Chapitre 8 - Partie 3
Je me réveille sur les coups de 16h. Avec un mal de crâne comme j’en avais pas eu depuis un moment. Beaucoup trop bu hier. Je suis vraiment trop con. J’ai besoin d’eau. Et d’un bon gros doliprane !
Allez, debout…
Tout est trop. Il y a trop de lumière dans cet appart. Il y a trop de bruit dans la rue. Il me reste trop de choses à ranger. Bref, trop quoi. Et j’ai la méga flemme. Je tente de me motiver : il faut que je sorte de ce lit pour boire. De l’eau cette fois. Promis, que de l’eau. Et un doli. Pitié, un doli.
Je rassemble toute ma volonté pour me redresser et faire basculer mes jambes sur le côté du lit. J’attrape la bouteille d’eau au sol et je la vide d’un trait. Il m’en faut encore. Et il me faut un médoc. Oui, je sais, je l’ai déjà dit. Il faut que je me le répète pour me convaincre de me bouger le cul jusqu’à la salle de bain. Je m’y traîne tant bien que mal, les yeux à moitié fermés. Trop de soleil.
J’arrive, je ne sais pas trop comment, à mettre la main sur la pilule magique. Ça devrait faire effet d’ici 20 minutes… Je me regarde dans la glace. Je suis pas beau à voir. Je me sens sale. Je me frotte le visage et me décide à prendre une douche. Chaude cette fois. Les douches froides, ça va bien…
Le bruit de l’eau qui tombe est un enfer mais ça me fait quand même du bien. Une petite piqûre de rappel de pourquoi il ne faut pas que je boive jusqu'à me mettre dans cet état. Je tends un bras vers l'extérieur pour attraper ma brosse à dent et ma tondeuse. On va tout faire d'un coup. Ce sera fait.
Une fois propre et habillé, j’avale un grand bol de céréales. Aucune motivation pour cuisiner alors ça fera l’affaire. Je retourne dans ma chambre et déverrouille mon portable. Comme je m’en doutais, pas un seul appel en absence, ni même un message de ma mère. Je sais qu’elle est déçue que je sois parti, surtout sans prendre le temps de lui dire au revoir. Pas de message de Maud non plus.
Ça, c’est pas vraiment une surprise…
Il faut que je me change les idées. Il me reste quelques heures à tuer avant ma prise de poste. Hors de question de sortir. Ce serait prendre le risque de croiser Jona avant demain. Je sais d’avance qu’il va me gonfler avec les bribes d’info qu’il m’a soutirées.
J’allume mon pc et ouvre Heroes of the Storm. Je sais que je peux passer des heures sur ce jeu. Après quelques clics, l’écran de sélection s’affiche. J’hésite quelques secondes entre mes trois perso préférés : D.Va, Genji et Nova. Je n’ai pas trop envie de jouer les bruisers, ça va se jouer entre les deux assassins. Si je ne veux pas me prendre la tête, il vaut mieux que je prenne Nova. L’air de rien, les perso féminins se font plus facilement protéger. Qui a dit que la galanterie était morte ? En plus, son skin de roller derby m’a toujours fait quelque chose : le shorty moulant et le plastron y sont pour beaucoup.
Je lance une partie rapide qui s’avère rapidement être un désastre. Mon équipe est composée d’une bande de guignols qui n’ont sûrement jamais touché un clavier de leur vie. Je me prends la défaite la plus rapide possible. Je crois bien que je n’ai jamais fait une game aussi courte. Je ne me laisse pas démotiver : la première est toujours décevante.
La deuxième partie démarre, et… c’est le même bordel. Non, pardon, c’est pire. Ces mecs n’ont aucune idée de ce que le mot “équipe” veut dire. On se fait défoncer dès qu’on tente un truc. J’arrive à progresser tant bien que mal mais je vois mes coéquipiers se faire pulvériser les uns après les autres. Et pour en rajouter une couche, un des gars se permet de nous insulter sur le chat. Autant vous dire que je perds cette partie aussi.
La troisième se passe mieux. La nouvelle équipe est… très différente. On avance presque tous ensemble sur le même chemin. Aucune dispersion, on sent qu’on fait bloc et pourtant on ne parle ni en vocal, ni sur le chat. Le tank place des stuns parfaits qui me permettent d'enchaîner avec des tirs mortels. Planqué derrière un buisson, j’enchaine les kills furtifs, à la limite du sale. Au bout de quelques minutes, on a rasé la partie supérieure de la map. Nos adversaires sont totalement dépassés et je m’éclate. Lorsque leur idole s’effondre, les messages affluent enfin. Toute l’équipe se félicite de cette belle victoire, même nos adversaires s’y mettent. Ça fait du bien de voir ça de temps en temps. Une partie qui prouve que tous les joueurs ne sont pas des gros rageux.
Je lance une nouvelle partie. Et une autre, et une autre… Je joue jusqu’à ce qu’il fasse nuit noire. Et je continue. J’alterne les victoires et les défaites. Jusqu’à cette partie totalement lunaire. Allez savoir pourquoi mais Diablo a l’air de croire que le meilleur moyen de contribuer à la partie est de… ne rien faire. Il ne participe pas aux combats, bat systématiquement en retraite et ignore les appels à l’aide du chat.
Super, un joueur qui se prend pour un spectateur…
Je crois que le pire reste Li-Li ! Au lieu de lancer ses soins au bon moment, elle les gâche en les balançant au hasard. On se fait massacrer parce qu’à chaque fois qu’on a besoin de remonter nos PV, elle n’a plus de mana ou est en cooldown. Et encore, ça c’est quand elle ne se prends pas pour un putain de tank et qu’elle ne meurt pas en tête de front.
Mais tu soignes qui là ? Les sbires ?
La partie empire de minute en minute. Il y a bien une Jaina dans mon équipe qui tente des trucs mais elle se prend des ultimes que même un débutant éviterait. Nos tours tombent comme des dominos. Pendant ce temps, je me retrouve à jouer les héros tout seul. Je me démène comme un con à tuer les adversaires comme je peux mais c’est comme si je les attaquais avec un lance-pierres. Notre défaite n’est pas une surprise.
Putain quelle équipe de cons. Retournez sur League sérieux !
Je passe l’écran MVP et me frotte les yeux. J’en reviens toujours pas de tout ce qui n’allait pas dans cette partie. Entre l’autre abruti qui faisait de l’anti jeu et le heal qui était à l’ouest… Au moins, quand je joue avec Maud, elle gère à fond ce rôle.
Maud…
Je jette un oeil à mon lit. A son T-shirt. Il faut que je lui renvoie. Et quelque part, j’ai envie de le garder. C’est qu’un vêtement, mais c’est tout ce qu’il me restera d’elle. Le dernier truc tangible. L’ultime lien autorisé. Même si j’avais pas grillé toutes mes chances en me barrant comme je l’ai fait, elle va prendre ses distances toute seule. Elle a déjà commencé à me zapper hier. Parce qu’elle va se marier. Avec mon frère.
Ils sont heureux, c’est sûr. Ce qui me bouffe, c’est que spirituellement parlant, je lui conviens bien mieux que lui. A toutes nos réunions de famille, grande ou petite, il est toujours avec le groupe. Bruyant et festif. Nous nous retrouvions toujours seuls, Maud et moi, soit pour jouer, soit pour lire ou regarder une série ou un autre truc du genre. J’ai encore un peu honte de l’admettre mais j’en avais rien à foutre des autres. A chaque rassemblement familial, je ne venais que pour elle. Pour ces instants où nous nous échappions et où rien n’existait à part notre bulle de paix. Je prenais une bière avec mes cousins, pour les apparences et je filais la rejoindre.
La dernière fois, c’était à la plage. Chaque année à Pâques, toute la famille au grand complet se retrouve dans une immense location au bord de la mer. C’est l’occasion d’être ensemble pendant les vacances des plus petits. La plupart des convives posent des congés sur cette période exprès. Certains, comme moi, ne peuvent pas se le permettre et ne viennent que sur un weekend ou pour quelques jours. En général, je ne viens pas. Mais l’année dernière, je suis venu. Pour elle.
Avant le premier repas de la saison, alors que tout le monde prenait un apéro précoce - ouais, durant cette période, tout le monde boit bière sur bière à partir de 16h, mais c’est moi qui ai un problème avec l’alcool… - elle était à l’étage, dans le balcon fermé de sa chambre. Assise sur un canapé, elle jouait sur son téléphone. Dès qu’elle m’a vue, son visage s’est éclairé. Je me suis approché, l’ai prise dans mes bras pour lui dire bonjour et je me suis assis à côté d’elle. Nous avons joué ensemble, collés l’un contre l’autre, sa tête sur mon épaule. J’ai même été jusqu’à poser ma tête sur la sienne. C’était super intime mais je n’ai pas pu résister. Et elle n’a pas bronché. Elle s’est même blottie davantage. J’ai profité de la sensation d'être près d’elle. De cet instant de sérénité interdite. J’aurais pu rester des heures comme ça, à réfléchir avec elle. A profiter de ses éclats de rire lorsque je proposais sciemment une bêtise en guise de réponse au jeu.
Ah merde ! Putain mais c’est pas possible d’être fixé sur quelqu’un à ce point !
Je pousse violemment mon bureau pour chasser ces souvenirs. Le fauteuil recule. Je me prends la tête entre les mains. Je n’arrive pas à passer à autre chose. Il n’y a qu’à voir comme son T-shirt me nargue sur mon oreiller.
Il me faut un verre. Ou deux. Ou une bouteille entière en fait. Oui, j’ai dit ce matin que je ne le ferai plus mais je m’en fous. Je me lève vers la cuisine. Je fouille mon placard. Putain, j’ai plus de gin. Ma bouteille est restée chez Jona. Mais quel con ! J’aurais pas dû boire autant hier. Et je sais que je fais une connerie en voulant boire à nouveau. Sinon non seulement je peux faire une croix sur l'idée de me sevrer mais aussi sur le "fonctionnel" de mon problème. Mais boire c’est mieux que penser.
Jona doit être au lit en ce moment, seul ou accompagné. Pas moyen de récupérer ma bouteille. Et quand bien même, je ne vois pas bien comment justifier que je veux la reprendre. Il a lui-même laissé pas mal de bouteilles au fil des semaines. Mais pas de gin… Il est 1h du matin. Aucun magasin ne sera ouvert. Et hors de question que j’aille au bar pour ça.
De la merde, je vais me bourrer au rhum s’il le faut !
Toc toc toc.
Qui vient m’emmerder à cette heure là ? Me dites pas que Jona a encore paumé les clés de son appart ou une autre de ses conneries du genre. C’est pas le moment.
Je souffle un grand coup pour essayer de me calmer. Je me traîne vers la porte et l’ouvre sans entrain.
- Yes, what is it this time ?
Je me fige face à mon invité surprise : Maud.
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