Je n'suis pas mort, je bande encore !

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Extraits des carnets de Charlie Bellocq (septembre 2020)

Mercredi 2

La mort ?

J’en suis revenu. Et croyez-moi ! Ce n’est qu’un sommeil sans fond où règnent la pénombre et l’austérité, vantant de fausses promesses sur ses dépliants publicitaires : croisière all inclusive sur le Styx, vol en classe business vers le firmament... Peau d’zob !

Une fois refroidi, vous n’êtes plus qu’une chair putréfiée réduite en compost pour les chrysanthèmes ; un festin dont se repaissent les astibloches et les charognards.

Pensez-vous sérieusement que la camarde se préoccupe du Salut de nos âmes ? Laissez-moi rigoler !

Je m’appelle Charlie bellocq et je ne veux pas mourir cette nuit.

Jeudi 3

À dire vrai, ma résurrection n’est pas le fruit de ma résilience ou d’une intervention divine. La bastos dans l’épaule n’a fait que traverser les tissus avant de ressortir. La seconde, quant à elle, est rentrée dans le bide mais s’est logée entre deux côtes sans atteindre d’organes vitaux. C’est ce qu’on appelle : avoir le cul bordé de nouilles !

Al dente !

Le capitaine Dax n’a pas eu cette chance. J’ai appris que l’officier est décédé des suites de ses blessures pendant son transfert aux urgences. Dire qui ne lui restait plus que six mois à tirer avant d’aller bouffer sa retraite à Fréjus.

J’ai comme une boule au ventre et la gorge nouée.

Vendredi 4

On a retrouvé le pick-up incendié des Van Buick, emplafonné contre un arbre. Il y avait deux corps calcinés à bord. Les analyses sont en cours.

Je repense à la fusillade, je repense au capitaine…

Vous ai-je dit que Jessica me manque ?

Lundi 7

Ici, les jours se suivent et se ressemblent : réveil, soins et surveillance des constantes, toilette, petit-déjeuner, déjeuner et souper. Je passe le reste du temps à écrire pour “libérer mes ressources cognitives”. C’est ce que m’a conseillé la dingologue qui est venue me voir ce matin, une babos défraichie nommée Reinhardt qui cogne le patchouli et le tabac froid.

Mardi 8

Le procureur m’a fait parvenir une lettre m’informant que les deux corps retrouvés carbonisés dans le pick-up sont ceux de Jimmy Van Buick et Gervais Lambert. Et aucune trace de Sergio.

Derrière la teneur administrative du courrier, j’entends la colère qui gronde et les emmerdes qui s’annoncent.

Mercredi 9

Urgence sanitaire oblige, les services sont saturés et les visites suspendues jusqu’à nouvel ordre. 

J’ai pourtant cru apercevoir John Coltrane ce matin dans ma chambre. Passant outre les restrictions, le zicos affalé à la cool sur le fauteuil, en bras de chemise et cravate dénouée, en impose dans son ostensible nonchalance.

Il sort une flûte à bec, gonfle ses abat-joues et se met à jouer Blue Train, enchainant les pains et les couacs comme un élève de cours moyen deuxième année. Le son strident soufflé dans l’os à moelle en est tellement insupportable que je bouche mes oreilles en priant pour qu’il cesse immédiatement cet interminable concerto.

Je prends la résolution, dès cet instant, de freiner sur la pompe à morphine. 

Vendredi 11

Nouvelle crise d’angoisse cette nuit. Malgré la fatigue, je dors très peu. Je suis une dinde froide, moi aussi, couvant sa douleur dans des draps rêches et amidonnés.

Je sonne l’infirmière de garde qui me ramène une carafe d’eau, un Valium et me tient la main jusqu’à ce que je retombe dans les bras de Morphée.

Un ange passe !

Samedi 12

Je ressens toujours des douleurs lancinantes mais ma pression artérielle et mes signes vitaux sont stables. On m'ôte enfin ces maudites intraveineuses.

Quel soulagement de pouvoir me lever.

Je fais quelques pas et observe la rue par la fenêtre. Quand bien même septembre a chassé la grisaille, le quartier de Manchester n’a rien à envier à son homonyme anglais : même délabrement et tristesse sur les murs, même gueules rougeaudes et bouffies sur les trottoirs. Dehors l’odeur nauséabonde des champs d’épandage voisins vient toquer jusqu’aux carreaux. Il vaut mieux laisser fermer malgré la chaleur et se contenter du bouquet iodé de la bétadine.

Lundi 20

C’est désormais officiel : j’exècre la macédoine de légumes et le céléri rémoulade, je maudis les bouillons de légumes. Ce midi, dans l’indifférence générale, mon estomac hurle et réclame une côte de bœuf braisée.

En vain !

Mardi 21

Au hasard d’une conversation, une aide-soignante m’apprend qu’une fillette, disparue depuis fin août, a été retrouvée dans les bois par un groupe de randonneurs. Désorientée, déshydratée et gravement blessée à l’œil gauche, la petite dont le prénom lui échappe a été admise ici même, voici quelques jours.

Je l’ignorais.

Je songe à Berry. Pourvu que ce soit elle.

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