• J’ai l’impression qu’on est dans les derniers. Heureusement que Thomas est déjà là, déclare mon père lorsque nous arrivons à la salle. J’espère qu’il n’y a pas eu de souci avec le traiteur pour l’apéro.
• On va aller vérifier, propose Nate.
• Ok. Ceddy, tu me donnes un coup de main ?

J’accepte à contre cœur. Pas question de la laisser trop s’éloigner.

• Ok.

Une fois garés, Maud et mon frère descendent les premiers et se dirigent vers la salle. La tête dans le coffre, mon père me parle mais je n’écoute pas vraiment. Thomas est super enthousiaste pour le mariage. Il doit déjà être en train de leur poser un milliard de questions. Et pendant ce temps, moi je suis là… Et si elle changeait d’avis ?

• Tu m’écoutes ?
• Hein ?

Je me tourne pour faire face à mon père :

• Tu prends les bouteilles ? répète-t-il. Je gère le reste des gâteaux.

Je jette un œil sur Maud. Nate vient d’enrouler son bras autour de ses épaules et ils sourient tous les trois. Putain, je le savais. Ils parlent mariage. Il va la retourner ce couillon !

Ce couillon c’est son fiancé ! me rappelle ma conscience.

Je la fais taire vite fait en me tournant vers mon père.

• Ouais, ouais. Vas-y, donne la caisse, j’y vais.

Je chope les bouteilles. J’avance.

• Hey fréro ! me hèle Thomas.
• Salut Tom. T’es dehors depuis longtemps ?

J’espère que tu t’es bien gelé le cul avant de foutre la merde sans même t’en rendre compte.

• Non, non à peine 5 minutes. Les petits fours sont sortis. La pompe à bière est prête. On n’attendait plus que vous et le champ’, rit-il.

Dommage.

• Okay, tant mieux, je mens. Bon allez, on rentre ? Elle pèse cette caisse…

Thomas me maintient la porte ouverte et nous entrons tous les quatre dans la salle. J’essaie de ne pas penser à ce qu’il s’est passé il y a moins de 3h dans cette même salle…

• Du coup, comment ça va en Grèce ? me demande mon frère.

Distraction bienvenue.

• Ça va, je mens. Je découvre de nouvelles personnes,…

Le patron de la discothèque d’en face nous emmerde tous les 2 jours,...

• …les gens sont plutôt dynamiques,…

…une de mes collègues est une vraie casse-couilles…

• … j’ai pas le temps de m’ennuyer,…

… je bosse comme un taré et mon boss est un connard,

• … j’ai l’occasion de faire pas mal de sorties,

… je me bourre la gueule au moins une fois par semaine parce que je pense à Maud en permanence,

• et j’ai le temps de jouer en ligne de temps en temps.

… et je geeke comme un porc pour essayer d’oublier sans bousiller mon foie.

• Sympa tout ça ! sourit Thomas.

Ouais… Sympa ouais…

Il y a quelques serveurs dans la salle. Apparemment ils ne seront là que pour l’apéro.

Je me dirige vers la cuisine. Alors que je me demande comment je vais rentrer avec la caisse dans les mains, quelqu'un en sort.

• Cédric ?
• Daphnée ?
• Oh bah merde ! dit-elle en me claquant la bise. Le monde est petit ! Ça doit bien faire au moins 3 ans, non ?

Ouais, exactement. Je l’ai pas revue depuis 3 ans. Je buvais déjà un peu trop à ce moment-là. Et elle l'a compris très vite. C'était mon tout premier job. Celui où j’étais en Allemagne plutôt que chez mes parents quand Nate a rencontré Maud. Le taf qui a fait que quand je suis rentré quelques jours pour les vacances de Noël, elle était avec lui et pas avec moi. Daphnée a vu ma gueule à mon retour de congés. Et les déboires qui ont suivi : mes mauvaises décisions, mes soirées à me noyer dans des bouteilles que je n’aurais jamais dû ouvrir, mes gueules de bois… Elle a été témoin de mes pires instants.

• Tu deviens quoi ? T’as pu régler ton problème avec…
• Attends, on parlera plus tard, je la coupe. Est-ce que tu sais où je peux mettre ça ?

Sérieusement, y a ma famille à 2 mètres !

Elle est encore plus tête en l’air que Maud en ce qui concerne les gaffes. Elle serait totalement capable de balancer toutes mes merdes sans faire exprès. Elle me regarde bizarrement. Je lance un coup d’œil derrière moi. Son visage change. Elle a percuté.

• Oh ! Oui, oui… Viens avec moi, m’enjoint-elle.
• On se voit plus tard Tom, j’informe mon frère avant de suivre mon ancienne collègue.

Daphnée nous conduit dans ce qui semble être un genre de pré chambre froide. Je pose ma caisse au sol.

• J’ai gaffé ? demande-t-elle en grimaçant.
• Non. Mais pas loin…
• Déso. Mais bref, t’as pas vraiment l’air mieux que la dernière fois… Tu continues de boire ? Du coup, ça s’est fini comment l’histoire avec la fille ? Tu lui as parlé ? Qu’est-ce qu’elle a dit ?...
• Hé ho ! Une question à la fois ! je tonne.

Elle met ses deux mains sur sa bouche. Et m’interroge du regard. Je soupire.

• Non, ça va pas mieux. Oui, je bois encore. Je n’ai pas le fin mot de l’histoire. Enfin peut-être… Non je lui ai pas parlé. Enfin si, mais non. C’est compliqué… Attends. Je vais dire bonjour et je reviens.
• T'as plutôt intérêt ouais ! Me lance-t-elle alors que je pars.

Je passe le seuil de la cuisine juste à temps pour entendre tous les convives chanter “Joyeux anniversaire”. Je me joins à la chanson tout en me glissant dans la foule. Je parviens à trouver les autres membres de la famille. Leur faire la bise à tous me prend un temps fou. D’habitude, je ne le fais pas, mais ça me fait gagner du temps sur la conversation avec Daphnée. Ça me permet de faire le tri dans ce que je vais lui dire. Mon cousin va même jusqu’à dire que c’est effectivement jour de fête si je prends la peine de les saluer. Quel connard lui aussi.

J’échange quelques banalités avec mes cousins avant que ma mère n’arrive à notre niveau. Je la prends dans mes bras et l’embrasse fort sur la joue. Chose que je ne fais quasiment jamais. Je vois à sa tête qu’elle est ravie. Ça me fait plaisir de la voir comme ça. A l’autre bout de la pièce, j’aperçois Maud debout seule près du bar. Je ne suis pas surpris de la voir à nouveau en retrait. Tout comme moi, les bains de foules, c’est pas son truc. Et puis je remarque quelque chose : elle a un verre de jus de fruit à la main.

Daphnée et ses collègues n’ont pas ramené les bouteilles de cidre ? Et pire que ça : Nate ne s’en est pas préoccupé ?

Je scanne la salle à la recherche de mon frère. Il est avec des cousins éloignés à se fendre la poire. C’est lui qui est sensé s’assurer que tout va bien pour elle, merde ! Au moins pour l’instant. Elle n’aime pas ce genre d’évènement mais elle est venue, parce qu’elle est trop gentille. Et au lieu d’être avec elle pour la soutenir et la remercier, il est à l’autre bout de la salle. Maud est là bas, toute seule, avec un verre de second choix, alors qu’on a ramené du cidre exprès pour elle !

Exaspéré par mon frère et par le manque d’implication du service, je me résigne à aller en cuisine pour aller chercher un verre digne de ce nom à Maud. J’ai conscience que ça veut aussi dire affronter Daphnée. Mais je sais que je n’y couperai pas quoi qu’il arrive. Autant faire ça maintenant. Je m’éclipse discrètement.