CHAPITRE 1  LA CHUTE 

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LA CHUTE

Emme se réveillait ce matin-là, l’esprit léger, avalait un petit déjeuner frugal .Sans grand appétit comme à l'accoutumé, elle partait d'attaque Tout projet planifié ,avec le sentiment rassurant du travail préparé avec soin, elle s'enthousiasmait et pensait au bon déroulement de sa journée.

En milieu de matinée, elle avançait guillerette dans l'allée menant au batiment principal, tout semblait fluide et bien maîtrisé quand soudain elle entendit dans son élan : avez-vous chuté ?

Elle vit ses genoux plaqués au sol, ses clés scintillaient à plus de deux mètres d’elle et son sac étalé projeté avec violence reposait à sa gauche. La sacoche contenant son ordinateur qu'elle portait à l'épaule montrait son contenu déversé de façon désorganisée.

Après un instant de confusion, les mains tremblantes, Emme esseya de rassembler ses affaires. Elle sentit ensuite l'urgence de se redresser, poussée par un principe d'éducation lui inssuflant qu'une femme distinguée doit toujours être vue dans une situation favorable. Elle regarda autour d'elle, sa perception se flouttait , tout se dérobait. Elle tenta une deuxième fois de se lever, se résolu à appeler au secours et enfin demeura silencieuse, pinça les lèvres pour ne pas crier de douleur et considéra l'accident.

Ses chaussures, une paire neuve, souffraient de la chute, le noir du cuir lustré présentait de larges erafflures comme une peau arrachée et la semelle râpée par le sol révélaient la brutalité du trébuchement et l’intensité du choc. Un saignement s'écoula de son gros orteil puis l’ongle disparaissait sous l’épaisseur de sang.

Tu t'es fait mal ?

Elle entendit une voix feutrée mais préoccupée par sa posture, elle n'écoutais son corps. En réponse elle emis un geste brusque, persuadé que tout irait bien. Soudain une vive douleur la rappela à la réalité, le sang jaillit de son genou, stoppée et alors qu'elle perdait l'équilibre une main ferme la rattrapa.

- On va s'installer dehors ici, à moins que vous préfériez entrer. Lui proposa une voix rassurante.

- Un pas de plus à parcourir le dos courbé, elle rassemblait ses forces en cherchant à disparaitre des regards.

Entrons ! je ne veux pas être vu dans cet état. Affirma t-elle le regard assombri par la douleur.

Tu t'es fait mal !

Une chaise glissée à l'entrée de la pièce, elle s'abandonna de tout son poids et installée derrière un des battants de la porte on ne pouvait apercevoir que son pied droit blessé.

- Qui sait ? Que se passe-t-il ? combien de fois ces paroles furent pronocées.

- Parfois un visage apparaissait dans l'entrebaillement de la porte, une de ces collègues ou un employé piqué de curiosité

-C’est vous ? ça va aller ?

Emme opina du chef puis ferma les yeux, les mains jointes contre ses lèvres qu’elle pressait de douleur.

Elle observa les personnes qui s'approchaient, certaines rappelaient le souvenir des événements similaires qu'elles connaissaient, d’autres cherchaient à connaître les circonstances exactes ou d'autres encore jetèrent un regard compatissant ou bien inexpressif, ou se dirigeaient ensuite vers des lieux précis de la chute comme pour revoir la scène ou pour s'envoyer un signal d'alerte.

Elle entendit une voix plaintive : quatre ans, il m'a fallu plusieurs années pour en finir avec une douleur au genou.

-Moi je me traîne encore avec une genouillère hum, n’en parlons même pas …

Ces paroles se perdaient au loin, à mesure que ces femmes s’éloignaient et s’imprimaient dans son esprit comme une mise en garde qui la glaça un instant, avant qu’elle ne se figure que le rapport à l’âge modifie la perspective.

-ça m'arrange !

Etait-ce bien ce qu'elle croyait entendre ?

-j'imaginais une journée différente. Murmura-t-elle comme pour oublier l’instant présent.

- C’est toujours ainsi. Répondit une secrétaire d’un ton résigné.

Une infirmière s'approcha et d'un geste mécanique déposa sa trousse sur un placard en hauteur à l'entrée et commença à sortir son matériel dans une démarche méthodique.

- Faites vous des allergies ? demanda-t-elle le dos tourné en préparant une compresse ?

- J’ai prévenu l’infirmière. Ajouta la Secrétaire comme pour se justifier.

A peine eût-elle répondu par la négative que l'infirmière enchaîna en toute indifférence.

-Rapprochez la poubelle !

Un visage se pencha vers la salle comme pour être rassuré. Emme ferma les yeux un instant les pensées confuses.

- Mission accomplie !

- Je vous donne un antalgique en attendant, de quoi calmer la douleur.

- Oui merci dit-elle d'une voix à peine audible.

-Je dois parti, j'ai dû abandonner un patient diabétique à surveiller.

Elle réalisa que la majeure partie de ces personnes ne représentaient, que des visages curieux ou compatissants, à peine pouvait-elle mettre un nom sur la plupart des femmes avec lesquelles elles travaillaient maintenant Ces grandes maisons ont cette particularité, qu’avec leurs multiples employés et services, en période de renouvellement massif du personnel tout redevenait impersonnel. Les murs et les espaces intérieurs demeuraient immuables, les souvenirs bien ancrés des situations passées nous inscrivaient dans une routine machinale où les bons moments vécus ensemble et la dynamique des instants présents se jouxtait dans un certain équilibre. Ce balancement permettait de mener avec enthousiasme les projets du quotidien qui fort de son expérience plaisait et lui valait des éloges et encouragements.

Après cette chute, elle reçut de nombreux messages.

-Nous vous avons apperçu partir avec l' ambulance, nous espérons que vous allez bien. Comment allons nous nous organiser sans vous ? nous sommes perdus.

Toujours avec cette cadence folle qui l’accompagnait, elle s’empressa de répondre ; désolée je m'absente quelques jours.

- Ne soyez pas désolée.

- Un frisson la parcouru et en écoutant ses mots elle ajouta d’un ton professionnel : Ne vous inquiétez de rien, je continuerai à vous accompagner. Elle considérait sa situation comme un épiphénomène projetant d’être de retour après un peu de repos. Ce qui importait n'était non pas d'apaiser leur inquiétude mais de se persuader elle-même que tout allait bien ignorant à dessein les signes. Elle souhaitait rester dans la dynamique qui était la sienne.

-Oh ! merci à vous !

Elle se demandait si certains anciens comme elle avaient la même perception de l'environnement de travail. A y réfléchir, elle comprit enfin le message d'une des employés qui se plaignaient d'ennui ou de manque d'interêt ; cela surprenait car cette dernière était recrutée au moment où la belle époque de collaboration étroite tirait sur sa fin. Respect et plaisir de voir autrui, de l'appeler par son prénom coexistait et créait presqu'un lien familial chacun se souciait du quotidien de ses paires. Une autre de ses collègues plus expérimentée inscrite dans une nostalgie maladive ne cessait de rappeler à ses souvenirs les beaux projets aboutis, les heures de convivialité ou en citant des noms et évoquait l' entente cordiale qui résonnait dans les murs. Elle évitait quelquefois ces personnes ou bien sentant la nécessité de les motiver un peu leur prêtait parfois une oreille encourageante pour maintenir le navire à flot.

En outre, d'autres qui comme elles manifestait de l'enthousiasme, très impliqués et exemplaires d'après les retours qu'elle recevait soulignaient sans cesse les crispations des relations interpersonnelles et intergénérationnelles.

Il lui semblait que même en ayant des projets communs, les priorités différaient, la démarche était secondaire, que l'intensité et la profondeur occupait peu de place et que seul prévalait le résultat final que la jeune génération ou le personnel inexpérimenté arrangeait avec subtilité en dernier lieu. Emme ressentait une certaine frustration devant une telle observation et s'interrogeait un instant sur la clairvoyance des décideurs qui recevaient ses résultats. Elle se demandait s’ils s’intéressaient au chemin parcouru. Elle se figurait maintenant qu'ils ne voyaient que ce qui etait mis en avant au vu et au su de tous, acquis quelque fois par un détour de malhonnêteté ou une ruse bien calculée, par ceux qui ne vise qu’une promotion immédiate à tout prix.

Elle était coutumière de l'effort discret, de la constance et de la rigueur, du plaisir de la tâche bien accomplie, de la satisfaction immédiate partagée sans grande recherche de reconnaissance. Elle se demandait aujourd'hui s'il était temps, d’y ajouter ce dernier aspect sans retrancher aucune de ses valeurs. Malgré elle, il faudrait sans doute planifier ce projet. Elle resta perplexe.

Lui venait l'impression que cette chute la conduisait à un questionnement sur un point bien précis de sa vie professionnelle, enfin ….

Elle s'interrogeait alors sur certains aspects qui dans son élan, ses routines captivantes et chronophage, qui échappait à son attention, sans doute dans des domaines en marge de sa vie mais qui en auraient changé la trajectoire.

Non pas qu'elle était insatisfaite mais elle s’interrogeait sur ce que, dans ses habitudes routinières, elle avait omis de regarder ou de vivre ; ce non-vécu, pléthore de possibilités dont elle aspirait à ne récupérer que les bons côtés.

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