Visite impromptue au Motel des Enfants-Perdus

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Quelqu’un est mort cette nuit ! annonça Marie-Delphine d’un ton solennel... Le village se réveille.

Les quatre adolescents attablés dans la salle du réfectoire de l’orphelinat relevèrent alors lentement la tête et ouvrirent les yeux, suspendus aux lèvres de l'éducatrice. Et après quelques secondes de silence qui entretenaient le suspense, celle-ci finit par rendre le verdict :

  • C’est Mélanie !
  • Putain, j’en étais sûre. Bande de connards ! jura cette dernière.
  • Montre-nous ta carte à présent que tu es morte ! la convia Marie-D.

Mélanie, folle de rage, la brandit puis la jeta devant ses trois camarades hilares.

  • Cupidon de merde ! C’est cet enculé de Brice qui m’a tuée, j’en suis sûre. C’est lui le loup-garou ! s’insurgea-t-elle en lui flanquant un coup de poing dans l’épaule.
  • C’est pas moi, frère ! se défendit le garçon dans un mouvement de recul. C’est Malika. Je l’ai entendue bouger pendant qu’on dormait.
  • Ta gueule, toi ! pesta l’intéressée.
  • Inutile de s’énerver, les filles ! intervint la maîtresse du jeu. Vous allez à présent délibérer...
  • Regarde ce que j’en fais d’ton loup-garou d'merde ! prévint Mélanie avant que les autres ne puissent prendre la parole.

La mauvaise perdante, d’un revers du bras, fit voler les autres cartes par terre puis se leva et quitta l’assemblée, furibarde, tandis que Francesca, une des collègues de Marie-Delphine, arrivait au pas de course dans le réfectoire.

  • Pardon de te déranger, dit-elle essoufflée, Mais il y a là un monsieur qui te demande. Il prétend être de la police.

***

  • Vous désiriez me voir ? fit la cheffe de service en remettant de l'ordre dans ses cheveux, tirant sur sa jupe plissée et réajustant sa croix en médaillon par-dessus son col Claudine.
  • Commandant Bellocq du SRPJ ! J’enquête sur la disparition de votre pensionnaire.
  • Je vous reconnais, rebondit-elle, vous êtes le policier qui a tué le père Jean-Jean, l’assassin de Freddy Van Buick, n’est-ce pas ?

S'il est vrai que le flic n’avait tiré que deux coups de brelique en quinze ans de carrière, les gens d’ici, cependant, semblaient avoir la fâcheuse tendance à ne le réduire qu’à ça.

  • Et pourquoi le SRPJ s’intéresse à cette disparition ? enchaina-t-elle, curieuse. Ce n’est pas la brigade des mineurs qui s’occupe d’ordinaire de ce genre d’affaire ?
  • Pourriez-vous me montrer la chambre de la p’tite, please ? coupa court Bellocq à l’indiscrétion de la greluche.
  • Mais certainement ! acquiesça-t-elle, invitant le commandant à la suivre.

Celui-ci en profita, tout en lui collant les baskets, pour admirer à nouveau le hall d’entrée de la Pension des Sœurs-Soupirs qui, il faut bien l’avouer, ne transpirait pas l’austérité monacale qu’on imaginait vu de l’extérieur : des vitraux cerclés de ruban de cuivre projetaient une lumière aux couleurs chamarrée sur le carrelage en grès cérame et le mur principal de briques rouges en terre cuite avec poutres apparentes était orné d’une immense croûte peinte à l’huile, représentant le fils de l’Autre, les bras en croix et coiffé de sa couronne d’épines sur le Mont Golgotha.

Mais passé les portes battantes, le clinquant cédait sa place au dépouillement et à la sobriété. La succession de longs couloirs dans laquelle Marie-Delphine entraina le Gitan évoquait plus volontiers l’atmosphère d’un vieux collège de province. Ils croisèrent au passage quelques gamins turbulents qu'elle rappela à l’ordre, de sa voix de crécelle, puis arrivèrent enfin en bas d’un large escalier à quart tournant.

  • C’est par ici, pointa-t-elle l’index vers le haut.
  • Allons-y, Alonzo ! clama Bellocq en s’agrippant au garde-corps pour entamer l’ascension

Ils passèrent le premier étage sans s’arrêter.

  • La chambre se trouve au deuxième, n’est-ce pas ? se remémora-t-il les textos captés frauduleusement dans le téléphone de feu Freddy.
  • C’est exact, répondit-elle, troublée par l’acuité du flic.

Arrivés au quatrième palier, le duo tourna à gauche et stoppa devant une porte en bois où l’on pouvait admirer une prose peu inspirée, gravée au couteau par quelques pensionnaires peu avenants : « creve, sal roukine de merde ! »

  • C’est marqué d’ssus, comme le Port-Salut ! songea Bellocq.
  • Les enfants peuvent se montrer cruels parfois. Berry est une enfant secrète et solitaire.
  • A-t-elle de la famille ?
  • Père inconnu, mère morte en couche. Elle a débarqué de Haute-Savoie, il y a 13 ans, et a été élevée par une grand-tante du côté de Revin. Hélas, la pauvre dame est décédée du COVID, il y a six mois. C’est ainsi que Berry a atterri chez nous.

Décidemment, la pauvre petiote n’avait rien à envier à Cosette et consort, quand bien même les chiots sans collier dormaient sûrement mieux ici que chez les Thénardier. Malgré le papier peint défraîchi à motifs floraux qui piquait les yeux et le balatum imitation parquet aussi perforé qu’une tranche d’emmenthal, l’épais matelas sur le lit n’était pas du genre à être rembourré avec des noyaux de pêches et la couette semblait douillette et accueillante. Il n’y avait ni photo, ni poster aux murs, ni aucun objet personnel que ce soit dans la chambre, à part un verre d’eau et un comprimé blanc qui traînaient sur la table de chevet.

  • Berry a été diagnostiquée bipolaire, anticipa la cheffe de service. C’est un cachet de Téralithe ; du carbonate de lithium, pour réguler ses humeurs. Je lui ai donné le soir de la disparition ; comme tous les soirs. Il semblerait qu’elle ne l’ait pas pris.
  • Il semblerait qu’elle ne les prenne plus depuis un bail, précisa Bellocq en ouvrant le tiroir du meuble où s’entassaient en vrac ces mêmes cachets,

Le moustachu ouvrit ensuite la garde-robe où une pile de fripes était soigneusement pliée sur une étagère. Berry avait vraisemblablement filé à l’anglaise sans rien emporter.

  • Sauriez-vous me dire qui était de garde dans la nuit du 3 au 4 août ?

Marie-Delphine s’étonna de la requête puis se pinça les lèvres et fronça les sourcils, recherchant dans sa cabèche, la réponse à la question posée.

  • C’est Gervais, son éducateur référent, lâcha-t-elle enfin après quelques secondes de réflexion. Pourquoi ?
  • Et où pourrais-je le trouver ?
  • Il devait travailler ce matin mais il nous a encore fait faux bond, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel.
  • “Encore”, dites-vous ?
  • Disons que Gervais, par ses absences répétées, cultive une certaine appétence à creuser le trou de la Sécu. Si vous voyez ce que je veux dire !

Bellocq sortit un de ses bristols imprimés qui traînait dans la poche-revolver de son veston et le céda à la cheffe de service :

  • Soyez gentille : envoyez-moi les coordonnées du “fossoyeur” au plus vite ! J'aurai besoin aussi de connaitre le groupe sanguin de Berry.
  • Vous allez la retrouver, n’est-ce pas ? lui quémanda-t-elle, telle une supplique.

Bellocq n’avait pas le cœur à lui faire de fausses promesses. Il se contenta de la réconforter par un léger sourire.

  • Si je peux faire quoi que ce soit d’autre ! se proposa l’éducatrice pleine de bonne volonté.
  • Vous pouvez toujours prier, ça n’mange pas d’pain !

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