"Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule pour réchauffer mes doigts ? C'est ce qu'elle fit. Quelle flamme merveilleuse c'était ! ..."

Hans Christian Andersen

(La petite fille aux allumettes)

Sous la Lune rousse et ronde, le jour commençait à poindre son museau. Il était temps de ramener la lumière dans les ténèbres, songea la jeune fille. Ses larmes avaient séché, la peur s'était dissipée. À présent, elle ne craignait ni l'orage ni les tourments. Seule la colère l'animait ; une rage sourde et irrépressible qui bouillait au fond de ses tripes. Elle se sentait salie, poisseuse et l'odeur d'un poison indicible lui collait à la peau. Elle avait la gorge sèche et comme un goût de rouille et d’os dans la bouche.

Elle s'approcha de la voiture et reprit la chemise de nuit qu’elle avait dû abandonner, en toute hâte, sur le siège passager. Elle l’enfila puis se saisit de la bouteille de tord-boyaux à peine entamée qui trainait sur le plancher du véhicule. Elle déchira un pan de sa liquette, l'imbiba d'alcool et l'enfonça dans le goulot de la bouteille. Puis elle emprunta une boîte d'allumettes abandonnée dans le vide poche, enflamma le morceau d'étoffe et jeta le cocktail dans la caisse qui s'embrasa comme un feu de Saint-Jean. Une épaisse colonne de fumée noire se forma après quelques minutes, tourbillonnant dans la veine couchante. La jeune fille recula lentement, apaisée par la chaleur des flammes. Elle sentait les caresses brûlantes sur son visage.

Il était temps de ramener la lumière dans les ténèbres, se répéta-t-elle, tandis qu’une silhouette tapie dans l’ombre observait de loin le feu de joie.