TErre inconnue

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Vers l'âge de 29 ans, contre toute attente, Emme abandonna ces projets pour retourner au pays. Une terre étrangère pour elle ; avec ses amies, elle partageait l'idée qu'il fallait ajouter au décallage horaire un difference sociale et culturelle. Elle se sentait ailleurs sur son île natale, son environnement lui semblait étrange tout comme les tournures langagières, les codes vestimentaires, les attitudes, les repères et gestes complices.

Les séjours pendant l'été, qu'elle considérait comme de véritables instants de redécouverte ne lui donnait en réalité qu'un apperçu du mode de vie. Elle repartait avec une vision très embellie des relations familiales qui ne correspondaient pas toujours à un échantillon.

Lorsque l'été tirait à sa fin, elle rentrait joyeuse avec le sentiment d'une totale immersion et d'un retour aux sources. Elle partageait des journées conviviales en famille, nouait des amitiés ou cotoyait des personnes chaleureuses, cherchant à plaire à un parent trop loin depuis longtemps où à d'autres qui espéraient une petite visite hâtive.

Entre les derniers bains de mer et les rencontres, il lui fallait se mettre un point d'honneur à passer du temps avec les anciens, avec quelques cousines, vieilles tantines ou famille lointaine qu'elle connaisait à peine. Aux Antilles, les liens de parenté semblaient interminables et on vous gardait rancoeur si un été, vous omettiez d'informer de votre passage sur l'ile..

Sa connaissance de l'histoire de la Caraibes restait limitée, elle ne pouvait évoquer que des commentaires entendus lors de commémorations ou de revendications. presqu'en intrusion, elle éprouvait un sentiment d'embarras face à l'absence avec ses pairs.

En grandissant, elle réalisa qu'a l'adaptation aux lieux et aux habitudes, aux moeurs et coutumes il fallait ajouter la quête d'identité et générer du temps pour une connaissance plus experte de l'environnement historique et littéraire qui devennait necessaire pour s'établir.

Lorsqu'on lui retorquait avec un automatisme naturel : Impossible d'aller dans cette administration, le 21 juillet on fête Victor Schoelcher, elle mettait sa méconnaissance sur le compte de l 'oublie .Elle se souciaient de cacher son manque de spontanéité face aux régles coutumières.

Embarrassées, refusant de trahir son identité, elle feigniait d'être actrice de cette mémoire collective justifiant son manque de planification quant aux dates historiques par une étourderie ou une inattention. L'histoire des Antilles, absente des programmes de l'école, elle s'intérrogeait sur la profondeur des connaissances ,savoirs ou expériences de ses proches et amis qui vivaient sur l'île..

Avec le temps, Emme observa que les différentes générations maitrisaient de maniére inégale l'histoire locale.

Dans cette société post-coloniale de l'oralité, les anciens gardaient en mémoire un pan de l'histoire, parfois du récit de leur vie qu'ils transmettaient avec plaisir aux parents et amis. Chez les plus jeunes, certains s'imprégnaient des récits entendus ou de rappels effectués lors d'évèments tandis que d'autres s'evertuaient à se documenter pour combler la vacuité d'information.

Dans ce parcours initiatique, risquait-elle de perdre ou de se changer ? Cette pensée la paralysait par moment, elle ressentait une appréhension qui se mêlait à une détermination lorsqu'elle invoquait le courage.

Elle savait qu'elle rebrousserait chemin si certaines révélations s'avéraient trop intenses préférant attendre le moment propice pour venir placer une à une les pièces d'un puzzle qui demeureraient disloquées. Elle accepta de laisser dans l'ombre les vérités les plus ébranlantes touchant les savoirs historiques et son identité.

Elle aspirait à apprendre à travers les récits transmis par les générations passées. Les conteurs qui maitrisaient l'art oratoire captivaient l'auditoire avec des stratégies, intonation, danses et chants. Tout cela décuplait l'enthousiasme.

Chez les anciens la joie de la transmission et le sentiment de la mission accomplie transcendait le contenu lui- même. ll fallait rire avec le conteur lorsqu'il riait et pleurer avec lui quand une larme de nostalgie où de tristesse s'écoulait. Il incombait à ceux qui voulaient en savoir plus, d'oeuvrer à compléter cet héritage lacunaire par des recherches approfondies.

Elle décida de revisiter ou de relire les lieux les plus emblématiques de l île, elle abandonnait ce regard indifférent qu'elle portait jusque là pour adopter une perspective inquisitorale face à ses interrogations quant à sa communauté. Elle perçu une crainte de l'appel du passé.

De sa vision extérieure, elle essayait de comprendre certaines postures, de décrypter le langage non verbal ou les codes de communication, sociaux et culturels qui lui semblaient singuliers. Elle se sentait prête à chercher des réponses concernant les forces à l'origine des actes dans un refus d'accepter le décalage. Etait -ce l'être humain qui était peu appréhensible et y existait-il une part de mystère propre à ce territoire et tapis dans un recoin qui y demeurerait à jamais?

Elle gardait encore un lien avec la capitale au cours de ses déplacements professionnels où elle se rendait dans un petit appartement à Paris ayant toujours les clés en sa possession. Horacio lui avait d'aillieurs demandé sa main à cet endroit.

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