’elle puisse s’assoir, l’aida pour tirer la ceinture puis referma doucement la portière avant d’aller s’installer derrière le volant. Samantha était exténuée et s’enfonça dans le siège.

  • Et ce détour, c’est loin?
  • C’était juste l’attention de Jean-Claude que je voulais détourner.
  • Oh... Alors tu me déposes et tu repars, si je comprends bien... Ouais, ça me va…
  • Si vraiment tu veux faire un détour, ça s’arrange, on peut toujours aller voir les collègues à l’hôtel pour voir ce qu’ils font.
  • Oui, pourquoi pas. Ça me donnera une chance de vraiment discuter avec eux vu que j’ai couru toute la journée comme une dinde

Elle n’avait aucune envie de rentrer maintenant. Certes, elle pourrait en profiter et récupérer un peu avant la nuit, mais le simple fait de se trouver dans l’appartement la stressait. Elle ne savait pas combien de temps elle pourrait tenir encore à ce rythme, elle avait besoin de trouver une solution très rapidement. Elle ne savait même pas s’il elle arriverait à manger ce soir, elle ne voulait que dormir. Se coucher pour ne plus jamais se lever… Elle avait fermé les yeux bien malgré elle.

  • Bon, allez, on va les voir. L’hôtel est tout prêt. Laisse-moi tenter d’en rejoindre un avant qu’on parte pour savoir s’ils ont dans l’idée de bouger…

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