La vengeance est une carbonnade qui se mange saignante

8 minutes de lecture

“Le clan, le clan la cagoule

Relax baby be cool

Autour de nous le sang coule

Relax baby be cool

À la morgue, il y a foule

Relax baby be cool...”

Serge Gainsbourg

(Relax baby cool)


Pressant le pas vers les sanitaires, Dax jura par tous les saints que maman ne l’y reprendrait plus avec son maudit chili con carne. Il faut dire que sa Milanaise adorée avait toujours eu la main leste avec les piments rouges. Ainsi maugréait-il lorsque son attention fut attirée par un pick-up roulant au pas et feux éteints, qui était en train de se garer non loin de l’emplacement dix-sept. Il put distinguer quatre silhouettes spectrales découpées à contre-nuit sortir du véhicule et prenant garde de ne pas claquer les portières. Un voyant rouge se mit alors à clignoter dans le carafon du gendarme. D’instinct, il se planqua derrière un arbre et observa l’étrange ballet des nouveaux arrivants qui lui tournaient le dos. À en juger par leurs dégaines, cagoulés et équipés de fusils et de rigolos, ils n’étaient vraisemblablement pas des habitués du camping. Dax n’avait pas souvenir en outre qu’un arrêté préfectoral autorisait la pêche de nuit au gros calibre. Les individus interlopes, muets comme des ombres, communiquèrent par signes avant de se disperser en direction du camping-car. Dax abandonna alors son rouleau de papier molletonné triple épaisseur, contraint d’ajourner sa grosse commission, puis dégaina son SIG-Sauer. Il fit un pas de côté dans l’herbe pour éviter le gravier et leur colla les talons, espérant profiter de l’effet de surprise. Marchant sur des œufs, fébrile, il se rapprocha d’une dizaine de mètres lorsque contre toute attente, le barbouillé lâcha malencontreusement une caisse qui, à défaut de déchirer son calbute, déchira le silence. Le plus proche des quatre scélérats se retourna alors et, apercevant le gendarme, prit panique et épaula son arquebuse.

  • Jette ton arme ! Fais pas l’con ! hurla Dax en braquant son crachant.

L’autre ne tint pas compte de l’avertissement et appuya sur la détente.

***

Alerté par les coups de feu qui suivirent, le Gitan, abrité dans le camping-car, se jeta illico sur l’interrupteur de la cellule pour éteindre les loupiotes.

  • Planque-toi ! ordonna-t-il à Gervais.

Et tandis que ce dernier se recroquevillait à couvert sous la table du salon, le flic se précipita vers la cabine conductrice pour aller décrocher son Colt Python suspendu à son clou. Mais une puissante détonation lui barra la route, explosant le carreau de la portière avant passager. Une deuxième déflagration tout aussi assourdissante le surprit à revers, faisant sauter la porte latérale du motorhome et emportant des débris épars de ferrure et de polyester qui voltigèrent à travers la pièce. Pris dans l’étau, Bellocq se baissa avant qu’une giboulée de neuf millimètres, tirée à l’aveugle le long du véhicule, n'éclatât la vitre de la cuisine et ne perforât la cloison. Si les deux premières bastos furent miraculeusement stoppées par la fonte émaillée de la cocotte de cacasse posée sur le gaz, les deux suivantes le touchèrent de plein fouet à l’abdomen et à l’épaule. Il s’effondra ventre à terre, fauché comme un lapin en plein vol. au milieu d'un restant de patates, de lard fumé et de verre brisé.

Quelques balles perdues sifflèrent encore dans l’habitacle avant que deux acrobates cagoulés ne débarquent dans la pénombre, fusils épaulés, tandis qu’un troisième, pétoire semi-auto et lampe-torche en main, couvrait les angles morts. Ils extirpèrent Gervais de sa cachette et le tirèrent par le col pour l’emmener dehors tandis qu’un des monte-en-l’air s’approcha prudemment du commandant. Le tenant en respect au bout de son bâton creux encore fumant, il voulut s’assurer que le poulet aux pruneaux avait bien cassé son ressort.

  • Het was niet je geluksdag ! ricana le canardeur, pas peu fier de ce nouveau trophée qu’il venait d’ajouter à son tableau de chasse.
  • Magne-toi ! On se tire, l'interpella la voix de sa bourgeoise depuis le pick-up qui ronronnait au point mort, prêt à décamper.
  • Ik kom ! hurla le Flahute en relevant la tête.

Profitant de ce moment d’inattention, Bellocq rouvrit les yeux, agrippa le double-canon du bandit et le tira vers lui d’un coup sec. Déséquilibré, le Vlaams chuta genoux à terre et se fit planter dans la jugulaire, un grand morceau de verre tranchant que le flic avait discrètement et préalablement ramassé parmi les gravats. Koenraad qui ne l’avait pas vu venir, voulut hurler mais aucun son ne sortit de la boîte. Paniqué, il porta la paluche à son cou pour tenter de contenir le geyser d’hémoglobine qui giclait de sa carotide et, secoué de soubresauts, il finit par s’effondrer avant de passer l’arme à gauche après quelques secondes.

Écrasé sous le poids du macchabée, le flic tenta de s’en soustraire tant bien que mal en le basculant sur le côté. L’effort accompli réveilla la douleur des bastos.

  • Qu’est-ce que tu fous, idioot ? s'impatientait Janne qui, après avoir remisé sa guimbarde dans la caisse, revint sur ses pas en direction du camping-car.

Elle entra par la porte latérale fusillée et balaya la pièce de sa torche électrique. Elle poussa un cri d’effroi en apercevant ce sale bouffeur de niglo toujours en vie, affalé auprès de son Jules inerte et baignant dans son uniforme de cardinal.

  • Klootzak ! J’vais t’crever ! dégaina-t-elle un couteau de chasse de son ceinturon avant de fondre sur lui.

Bellocq, aveuglé par la pétoche, positionna ses bras en garde haute pour se protéger. Et il faut croire que Saint Michel en ce 2 septembre était dans un bon jour. Car au moment de porter l’estocade, la Flamande en rogne dérapa sur une tranche de lard avant de s’étaler comme une merde. Bellocq saisit l’opportunité au vol ainsi que le couvercle de la cocotte en fonte renversée à terre, et lui éclata la mâchoire d’un revers slicé.

Pour la deuxième fois de la journée, la divine cacasse lui avait sauvé la mise. Il rendit grâce à Jessica, se releva en prenant appui sur la gazinière et alla chercher son six-coups dans la cabine.

Quand bien même le camping était peu fréquenté en cette arrière-saison, le tactac-boumboum de la fusillade était loin d’être passé inaperçu. Il valait mieux ne pas trainer avant que les tuniques bleues ne rappliquent en sonnant la charge au clairon. Koenraad et sa belle tardaient à revenir et Sergio, étouffé sous la chaleur irritante de sa cagoule, commença sérieusement à perdre patience. Mains sur le volant, pied sur l’accélérateur, il se tenait fin prêt à relâcher le mors des chevaux-moteur et décamper au triple galop, sitôt que les deux Flaoust auraient enfin daigné remonter à bord. Ainsi, il n'avait pu entendre le cri de Janne couvert par les mugissements du moulin.

  • Sergio ! l'arçonna soudain Jimmy en tapant dans la lunette arrière.
  • N’crie pas mon nom, imbéfile ! s’agaça le maousse. Qu’est-fe qui y a ?!

Hissé sur la benne du pick-up, le débilos était occupé à ficeler et bâillonner le pauvre Gervais lorsqu’il aperçut le commandant revenu d’entre les morts, émerger de son Wolkswagen.

  • Là ! Un... un zombie ! paniqua le frérot.

Sergio astiqua son rétro et bondit sur son siège en apercevant le revenant, visage tapissé au jus de tomate et pétard en main.

  • Merde, f’est pas vrai ?! lâcha-t-il. On f’tire !

Il n’était plus question pour eux de lanterner. D'autant qu’il perçut les premiers échos des sirènes à deux tons de la maréchaussée, pas loin de là. Gervais était embarqué et c’était bien là le principal. Tant pis pour les autres !

Et tandis que Sergio faisait craquer le levier de vitesse sur la première, Bellocq ajusta sa visée et tira le premier, mais manquant de précision à cause de son épaule en marmelade, ne réussit qu’à toucher un feu de recul. Jimmy, au même moment, s’était jeté sur l'allume-gaz que Janne avait remisé dans le 4X4 et voulut répliquer à son tour. Il allait assaisonner le poulet au poivre à neuf grains lorsque Sergio écrasa le champignon pour monter en régime et relâcha d’un coup la pédale de frein. Secoué par le départ arrêté, Jimmy bascula en avant et épuisa sa cartouche dans le hayon. Bellocq vida alors son barillet jusqu’à épuisement des stocks tandis que les assaillants décanillaient sans demander leur reste, ne laissant derrière eux qu’une écharpe de fumée et des traces de gommes.

Le flic laissa tomber son arme façon mic drop et se dirigea clopin-clopant vers le capitaine Dax qui gisait à demi-inconscient à quelques mètres de là. Il s’agenouilla auprès de l’officier pour prendre son pouls ; il était faible. Dax avait été sacrément secoué par l’arrosage. Si son tricot en kevlar lui avait sauvé la mise, sa blessure à la jambe ne présageait cependant rien de bon ; il saignait beaucoup trop. Une praline avait, à l’évidence, éclaté l’artère fémorale. Le flic entrouvrit le gilet pare-balles du gendarme pour le laisser respirer.

  • Police ! Appelez une ambulance, vite ! hurla Bellocq en apercevant les silhouettes de quelques campeurs curieux qui observaient de loin.

Un jeune couple, plus téméraire que les autres, arriva en courant pour prêter main-forte.

  • Il faut lui faire un garrot, diagnostiqua la jeune fille. Votre cravate, donnez-la-moi !

Bellocq dénoua sa Jaeger-Lecoultre et lui tendit. Elle la lia fermement autour du jambon farci, à quelques centimètres au-dessus du genou.

  • Vous… êtes blessé… vous aussi ? pantela le capitaine au commandant.
  • Plus d’peur que de mal. Restez tranquille ! Les secours arrivent, jeta-t-il machinalement un œil voilé sur sa tocante.

Le cadran de celle-ci, fissurée, avait semble-t-il cogné le sol au moment de sa chute dans le camping-car. Les aiguilles indiquaient minuit pile et la trotteuse faisait du surplace, oscillant ostensiblement sur le chiffre XII. Comme si le temps s’était arrêté.

  • Je me suis chié d’ssus, suffoqua le gendarme.
  • Y a pas de honte !
  • Non, vous ne comprenez pas ! Je me suis vraiment chié d’ssus, insista Dax.

Les pin-pon hurlants des discos 22 n’étaient à présent qu’à une centaine de mètres du camping. Bellocq, la tête dans la résine, se releva péniblement après avoir ramassé le SIG-Sauer du capitaine et commença à se diriger vers la Mégane banalisée de ce dernier.

  • Eh ! Vous n’allez pas partir dans cet état ? s'exclama le jeune homme.
  • Veillez sur lui ! s'adressa-t-il aux deux samaritains. Je dois... y aller.

À peine eut-il prononcé ces mots que Bellocq se mit à vaciller, sentant le sol se dérober sous ses pieds. L’adrénaline à présent retombée, le narvalo, blanc comme un suaire, était en eau et ses esgourdes en basse fréquence ne distinguèrent plus qu’un sifflement persistant. Buté, il tenta d’avancer bon gré mal gré. Mais trop affaibli par ses blessures, le moribond finit soudain par lâcher la rampe.

  • Non... Pas maint’nant ! soliloqua-t-il avant de s’écrouler à terre et de sombrer dans le néant.

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