Chapitre 7 - Partie 2

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J’ai à peine refermé la porte que quelqu’un me tire sur le côté. C’est elle. Elle nous entraîne vers le fond de la cuisine.

  • Raconte ! exige-t-elle tout en enlevant son t-shirt.
  • On se voit pas pendant 3 ans, et 5 minutes après m’avoir vu, tu te fous à poil… Je te pensais pas comme ça, je plaisante en faisant mine de me cacher les yeux.
  • Abruti !

Elle me donne un coup de poing sur l’épaule en riant. Je grimace, mais à l’intérieur, je sais que c’est juste Daphnée.

  • Je suis amie avec la fille de Luc, le traiteur je veux dire, continue-t-elle comme si de rien n’était. Je commence un nouveau travail bientôt et comme ils habitent pas loin de l’aéroport et qu’une serveuse lui a fait faux bond au dernier moment… Echange de bons procédés… Pour être honnête, je suis venue filer un coup de main vite fait mais dès que j’ai fini de me changer, il faut que je prenne la route. J’ai encore plein de trucs à gérer avant mon départ. Bon raconte !
  • On s’est parlé en quelque sorte, j’avoue en me frottant la nuque. Elle a compris qu’elle me plaisait. Et apparemment je lui plais aussi.
  • Mais c’est génial ! Dis-moi que ça ne s’arrête pas là !
  • Donne-moi les bouteilles de cidre de tout à l’heure et je te dis s’il y a une suite.

Elle râle et traverse la cuisine en soutien-gorge avec une aisance totale. Quelques serveurs se retournent sur son passage. Elle s’en fout royalement. Elle a toujours été très à l'aise avec son corps et la nudité en général. Elle m'a avoué un jour qu'on est devenu amis justement parce que même si le regard des gens ne la gêne pas, je fais partie des rares mecs à ne jamais la reluquer.

Elle revient quelques secondes plus tard, me fourre les bouteilles dans les mains et plonge dans son sac à la recherche de son t-shirt.

  • Accouche !
  • Il s’est passé un truc entre nous tout à l’heure, j’avoue avec un demi sourire. On n’a pas eu le temps d’en parler parce que tout le monde est revenu.

Daphnée se redresse de nouveau habillée, l’air aux anges.

  • Trop bien ! Attends… « tout à l’heure » ? J’ai pas fait attention aux gens dehors. Elle est là ?
  • Ouais… Vu que mon frère et elle sont fiancés depuis, je râle.
  • Attends, quoi ?
  • Ouais… C’est pour ça que la boisson, c’est devenu pire…
  • Oh merde, Cédric ! Non !

Elle me regarde comme une mère regarderait un gamin désobéissant. Je baisse la tête.

  • Et le sport ? Je t’avais dit de remplacer l’alcool par le sport ! Ça vide la tête et en plus ça sculpte ton corps… Tout bénéf !
  • Je sais. Et si ! C’est déjà ce que je fais. Enfin… plus ou moins…
  • Mouais… Bon, t’as dit qu’il s’était passé un truc ?

Je lève les yeux, souris et acquiesce. Elle me rend mon sourire.

  • Bon, c’est plutôt bon signe quelque part, non ? Maintenant faut juste voir la tournure des évènements…
  • Ouais…

C’est bien ce qui m’inquiète.

  • En tout cas, je suis sérieuse : continue de remplacer l’alcool par le sport. En tant que femme je peux te dire qu’on aime pas trop sortir avec un mec qui a besoin de boire. Mais même sans ça… Il faut que tu arrêtes. Je sais que la situation est pas top mais faut pas que ça te bousille la santé.

Elle attrape son sac et me donne une petite tape sur l’épaule.

  • Bon, je suis désolée. J'ai pas vraiment le temps de parler plus que ça… Mais tu sais quoi ? T’as toujours mon numéro, pas vrai ? J’ai téléchargé une appli pour transcrire les messages vocaux en texte. On en parle pendant que je suis sur la route. Je veux que tu me racontes ! Dans les grandes lignes hein, j’ai pas oublié comment t’étais. Et rassure-toi, ça finira par s’arranger.

Elle me claque une bise et tourne les talons.

Je ressors de la cuisine. Je cherche Maud du regard. Elle s’est installée à une table. Seule encore une fois. On est pareil elle et moi : pas trop sociable. J’aperçois mes frères près du buffet. Ils vont vers la table de Maud. Je passe par le buffet déposer une des deux bouteilles. Je prends deux trois trucs à bouffer et une coupe de champagne vide avant de les rejoindre.

Son visage s’illumine dès qu’elle m’aperçoit. Je lui tend la coupe de champagne vide et la remplis de cidre. Nous n’avons pas le temps d’échanger plus de deux phrases qu’une de mes petites cousines se jette sur elle et insiste pour qu’elles aillent danser. Maud ne se fait pas prier : elles s’adorent. Même si elle préfère être tranquille, elle rayonne quand elle est entourée des bonnes personnes. Je les regarde danser en riant quelques minutes puis je sors mon téléphone. Je prends un cliché furtif. Elle vient compléter ma collection secrète de photos de Maud.

Oui, je sais. C’est pas joli-joli. Mais je m’en fous. Je ne veux pas la voir à travers les photos de famille classiques, où elle est à côté de mon frère. Des images figées, trop parfaites. Factices. Ou alors mal cadrées, prises à l’arrache. Sans lumière, sans âme. Juste des photos pour dire qu’on en a pris. Moi, j’arrive à faire mieux avec l’appareil pourri de mon téléphone.

Je veux pas de moments officiels. Je prends les trucs qui passent sous le radar. Un sourire, un geste, un détail qui tue. Des trucs que personne ne pense à capter.

C’est pour ça que mes photos sont meilleures que toutes celles qu’on imprime dans les albums. Mais je les montre pas. Sinon on me collerait un reflex dans les mains pour tout et n’importe quoi. J’ai l’air de vouloir jouer au photographe "pro" ? Le mec super chiant, qui rabache qu’il sait ce qu’il fait, mais qui pond que des clichés de merde ? Celui qui rame pour rassembler les gens devant des banderoles en papier crépon pour choper le combo parfait de sourires crispés ? Non. Rien que d’y penser, ça me gonfle.

Je photographie pas pour les autres. Pour qu'on me remercie ou quoi. Je le fais. C’est tout.

Quand c'est Maud, la plupart du temps, je capture son sourire. Sur d’autres, je focalise sur ses yeux, ou ses mains. Chaque cliché est un souvenir. Avec une ambiance, une lumière particulière.

Je glisse inconsciemment vers mon préféré. C’est le tout premier que j’ai pris. Il date du fameux Noël où je lui ai parlé pour la première fois. On venait de finir de le décorer, il ne manquait que l’étoile au sommet. L’arbre semblait énorme à côté d’elle, débordant de couleurs et de lumières. Perchée sur la dernière marche de l’escabeau, un sourire immense aux lèvres et un éclat malicieux dans le regard, elle a tendu le bras pour poser l’ultime décoration. C’est ce moment précis que j’ai photographié.

Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai pris cette photo. C’était juste instinctif. Je n’avais pas conscience que j’en prendrai des dizaines de ce genre. Que c’était symptomatique de mon désir d’être proche d'elle. Ou que ça nourrirait cette envie insidieuse de l’avoir elle et pas son image.

Alors que je fais défiler les photos de mon album coupable, je reçois une notification de Daphnée. Elle ne me lâchera pas. Elle veut plus de détails sur nos retrouvailles avec Maud. On pourrait croire qu’à 35 ans on arrête les commérages. Tu parles !

Daphnée, c’est un vrai magazine people en termes de potins. C’est pas qu’elle aime faire tourner les ragots. Au contraire ! Elle est très vigilante et attentionnée envers son entourage. N’importe qui peut lui parler de tout. Elle ne juge pas. Elle écoute et donne des conseils si on le souhaite. Les gens se confient naturellement car elle est très clairvoyante. Et si elle sent que quelque chose nous tracasse, elle n’hésitera pas à nous tirer les vers du nez. Elle m’a vu dans mes pires moments alcoolisés. Et comme on n’a pas loin de 10 ans d’écart, ça a été un peu comme un mentor et une amie à la fois.

La soirée suit son cours. On boit, on mange. Les animations s'enchaînent. Je n’y fais pas attention.

Entre le buffet et le gâteau, le DJ lance la musique. Je m’en fous quelque part. Je suis concentré sur ma conversation. J’explique brièvement la situation : l’appel de Maud, l’explication dans la réserve, l’épisode de la douche… Je ne donne pas plus de détails que nécessaire. Ces moments sont à nous !

De D : Toujours autant à fond sur elle à ce que je vois ! C’est mignon. ^^

Moi : Ouais, comme les écureuils jusqu’à ce qu’ils meurent…

De D : Ton humour non plus n’a pas changé… Non mais sérieusement, fais attention à toi.

Moi : Comment ça ?

De D : Elle est fiancée maintenant. C’est pas un engagement qu’on brise comme ça… Je sais pas comment elle est. Je sais pas comment elle pense mais fais attention.

Moi : T’en fais pas. Je sais ce que je fais.

De D : Je sais. Je te dis juste. Bref, bonne soirée. :*

Je lui renvoie un « A + » et quelqu’un s’assoit près de moi.

C’est Thomas.

  • Au fait, faut qu’on discute de ce qu’on prépare pour l’enterrement de vie de garçon de Nate ! Crie-t-il par-dessus la musique.

Je lève les yeux de mon téléphone. Nate est au milieu de la piste de danse avec Maud. Ça me bouffe.

  • Ouais… J’avais envisagé un genre de paintball avec lui déguisé en lapin...

Thomas s’esclaffe, déconnecté de ma réalité.

  • Ça, c’est sûr qu’on s’éclaterait mais je suis pas sûr que ça lui conviendrait.

C’est ça, rigole. Moi je suis super sérieux.

Je m’imagine déjà avec un fusil, embusqué dans un coin, prêt à lui tirer dans les boules. Putain j’en reviens pas qu’il ait encore la possibilité de la toucher.

Ronge ton frein, c’est juste l’affaire de quelques heures.

Les mises en garde de Daphnée me reviennent en mémoire. Mais je les chasse. Parce qu’elle va l’envoyer bouler, pas vrai ? Elle va lui dire qu’il ne fait pas le moindre effort ni pour elle ni pour s’investir un peu dans la préparation de leur mariage. Elle va lui dire que c’est moi qui lui correspond. Et qu’elle ne veut plus de lui, mais de moi. Pas vrai ?

Maud sautille sur la piste au rythme de la musique. Ses cheveux s’envolent dans tous les sens. Les bras en l’air, elle se déhanche, se trémousse. Ses seins rebondissent à chaque temps fort. Ses mouvements soulèvent le bas de sa robe et laissent entrevoir la courbure de ses fesses par instants. Et ce n’est même pas ce qui retient le plus mon attention.

Je ne vois que son sourire. Ses yeux pétillent. Ses joues sont rouges. Je vois son corps luisant un peu à cause de la sueur.

Et j’ai juste envie de l’attraper et de l’emmener loin. La prendre dans mes bras. Accrocher ses mains froides dans ma nuque. La soulever, la plaquer contre un mur. La coller contre moi, sentir la chaleur de son corps. Venir caresser sa langue avec la mienne. Décaler son petit string noir. Frotter son sexe avec le mien… Bon, ok, je pense au sexe aussi.

J’enrage de savoir que d’autres que moi peuvent sans problème se l’imaginer au lit. En fait, non. Je dois être le seul à la regarder comme je le fais. Enfin au moins avec ce genre de pensée. Mais je n’arrive pas à m’en empêcher. J’ai envie de sa tendresse. Je veux la serrer dans mes bras. Et j’ai envie d’elle. Putain de merde j’ai vraiment, vraiment envie d’elle. Mais là c’est pas ça l’important.

Ses cheveux ébouriffés, le léger film de sueur qui la recouvre, ses pupilles qui doivent être toutes dilatées, ses formes qui se laissent plus que deviner. Ça me laisse pas indifférent, loin de là ! Et ça, je suis sûr que je suis pas le seul.

Y a au moins Nate qui doit penser comme moi…

Putain Nate ! Quand je pense que Thomas vient me parler comme si de rien n’était de ce putain d’enterrement à la con. Bon, ok, il est au courant de rien. Mais parler de mon connard de frère qui se dandine avec elle est la dernière des choses que j’ai envie de faire. Je n'ai jamais envie de les voir ensemble. Mais ce soir c'est pire.

Je les vois danser côte à côte. Il lui prend la main de temps en temps, cassant complètement son rythme… Elle se dégage assez rapidement à chaque fois. Je peux même pas dire à quel point ça me soulage. Alors, okay, je sais pas vraiment si elle se dégage parce qu’elle ne veut pas de lui ou parce qu’il la dérange dans son délire. Mais bon…. Ça fait quand même du bien.

Je suis tordu…

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